Revue Porte Ouverte

Les femmes délinquantes sont-elles laissées pour compte?

Par Ruth Gagnon,
Directrice générale de la Société Elizabeth Fry du Québec

Intervenir auprès des femmes qui ont des démêlés avec la justice : Pour ne pas perpétuer l’échec

La Société Elizabeth Fry du Québec intervient auprès des femmes justiciables depuis 1977. Sa mission a pour objectif de favoriser la réinsertion sociale des femmes en justice pénale, une expertise qu’elle partage avec le réseau canadien des Sociétés Elizabeth Fry qui intervient auprès de l’ensemble des femmes justiciables au Canada. Il s’agit d’un réseau unique dont la première Société a vu le jour à Vancouver en 1939.

L’effet du petit nombre

Lorsque nus traitons de la question des femmes dans le système de justice pénale, nous sommes rapidement confrontés au phénomène du petit nombre, une caractéristique d’ailleurs rencontrée tant au plan national qu’au plan international.

Nous constatons que les femmes sont beaucoup moins nombreuses que les hommes à être impliquées dans des activités criminelles ainsi qu’à purger une peine d’emprisonnement. Au Canada, elles représentent 17 % de toutes les personnes accusées d’une infraction criminelle ainsi que 5 % de la population carcérale des établissements fédéraux et 9 % des établissements territoriaux. Ce constat a eu et a un impact sur le traitement sociopénal des femmes durant des décennies. 
En raison de leur petit nombre, les femmes ont été longtemps ignorées. Ceci s’est traduit par des politiques correctionnelles qui s’inspirent de problématiques masculines. De plus, les programmes qui s’adressent à leurs vis-à-vis masculins ont été adaptés uniquement en féminisant le texte, et non en créant des outils spécialisés à la réalité des femmes.

Sur le plan de la recherche, elles ont peu intéressé les chercheurs universitaires si bien que peu de recherches appliquées leur ont été consacrées et leurs problématiques ont été longtemps absentes des programmes d’enseignement dans les universités. Par contre, la situation tend à s’améliorer depuis le milieu des années 90. Nous rencontrons chez les gestionnaires judiciaires et correctionnels une certaine volonté à trouver des solutions spécifiques aux problèmes rencontrés chez les femmes judiciarisées.

Les prémisses de l’intervention auprès des femmes justiciables

Les femmes dans nos sociétés modernes, plus que tout autre groupe minoritaire, souffrent des inégalités sociales. De sorte que la féminisation de la pauvreté, la précarisation des acquis sociaux ainsi que la judiciarisation de certains comportements sociaux fragilisent certaines femmes et augmentent le risque qu’elles trouvent dans la criminalité et la déviance des solutions à leurs difficultés.

Les femmes judiciarisées ont connu à des degrés divers la pauvreté, la négligence, l’abandon, des traumatismes psychologiques, physiques et sexuels ainsi que la violence d’un parent et/ou d’un conjoint. Elles ressemblent davantage aux femmes en général, elles ont un vécu et des besoins similaires à celui des femmes à faible revenu. Elles ont plus de similitudes avec ces femmes qu’avec les délinquants masculins. Ce qui les différencie est l’intensité et la sévérité de leurs problèmes psychosociaux ainsi que les moyens choisis pour y faire face.

Encore aujourd’hui, le processus de socialisation des femmes repose sur «le modèle du prendre soin». Notre éducation nous conditionne à utiliser exclusivement notre potentiel au service des autres : parents, enfants, conjoints et amis. Toutefois, une partie des femmes judiciarisées éprouvent de la difficulté à s’identifier à ce processus de socialisation. Elles ne se reconnaissent que partiellement dans des modèles traditionnels féminins. Une des conséquences est qu’elles ressentent fortement cette désapprobation sociale qui ne fait que renforcer une image négative de soi, accentue un sentiment d’inaptitude et nourrit le processus de victimisation, ce qui a pour effet de les marginaliser.

Des stratégies d’intervention féministe adaptées aux besoins des femmes

Un des défis au plan clinique est de ne pas créer entre notre réalité et celle vécue par ces femmes un fossé trop important. Parfois, nous leur présentons un modèle idéalisé qui ne fait qu’accentuer leur sentiment d’incompétence et de honte. Nous oublions facilement que le processus pénal ne fait que confirmer qu’elles ont échoué à tous les niveaux : en tant que citoyenne, mère et épouse.

L’avantage de la grille d’analyse féministe est qu’elle nous permet de tenir compte de leur réalité sociale tout en leur proposant d’actualiser leur potentiel et d’acquérir des attitudes affirmatives et constructives. L’universalisation des problèmes, les techniques de restauration de l’estime de soi et les techniques d’affirmation de soi ainsi que l’entraide sont des stratégies d’intervention proposées par l’approche féministe. Ces stratégies aident ces femmes à changer leur style de vie et à mettre en place de nouvelles conditions de vie pour contrer l’effet aliénant du processus de victimisation. Un des principaux objectifs de l’intervention féministe est de permettre aux femmes de reprendre du pouvoir sur leur vie. Et, c’est ce qui nous importe.

Un modèle d’intervention axé sur la personne, la relation et la communauté

Les stratégies d’intervention qui se veulent efficaces auprès des femmes judiciarisées se doivent d’être centrées sur la personne. Ceci commence par notre capacité à ne pas les juger, à s’intéresser à ce qu’elles sont, à comprendre leur ambivalence et à faire de la relation un lieu où elles peuvent s’exprimer en toute confiance.

Nous préconisons des approches qui s’adressent à la personne dans sa globalité et nous tenons à ce que la communauté joue un rôle prédominant dans le processus d’insertion sociale des femmes justiciables. Nos objectifs d’intervention sont de favoriser chez nos clientes une meilleure connaissance de soi, une plus grande maturité et une plus grande capacité à résoudre leurs difficultés. Pour y parvenir, nous les soutenons dans leurs efforts de changement et nous les encourageons à s’approprier les résultats de ces efforts tout au long de la relation. La communauté demeure au cœur de notre intervention auprès des femmes justiciables. Les bénévoles, les aidants naturels des groupes de soutien et les intervenants du réseau public et communautaire demeurent des acteurs déterminants auprès de ces femmes. Ils nous aident à créer ce pont essentiel à leur intégration dans la communauté. Ils sont porteurs d’espoir et ils contribuent au succès de leur réinsertion sociale.