Revue Porte Ouverte

Les femmes délinquantes sont-elles laissées pour compte?

Par Jean-François Cusson,
ASRSQ

Support aux femmes délinquantes de Québec : Un modèle qui fonctionne!

Au départ, cet article visait à traiter des services disponibles aux femmes incarcérées à l’échelle de la province (autant au provincial qu’au fédéral). En me préparant, je me suis d’abord rendu compte qu’il était préférable de ne pas produire un article qui traiterait à la fois du provincial et du fédéral. Les raisons étaient simples. Les deux organisations n’ont pas la même clientèle (principalement en raison de la longueur des sentences) et le Service correctionnel du Canada (SCC) a des moyens financiers supérieurs aux Services correctionnels du Québec (SCQ). Aussi, la philosophie d’intervention des deux organisations diffère. Alors que le aux Services correctionnels Canadien (SCC) propose lui-même une programmation détaillée, celle des aux Services correctionnels du Québec (SCQ) dépend beaucoup de collaboration de partenaires. Finalement, mes entrevues préliminaires me laissaient voir qu’il semblait y avoir une dynamique particulière à Québec. C’est pour cette raison que l’article s’intéresse à cette région.

Alors qu’on entend sans cesse combien le système correctionnel provincial manque de ressources et qu’on y retrouve peu de programmes, produire un article sur les services offerts paraissait périlleux. Imaginez, en plus, il serait question des femmes… S’il paraît parfois difficile pour les Services correctionnels du Québec (SCQ) de répondre adéquatement aux besoins des hommes incarcérés, il est alors facile d’imaginer combien la situation des quelques femmes qu’on y retrouve peut être difficile. 
Plutôt que de faire moi-même les démarches auprès des personnes que je désirais rencontrer, j’ai choisi de ne courir aucune chance. Puisque j’avais l’impression d’embarquer sur un terrain glissant, j’ai préféré communiquer avec le département des communications des SCQ afin qu’ils puissent autoriser la démarche et identifier des personnes pouvant répondre à mes questions.

Parallèlement à cette démarche, j’ai sollicité la collaboration de certains organismes membres de l’ASRSQ. Ces entretiens me permettraient de mieux connaître la situation des femmes incarcérées et de préparer mes futurs contacts avec le milieu institutionnel. Connaissant les problèmes financiers des Services correctionnels du Québec et la difficulté à assurer une programmation adéquate, j’entretenais le sentiment qu’il y aurait bien des critiques sur la façon dont le milieu carcéral provincial s’occupe des femmes.

Premier arrêt : Le groupe de défense des droits des détenus de Québec

Lorsque l’on veut connaître les problèmes que l’on retrouve en milieu correctionnel, un groupe de défense des droits est souvent un bon point de départ. C’est dans cet esprit que je me suis amené aux bureaux du Groupe de défense des droits des détenus de Québec (GDDDQ). Malgré toute mon insistance à recevoir leurs confidences et leurs frustrations par rapport au secteur féminin de l’Établissement de détention de Québec, je me suis rapidement rendu compte que mes perceptions allaient être confondues. Serait-il possible, malgré tout ce que l’on entend, qu’il y ait de belles choses qui se font du côté de la détention au provincial? C’est à ce moment que mon périple à Québec allait prendre un tout nouveau sens.

D’entrée de jeu, Benoît Côté, le directeur général de PECH (organisme qui travaille auprès de personnes qui vivent des problèmes de santé mentale) souligne la présence à Québec d’un réseau communautaire assez bien développé et en lien avec le milieu institutionnel. «Avec les années, le centre de détention de Québec a manifesté une belle ouverture pour travailler avec la communauté». Denise Bourassa du Centre Femmes aux 3 A, ajoute que l’établissement a le souci d’offrir des services aux femmes incarcérées.

Anciennement détenues à la Maison Gomin, les femmes sont dirigées à l’Établissement de détention de Québec (EDQ) depuis le début des années 90. Elles représentent environ 10 % de la population carcérale sous la supervision des SCQ. À l’EDQ, le secteur féminin peut accueillir une cinquantaine de délinquantes. Étant donné leur petit nombre, les prévenues cohabitent avec les détenues. D’ailleurs, il arrive même que les prévenues soient plus nombreuses que les détenues. Pour Carole Roy, chef d’unité, cette cohabitation ne cause aucun problème. «Ceci nous permet d’assurer la prestation de service. Par exemple, contrairement à ce qui se fait chez les hommes, les prévenues peuvent profiter de l’école et des ateliers.»

L’importance de la communauté

Lorsqu’elles arrivent à l’établissement de détention, les femmes vivent couramment une crise ou se retrouvent en période de sevrage. Une fois qu’elles sont stabilisées, elles pourront participer au programme scolaire ou aux ateliers de travail. Également, elles auront accès à des cours de cuisine, de danse, de musique et certains programmes en fonction de leurs difficultés et besoins. Carole Roy signale que «C’est là que nous avons besoin de nos partenaires communautaires. Nous, même si nous faisons de l’intervention, nous sommes des spécialistes de la garde. C’est bien beau de faire de la thérapie en prison, mais ce qui importe c’est de pouvoir tenir le coup dehors». Benoît Côté (PECH) constate que les agents correctionnels sont un peu laissés à eux-mêmes. «Ils font ce qu’ils peuvent, mais ils ne sont pas formés pour intervenir auprès de certaines problématiques.»

En plus de mieux répondre aux besoins des délinquantes, les collaborations avec la communauté ont aussi pour effet de réduire leur stress par rapport à la libération étant donné qu’elles pourront compter sur du soutien lorsque viendra ce moment.

Et les partenaires communautaires, l’EDQ en compte plusieurs. Il y a le Centre femmes aux 3 A qui offre un soutien individuel pour celles qui le désirent et des ateliers de groupe, notamment en matière de prévention des MTS-Hépatites-VIH. Il y a aussi le Centre Ubald-Villeneuve qui offre un service pour les toxicomanes. PECH, organisme spécialisé pour ceux qui connaissent des problèmes liés à la santé mentale et qui ont des démêlés avec la justice contribue aussi à améliorer les services offerts aux femmes incarcérées. En plus, une intervenante de La Jonction a son bureau à l’établissement pour soutenir les détenues dans leur réintégration à l’emploi. L’EDQ compte aussi sur Expansion-femmes de Québec qui accompagne les détenues lors de leur libération et qui offre, en détention, le programme Pouvoir d’agir qui vise à les mobiliser avant leur libération. Aussi, il ne faut pas oublier le Centre d’éducation aux adultes Conrad Barbeau qui offre un programme scolaire et qui traite de la toxicomanie et des capacités parentales.

Pierrette Cliche, Directrice générale d’Expansion-femmes de Québec, apprécie beaucoup le modèle d’intervention que l’on retrouve pour les femmes incarcérées. «J’aime beaucoup l’utilisation que l’on fait des ressources de la communauté. Pour moi, les personnes qui travaillent au secteur féminin sont des perles. Ce sont de très bons collaborateurs».
Comme les femmes ne sont pas incarcérées pour de longues périodes, cette collaboration permet d’établir des liens avec les ressources communautaires qui pourront les soutenir lors de leur retour en société. «C’est certain, explique Denise Bourassa du Centre femmes aux 3 A, que les petites sentences ne nous permettent pas d’entreprendre un suivi à long terme. Mais cette période permet de créer un lien qui fera en sorte que certaines femmes viendront nous voir une fois libérées».

Cependant, Carole Roy, la chef d’unité de l’EDQ, regrette de ne pas pouvoir offrir plus d’intervention individualisée à l’établissement de détention. «C’est évidemment pour une question de sous que nous devons compter sur le groupe. Aussi, j’aimerais beaucoup leur offrir plus d’interventions structurées en soirée. Le jour, elles sont souvent occupées et il serait plus facile de les rejoindre à ce moment». Denise Bourrassa, confirme que les détenues sont bien occupées. «Il leur manque, peut-être, des activités qui pourraient les mettre dans l’action comme, par exemple, des activités physiques. On sait cependant, qu’elles ont de la difficulté à participer à de telles activités»

La place de la santé

Parmi ses autres souhaits, la chef d’unité du secteur féminin aimerait bien pouvoir compter sur un meilleur lien avec le réseau de la santé. «Lorsque les femmes se retrouvent à l’établissement, elles arrivent avec leurs histoires de vie que nous ne connaissons pas et qui pourraient nous aider à mieux les soutenir.»

La santé est une préoccupation importante, puisque plusieurs d’entre elles arrivent en piteux état en plus de connaître des difficultés liées à la médication. Carole Savoie, Agente correctionnelle, constate que leur passage en prison les maintient en relative santé. «Une chance que certaines sont venues ici. C’est peut-être ça qui les a sauvées.» Toutefois du côté du Groupe de défense des droits des détenus de Québec, Suzanne Gravel exprime certaines inquiétudes relativement à l’accessibilité aux soins de santé puisqu’un médecin visite le secteur féminin aux quinze jours. «Pour nous, c’est nettement insuffisant. Nous croyons qu’une journée par semaine serait le minimum». Du côté de l’établissement, on croit que la présence médicale actuelle est suffisante. Carole Roy de l’EDQ soutient que si elles étaient libres, elles ne recevraient pas autant de services. «C’est pas parce que t’es incarcérée que tu dois avoir plus de services qu’une personne libre».

Benoît Côté de PECH regrette que les femmes n’aient pas accès à l’infirmerie lors de certains moments plus difficiles. «Lorsqu’une femme est en situation de crise ou vit une décompensation qui peut être associée à un trouble de la personnalité, la solution disponible est généralement la cellule capitonnée. Chez les hommes, par exemple, on peut les envoyer à l’infirmerie le temps qu’ils se ressaisissent.»

Il ressort que la santé, tout comme la famille, peut devenir un ancrage important lors d’une démarche de réinsertion sociale. Pour Carole Roy, les délinquantes qu’elle côtoie sont plus démunies que les hommes incarcérés sur le plan social. «Elles proviennent souvent d’un milieu très rétrograde où le rôle de la femme n’a pas une grande valeur. Plusieurs d’entre elles ont besoin de quelqu’un pour les prendre en charge, ce qui peut amener des abus lorsqu’elles se retrouvent avec certains types d’hommes. En plus, elles ne se croient pas capables de réaliser des choses.»

L’incarcération et le passage dans le milieu judiciaire tendent à faire ressortir les difficultés des délinquants et à les présenter de façon négative. On oublie souvent tout leur potentiel et c’est avec une certaine admiration que Pierrette Cliche parle de celles qu’accompagne Expansion-Femmes. «Ce sont des survivantes. Elles possèdent de grandes qualités et un grand potentiel. On le voit beaucoup par les progrès qu’elles font à l’école».

Pour France Baudet de La Jonction, il est important de miser sur leurs expériences positives et sur les habiletés qu’elles ont pu développer dans leurs activités (légales ou pas). «Il faut s’intéresser à ce qui les préoccupe. Une femme qui m’arrive toute fière de sa nouvelle coupe de cheveux, je vais prendre le temps d’en parler plutôt que de passer directement à la question de l’emploi. Elles vont parler assez facilement de ce qu’elles ressentent et il faut les écouter pour qu’elles puissent devenir disponibles pour d’autres choses».

Un appel à tous

De ma visite à Québec, je retiens l’importance pour chacun de bien comprendre et respecter les rôles des organismes partenaires. À partir de là, il devient alors possible de véritablement travailler en collaboration et surtout d’assurer un soutien adapté aux besoins des personnes.

Au départ, je m’attendais à produire un article critique sur les difficultés du milieu institutionnel provincial à s’occuper correctement des délinquantes. C’est avec surprise que j’ai réalisé que, malgré les problèmes que peuvent connaître les services correctionnels du Québec, on peut y retrouver de beaux modèles d’intervention. J’ai toutefois l’impression que la situation des délinquantes à Québec est exceptionnelle et que l’on ne retrouve pas nécessairement ce genre d’initiatives ailleurs dans la province. J’insiste sur le fait qu’il s’agit peut-être là d’une fausse impression. Si tel est le cas, je compte sur vous pour me remettre sur le droit chemin.