Revue Porte Ouverte

L’insécurité face à la sécurité

Par Jean-François Cusson,
ASRSQ

Québec continue d’investir dans le système correctionnel et construit près de 350 nouvelles cellules

Après la déclaration, au printemps dernier, de la mise en vigueur progressive de la Loi sur les Services scorrectionnels, Québec vient d’annoncer l’ajout de 337 places de détention en région et un investissement de 55 M$ pour rénover les établissements de détention de Montréal. Ça fait longtemps qu’il n’y a pas eu tant d’argent pour le correctionnel au Québec. De toute évidence, le gouvernement s’est laissé convaincre de l’importance d’investir dans les Services correctionnels. L’ASRSQ se réjouit de ce nouvel engagement, mais demeure prudente et sceptique concernant certaines priorités identifiées par le gouvernement.

Surpopulation en région

En conférence de presse le ministre de la Sécurité publique a d’abord rappelé les objectifs de son gouvernement : rétablir le lien de confiance du public envers le correctionnel, permettre à la population de se sentir en sécurité, respecter les sentences des juges et assurer la sécurité du personnel correctionnel.

Le projet consiste à fermer quatre établissements (Chicoutimi, Roberval, Sorel et Salaberry-de-Valleyfield) considérés vétustes. Pour les remplacer, deux nouveaux établissements seront construits (Saguenay–Lac-Saint-Jean et Montérégie). Également, le Centre de détention de Sept-Îles, qui loge au Palais de Justice, sera remplacé par un nouvel établissement (à Sept-Îles). Finalement, le gouvernement désire remettre en fonction l’établissement de Percé qui a été fermé il y a une quinzaine d’années.

Au total, le projet ajoutera 337 cellules. Ces nouvelles places permettront de soulager la pression que connaît l’établissement de Montréal (Bordeaux) qui, selon le Ministre, «peut répondre au besoin de Montréal. Il devient en surpopulation lorsque les régions lui transfèrent des détenus.»

C’est un rapport confidentiel qu’a reçu le Ministre, en septembre dernier, qui a incité le gouvernement à s’engager dans ce processus. Monsieur Dupuis a demandé à la Société immobilière du Québec (SIQ) de réaliser une étude qui permettra de mieux connaître les besoins de construction et de rénovation. Cette étude, qui coûtera 625 000 $, devra aussi proposer les choix des nouveaux sites de construction, ainsi que les types d’architecture et de bâtiments.

La prison à tout prix?

Le lendemain, à Montréal, Jacques Dupuis annonçait un investissement de 55 M $ qui permettra de rénover les établissements de Bordeaux, de Tanguay et de Rivière-des-Prairies. L’objectif principal de cet investissement est d’assurer un environnement plus sécuritaire et adéquat pour le personnel. Il est impossible de nier la vétusté de certains établissements et la nécessité d’assurer des rénovations. L’ASRSQ se réjouit des améliorations qui seront apportées et il est à espérer qu’elles contribueront aussi à fournir un encadrement encore plus adéquat aux personnes incarcérées.

Cependant, l’ajout de nouvelles cellules préoccupe l’ASRSQ. L’an dernier, notre association avait participé à une consultation lors de laquelle nous manifestions nos inquiétudes concernant l’accroissement de la capacité carcérale du Québec. Les résultats de cette consultation n’ont pas encore été partagés. Lors de l’annonce de la nécessité d’ajouter 337 places au Québec, le Ministre a mentionné qu’il s’appuyait sur une étude reçue en septembre dernier. Cette étude demeure, au moment d’écrire ce texte, non disponible. Ce qui inquiète, c’est que la criminalité est à la baisse et que la mise en vigueur de la nouvelle Loi sur les Services correctionnels devrait avoir pour effet de libérer plus de 300 places en détention. Alors, pourquoi construire un peu plus de 300 cellules au Québec? Est-ce une façon d’admettre que la mise en vigueur de la Loi ne favorisera pas une meilleure intervention visant la réinsertion sociale? Bien sûr, il y a la série de mesures que le gouvernement Harper désire mettre de l’avant qui pourra avoir un impact important sur l’occupation des prisons provinciales. Toutefois, il s’agit là de possibilités et non pas de certitudes.

Il est étrange de constater comment l’emprisonnement demeure encore la solution privilégiée. Pourquoi ne nous questionnons-nous plus sur la présence si élevée des prévenus dans les établissements du Québec? Récemment, Statistique Canada a annoncé qu’on retrouvait, dans les prisons provinciales, plus de détenus qui attendent leur procès que de détenus condamnés à purger une sentence d’incarcération. Même les provinces se sont dites préoccupées par la situation.

Qu’en est-il des mesures de rechange à l’incarcération? Québec a, par le passé, appuyé ces mesures. Toutefois, sur le site Internet du ministère de la Sécurité publique, on peut lire le passage suivant : «Plusieurs études tendent plutôt à démontrer que la mise en place des mesures de rechange à l’incarcération contribue trop souvent à élargir le contrôle social en s’ajoutant, plutôt qu’en se substituant à l’incarcération. C’est pourquoi il convient plutôt de promouvoir les mesures pénales déjà en place.» Cet extrait revient à dire que notre incapacité à bien «gérer» les mesures de rechange discrédite ces mesures qui pourraient être socialement avantageuses. Peut-être faudrait-il essayer autrement.


1 Ministère de la Justice, Détermination de la peine équitable et efficace Approche canadienne à la politique de détermination de la peine, Octobre 2005.

2 Extrait d’un article de The Agitator du 26 mai 2006 www.theagitator.com/archives/0...
3 Débats du Sénat (hansard), 1ère Session, 39e Législature, Volume 143, Numéro 10, le jeudi 

4 mai 2006 www.parl.gc.ca/39/1/parlbus/chambus/senate/deb-f/010db_2006-05-04-F.htm? Language=F & Par l=39&Ses=1 4 F aits saillants du budget 2006 www.sattaqueraucrime.gc.ca/hig...

5 Peines minimales obligatoires – Une solution en quête d’un problème www.elizabethfry.ca/caefs_f.ht...

6 La section Réflexion de profane vise à permettre à des personnes qui ne sont pas des professionnels du milieu de la délinquance adulte de partager leur réflexion sur le milieu correctionnel et de la justice. De 1993 à 2003, Geneviève Tavernier, une journaliste à la retraite impliquée bénévolement auprès des détenus, principalement en Montérégie, nous a partagé ses Réflexions de profane. Suite à son décès, en 2003, cette chronique est maintenant offerte à eux et celles qui désirent nous faire part de leurs préoccupations.