Revue Porte Ouverte

L’insécurité face à la sécurité

Par Jean-Claude Bernheim

La notion de risque : un concept à géométrie variable

La notion de risque est très complexe et surtout reliée à des intérêts de tout ordre. Si l’on se réfère à la définition du Dictionnaire historique de la langue française, il s’agit d’un danger, un inconvénient plus ou moins prévisible. On constate qu’il y a matière à interprétation. En effet, le concept de danger est mesuré en fonction de plusieurs critères qui tiennent aux expériences antérieures et aux objectifs que l’on veut atteindre. Ainsi, le danger inhérent à la conduite automobile sera évalué, entre autres, selon l’expérience du conducteur, le plus ou moins bon état de la voiture, l’état de la route, les conditions climatiques, etc. Le risque sera par conséquent variable. En matière de santé personnelle, l’évaluation du risque est encore plus subjective. Il suffit de se référer aux études analysant les comportements à risque en matière de tabagisme (cancer) et entourant les pratiques sexuelles (VIH/sida).

«En regard aux statistiques, il est totalement faux de déclarer que la criminalité augmente. Alors, comment minimiser les déclaration du Premier ministre lorsque l’on se réfère à ses promesses électorales, aux mesures législatives déjà adoptées et à celles qu’il entend faire adopter?»

L’analyse du risque est également susceptible d’être menée en fonction des intérêts de celui qui l’effectue. Dans une course automobile, un conducteur peut minimiser le risque d’une certaine conduite afin de terminer au premier rang. Celui qui consomme de l’alcool peut en faire autant au moment de prendre le volant. Un directeur de chantier peut également minimiser le risque lors de la mise en place des mesures de sécurité. Un général peut estimer un assaut réalisable dans la perspective de vaincre un ennemi. Un gouvernement peut sous estimer la réaction publique à l’application d’une politique qui correspond à son programme.

Le Garrec (2004) montre très bien combien ce concept est tributaire, entre autres, des contingences de celui qui mesure le risque et des savoirs disponibles, sans compter les modes sociales qui peuvent prévaloir, l’impact des groupes d’influence et le traitement des informations par les médias. Ainsi, l’évaluation du risque et l’exploitation de la notion de risque ne sont pas exemptes de partialité.

La criminalité en suppositions et en statistiques

On ne peut passer sous silence les propos du Premier ministre peu de temps après son élection en janvier 2006. En effet, Monsieur Harper déclarait que la criminalité augmentait au Canada et, par conséquent, les risques de victimisation également. D’où la nécessité d’être plus répressif. Cette déclaration ne peut être minimisée lorsque l’on se réfère non seulement à ses promesses électorales, mais aussi aux mesures législatives déjà adoptées et à celles qu’il entend faire adopter. Les dernières statistiques de la criminalité au Canada1 concernent l’année 2004. Celles-ci soulignent qu’entre 1994 et 2004, les homicides ont diminué de 5,3 %, les tentatives de meurtre de 29,4 % et les agressions sexuelles de 32,6 %. L’ensemble des crimes avec violence ont diminué de 9,7 %. Les crimes contre les biens ont également chuté de 24,1 %, dont les introductions par effraction (- 5,7 %) et les vols de plus de 5 000 $ (- 40,8 %). Les crimes reliés aux armes offensives ont diminué de 13,5 %.

En excluant les infractions aux règlements de la circulation, l’ensemble des crimes relevant du Code criminel a, quant à lui, diminué de 11,8 %. Seuls les crimes relevant de la loi sur les stupéfiants ont globalement augmenté.

Il est donc totalement faux de déclarer que la criminalité augmente. Par contre, il est vrai qu’elle varie considérablement d’une province à l’autre. En 2004, le Québec et l’Ontario sont les deux provinces avec les taux de criminalité les plus bas au pays. Les provinces les plus criminalisées sont les provinces de l’Ouest canadien : Manitoba, Saskatchewan, Alberta et Colombie-Britannique.

L’incarcération et la récidive

Deux méta-analyses, publiées par le ministère du Solliciteur général, présentent une synthèse des résultats de cinquante études, pour la première, et 117 études, pour la deuxième. Les auteurs concluent qu’il serait illusoire d’imposer des peines d’emprisonnement dans l’espoir de réduire la criminalité2 et qu’il y a des indications qui tendent à associer un accroissement de la durée d’incarcération à une légère augmentation de la récidive3.

Nous ne pouvons passer sous silence cet extrait que nous retrouvons sur un site du gouvernement du Canada4 qui rend compte de la première méta-analyse :

Les 50 études examinées portaient sur plus de 300 000 délinquants. Aucune des analyses effectuées n’a permis de conclure que l’emprisonnement réduit la récidive. En effet, le taux de récidive des délinquants emprisonnés était semblable à celui des délinquants condamnés à une peine communautaire. En outre, on n’a établi aucun lien entre des peines de longue durée et la réduction de la récidive. En fait, il semblerait plutôt que ce soit le contraire : les longues peines étant associées à une augmentation de 3 % de la récidive.

L’analyse des études axées sur le risque que présentent les délinquants n’a mis au jour aucun effet dissuasif de l’incarcération.

Nous devons conclure que la notion de risque est agitée au moment où les politiciens entendent séduire l’électorat, et pour ce faire, ils n’hésitent pas à tromper ceux et celles qui n’ont pas un accès facile à l’information.


1 Statistiques de la criminalité au Canada, 2004. Juristat vol. 25, no 5, 21 juillet 2005. 

2 Gendreau, P., C. Goggin et F. Cullen (1999). L’incidence de l’emprisonnement sur la récidive. Rapport destine au Secteur des affaires correctionnelles et police autochtones. Rapport 1999-3. Ottawa, Solliciteur général du Canada, Ottawa. Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 51 p. 

3 Smith, Paula, C. Goggin et P. Gendreau (2002). Effets de l’incarcération et des sanctions intermédiaires sur la récidive : effets généraux et différences individuelles. Rapport pour spécialistes No 2002-01. Ottawa, Solliciteur général du Canada, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 42p. 4 Voir le cite du ministère Sécurité publique et Protection civile Canada (consulté 12 septembre 2006) http://ww2.psepc-sppcc.gc.ca/p...