Revue Porte Ouverte

L’insécurité face à la sécurité

Par Jean-François Cusson,
ASRSQ

À trop vouloir protéger, on oublie le reste! Pour une approche basée sur le rétablissement en santé mentale

Luc Vigneault est présentement coordonnateur de l’Association des personnes utilisatrices des services de santé mentale de la région de Québec (APUR). Cette organisation est composée uniquement de personnes utilisatrices de services de santé mentale vivant ou ayant vécu une problématique de santé mentale. L’APUR défend les intérêts des personnes utilisatrices et promeut les leurs. L’Association a aussi pour objectif sensibiliser le public et de réaliser des activités de représentation auprès des différentes autorités. Luc Vigneault a aussi publié l’ouvrage Malade un jour, malade toujours aux Éditions de l’Homme. Il a choisi de révéler son expérience afin de démontrer qu’un diagnostic lié à un problème de santé mentale n’est pas une condamnation et que le rétablissement est possible.

«Ce n’est pas parce que les symptômes ne sont plus là que la personne est bien. Le rétablissement, c’est bien plus que ça.»

Le premier contact avec le milieu

«J ’avais des hallucinations visuelles et auditives alors que j’étais à jeun. Je me suis rendu à l’hôpital psychiatrique pour avoir de l’aide. Je me suis déshabillé et j’ai enfilé la fameuse jaquette bleue… Je faisais maintenant partie de ces fous qu’on interne… J’étais maintenant considéré dangereux, comme tous les autres. Il me fallait gagner des privilèges pour circuler, avoir des vêtements, aller à la cafétéria… Tout était barré, il y avait un décompte deux fois par jour et le bureau des infirmières ressemblait étrangement à un poste de contrôle. J’avais l’impression d’être dans un établissement carcéral. Les établissements de santé peuvent tellement ressembler à des prisons avec leurs corridors, la couleur des murs et tout l’aspect sécuritaire. Tout ça n’est sûrement pas très thérapeutique.»

C’est de cette façon que Luc Vigneault décrit son premier contact avec le milieu psychiatrique qui s’est prolongé sur une période de trois mois. Il se souvient de la peur ressentie au contact des autres patients. Même s’il admet que le volet sécuritaire est parfois nécessaire, il se questionne beaucoup sur la place qu’il occupe en milieu psychiatrique. «C’est pas toujours clair si tu vas te faire soigner ou si on veut te neutraliser.»

«Je suis impressionné de constater combien on essaie d’étouffer les situations de crise que vivent les personnes en difficulté. L’isolement et la contention sont trop souvent considérés comme la solution. Empêcher la crise, c’est nier la souffrance et ce qui est vécu. C’est bien beau la contention, mais les frustrations ne font que s’accumuler. Si on empêche la crise, comment la colère va-t-elle s’exprimer : C’est là qu’on peut se retrouver dans des situations dangereuses pour la personne et pour les gens autour.»

Des pistes d’encadrement

Pour Luc Vigneault, il faut plutôt offrir un encadrement lors de ces moments critiques à partir desquels les solutions peuvent surgir. Si la crise est bien vécue, il peut alors être plus facile de mobiliser la personne dans une démarche de rétablissement. Toutefois, il faut se questionner sur la véritable signification de ce rétablissement.

«Trop souvent, malheureusement, soigner vise presque uniquement la disparition des symptômes. Mais ce n’est pas parce que les symptômes ne sont plus là que la personne est bien. Le rétablissement, c’est bien plus que ça. C’est aussi être en mesure de vivre adéquatement et de façon satisfaisante. C’est rare que l’on pense à la satisfaction du patient dans tout ça.»

De la même façon, il faut penser à impliquer le patient dans la démarche thérapeutique qu’on lui propose ou, encore mieux, qu’elle puisse être développée avec lui. Il est nécessaire que l’on prenne tout le temps requis pour s’assurer que le patient comprenne sa situation, sa maladie et les traitements possibles.

«C’est certain qu’il y a de très bons intervenants et la plupart sont là pour aider. Par contre, dans le domaine de la santé mentale, j’ai remarqué que les plus grands préjugés envers la clientèle proviennent souvent du personnel qui travaille auprès de celle-ci. On veut tellement protéger qu’on oublie tout le reste…»

La première fois qu’il s’est présenté à l’hôpital psychiatrique pour aller obtenir de l’aide, Luc Vigneault était bien loin de savoir ce qui l’attendait. S’il avait su, se serait-il présenté? Spontanément, il répond par la négative puis après un temps de réflexion, il enchaîne : «mais je serais allé où?».