Revue Porte Ouverte

L’insécurité face à la sécurité

Par Marie-Christine Lavoie,
Groupe de défense des droits des détenu(e)s de Québec

La surveillance électronique

On n’arrête pas le progrès! Rien n’y échappe, plusieurs pays se tournent désormais vers la surveillance électronique des délinquants pour tenter de remédier aux problèmes liés à la détention et au contrôle des contrevenants. Est-ce réellement efficace?

La «SE» c’est quoi? 

Il y a surveillance électronique (SE) lorsque des moyens technologiques sont utilisés pour surveiller et contrôler à distance des personnes contrevenantes. Il y a deux types de technologies utilisés : le système de signalement continu et le système de contacts programmés. Il peut par exemple s’agir d’un bracelet que porte la personne ou d’une alarme qui se déclenche. Ils émettent des signaux lorsque la personne quitte un périmètre déterminé. Il peut aussi s’agir d’un «paget», d’un système de reconnaissance vocale, d’une caméra ou d’un autre appareil auquel le contrevenant doit se rapporter périodiquement. D’autres systèmes, plus évolués, permettent une surveillance de type «mobile». Dotés d’une technologie de style GPS, ces appareils permettent la localisation précise des contrevenants en tout temps et ce, où qu’ils soient.

«Les données disponibles montreraient qu’il n’y a pas de différence significative entre les taux de récidive des délinquants soumis à la SE et ceux qui sont soumis à une surveillance ordinaire intensive en probation ou en libération conditionnelle.» 1

Aujourd’hui, certains états y voient en effet une nouvelle arme dans la lutte contre la récidive puisqu’elle permet de contrôler, après qu’ils aient purgé leur peine, des délinquants sexuels ou des personnes ayant commis des crimes graves envers la personne. D’autres y voient même un nouveau moyen d’enquête.

Messieurs Day et Dupuis, nous souhaitons ardemment qu’un débat le plus large possible puisse se tenir dans une atmosphère sereine et rationnelle avant de nous engager sur des voies économiquement onéreuses et dont l’efficacité n’a pas été démontrée. Nous vous assurons que nous serons là pour partager avec vous le fruit de plus de 40 ans d’expérience du milieu communautaire actif en justice pénale.

Des exemples de «SE» dans le monde

Ce sont les États-Unis qui ont, dans les années 80, «parti le bal» en ce qui concerne la SE. Elle est utilisée le plus souvent avec le programme d’assignation à domicile (ADSE). Aujourd’hui, cette mesure serait utilisée d’une manière ou d’une autre par environ 40 états. Toutefois, seulement une petite proportion (environ 5 %) de toutes les personnes condamnées sera placée dans ce programme pendant une année.

Les candidats de choix sont les personnes à faibles risques, tels les conducteurs en état d’ébriété et les mineurs. La Floride, quant à elle, la rend accessible aux personnes condamnées pour vol, violence contre la personne, agression sexuelle ou usage de drogues, en plus de l’utiliser comme outil d’enquête pénale. Une technologie permet en effet de déterminer avec précision les déplacements de certains condamnés, de dresser une carte de «zones criminogènes» et donc, de constater si un contrevenant se trouvait à proximité du lieu où un crime a été commis2.

En Grande-Bretagne, on a d’abord expérimenté la SE comme condition de maintien des prévenus en liberté provisoire. Le projet-pilote a été abandonné pour des questions de coûts et de problèmes techniques. Des projets subséquents ont fait en sorte que les juges puissent utiliser la SE comme peine, comme substitut à la peine, comme supplément aux sanctions communautaires traditionnelles et comme forme de libération anticipée3. Aujourd’hui, la SE y serait devenue une mesure qui fait pleinement partie du champ de la procédure. La France est un exemple frappant du fait que l’utilisation de la SE peut progresser rapidement et s’étendre à plusieurs domaines après la mise en place d’un premier programme. En effet, lorsque la SE y a débuté, ils s’agissait, pour certaines personnes condamnées, d’une façon d’exécuter leur peine en leur permettant de la purger à la maison, d’être libérées à l’avance ou de préparer une éventuelle libération conditionnelle. Elle s’adressait aussi aux prévenus sous contrôle judiciaire. La nouvelle loi, parue au journal officiel en décembre dernier, va instaurer le placement sous bracelet électronique mobile (BEM) de certains criminels jugés dangereux après qu’ils aient purgé leur sentence.

Au Canada

En Colombie-Britannique, la surveillance électronique est requise pour les absences temporaires et les fins de sentence. À Terre-Neuve, elle vise la libération anticipée sécuritaire des contrevenants pour qu’ils puissent participer à des programmes dans la communauté.

La Saskatchewan utilise différemment la SE en ciblant les autochtones, les femmes et les délinquants à risque élevé. Elle permet pour les juges une option supplémentaire, soit l’ordonnance de probation intensive assortie de SE, qui met l’accent sur la supervision, la surveillance et le contrôle4.

Les mesures de l’Ontario, pour leur part, ont pour but l’amélioration du programme d’absences temporaires. Il est à noter qu’en 2002, le gouvernement de cette province a annoncé un programme élargi qui «s’appliquera désormais à des contrevenants en liberté conditionnelle et aux contrevenants assujettis à un couvre-feu ou en détention à domicile dans le cadre d’une probation ou d’une peine conditionnelle servie dans la collectivité, et auxquels le tribunal a ordonné de participer au programme de SE». Nous n’avons pu trouver les suites données à cette annonce.

Les résultats de la SE

Pour vous permettre de vous faire une idée globale de l’efficacité et des conséquences de la SE, voici certaines constatations résumées, tirées en grande partie d’études5 :

  • La Grande-Bretagne rapporte que le bracelet électronique valorise le travail de l’agent de probation. Il lui permettrait, entre autres, d’adapter le programme de réinsertion en fonction de l’évolution du comportement du condamné;
  • Selon plusieurs états et provinces, la SE diminue le taux de récidive. La C-B et Terre-Neuve notent, entre autres, de bons résultats : un pourcentage élevé de délinquants compléterait le programme sans commettre de nouvelles infractions;
  • Pour certains, les coûts de la SE seraient moins élevés que ceux de la détention, ce qui permettrait de réaliser des économies;
  • Pour les autorités correctionnelles de l’Ontario, le fait que les contrevenants soient maintenus dans la société de manière sécuritaire et économique permettrait d’orienter des ressources plus importantes vers les crimes plus sérieux;
  • En Saskatchewan, la surveillance électronique semble constituer une véritable solution de rechange à l’incarcération pour la clientèle autochtone.

La Direction générale des services correctionnels du Québec a renoncé à mettre en application cette mesure, car la surveillance électronique ne répondait pas aux attentes suscitées. Dans un document de mars 1997, l’analyse du ministère de la Sécurité publique fait les conclusions suivantes :

Dans la majorité des cas, la clientèle sous SE ne semblerait pas être constituée de personnes qui auraient été emprisonnées, mais plutôt de contrevenants à risque faible qui auraient pu être soumis à des programmes réguliers de libération et de probation.

De plus, on note une tendance certaine à utiliser la SE comme mesure de contrôle supplémentaire à la probation ou à l’absence temporaire. La SE entraîne donc souvent l’élargissement du filet pénal et la surpénalisation.

Le fait que la majorité des programmes de SE s’adressent à des clientèles à faible risque peut, par ailleurs, très bien expliquer la faible récidive. Il n’existerait pratiquement pas de preuve à l’effet que la crainte que cause une surveillance accrue (comme la SE) empêche de récidiver. Par contre, il en existerait beaucoup à l’effet que les programmes de soutien intensifs donnent de bons résultats. Or si le gouvernement met l’argent sur la SE, peut-il aussi le mettre sur les programmes : L’économie qu’est censée amener la SE resterait à démontrer. Dans les faits, les places qui sont libérées en prison par la mesure sont immédiatement occupées par d’autres personnes. Les calculs qui reposent sur la base que la SE remplace (et donc, diminue) le taux d’emprisonnement pourraient donc être viciés. De plus, la SE entraînerait nécessairement des coûts supplémentaires lorsqu’elle vient s’ajouter à des mesures telles que la probation ou le sursis, qui auraient très bien pu fonctionner sans elle. Ajoutons que dans plusieurs cas, les économies réalisées par la SE proviennent du fait qu’une partie des coûts de la technologie utilisée est assumée par le contrevenant luimême. Or ce procédé est-il conséquent avec des objectifs de réinsertion sociale, quand on sait que délinquance va souvent de pair avec pauvreté :

Une autre étude conduite en 1999 par le ministère de la Justice sur l’opportunité d’implanter la SE au Québec a conclu, en dernier lieu, que celle-ci risquait «de générer plus d’effets néfastes que bénéfiques» 6.

Un chercheur (Palumbo et al, 1992), cité dans l’analyse du MSP, nous laisse sur cette réflexion importante : «Compte tenu que les catégories majeures de crimes pour lesquelles les contrevenants sont placés sur les sanctions intermédiaires, telles que la surveillance électronique, sont le vol et la drogue (les deux étant très reliés), une large part du problème consiste à définir l’enjeu social de la drogue.

Si elle est définie comme un problème de santé et d’économie, il existe un urgent besoin de centres de traitements et d’opportunités d’emplois.

Si elle est définie comme un problème criminel, alors il existe un besoin pour les programmes alternatifs, non pas parce qu’ils coûtent moins chers et qu’ils réduisent la population des prisons, mais parce que ces contrevenants ont besoin de contrôle et de soutien. C’est d’abord une question d’idéologie politique.»


1 Tel que rapporté dans le document Surveillance électronique : solution ou panacée, publié par la Direction des services correctionnels du ministère de la Sécurité publique du Québec en 2000, dans lequel on cite une étude de Pierre Landreville. 

2 Ces informations sont tirées du document Le placement sous surveillance électronique mobile, rapport de la mission confiée par le premier ministre à monsieur Georges Fenech, député du Rhône, publié en avril 2005 par le ministère de la Justice française, à la p. 38 et suivantes. 

3 Tiré du document cité en note 1, p. 21. 

4 Tiré du document précité, note 1, p. 14. 

5 P our alléger le texte, nous mentionnons dès maintenant que la majorité des renseignements présentés sous cette rubrique sont tirés des études précitées en notes 1 et 2, ainsi que de La surveillance électronique au Canada, préparée par James Bonta, Jennifer Rooney et Suzanne Wallace-Capretta pour le Solliciteur général du Canada en mai 1999. 

6 Tiré du document cité en note 1, p. 42.