La prise en charge et la réhabilitation sociale des individus incarcérés ou en probation pour des faits reliées au terrorisme (ou à l’extrémisme violent) comportent un ensemble des défis pour les professionnels du milieu carcéral (agent des services correctionnels…), et au-delà (incluant les agents de probation et autres intervenants en milieu ouvert).
Bien que certains pays possèdent une expérience de réinsertion sociale auprès d’individus ayant été engagés dans des organisations terroristes de type ethno-nationalistes, le cas des personnes condamnées pour des faits liés à un terrorisme de nature politico-religieuse (incluant le jihadisme), représente un phénomène plus récent, en particulier dans le monde occidental (Marsden, 2014). Contrairement à la majorité des individus incarcérés pour les faits de droit commun (vols, trafics, violences…), les individus condamnés pour des faits liés au terrorisme ont commis, planifiés ou encouragés des actes de violence extrémiste qui n’obéissent pas ni à la recherche du profit, ni à la satisfaction d'une impulsion typiquement criminogène, mais à l'ambition de refonder les valeurs et les principes qui sous-tendent le contrat social en vertu duquel nous sommes régis.
La problématique de la radicalisation menant à la violence1 pose donc une série d’enjeux singuliers pour les professionnels du milieu de détention comme de ceux opérant dans le champ de la probation. En effet, les outils, les programmes et les mécanismes en place dans les milieux de détention ne sont pas toujours adaptés à cette clientèle particulière que constituent les individus incarcérés pour des faits liés à l’extrémisme violent. En raison de son profil particulier, cette dernière nécessite la mise en œuvre de programmes spécifiques dits de « déradicalisation » ou de « désengagement » afin d’assurer une réhabilitation sociale positive pour les individus concernés et ne représentant pas un risque sécuritaire pour la société.
Des programmes encore naissants et peu développés
Les programmes de « déradicalisation » et de « désengagement » se définissent comme : « toute méthode, activité ou programme visant à réduire l'engagement physique ou idéologique individuel ou collectif envers un groupe, un milieu ou un mouvement désigné comme « extrémiste » ou violemment radical » (Koehler, 2017: 62). Néanmoins, tandis que les programmes de « déradicalisation » visent à assurer un changement idéologique et d’attitudes pour les individus concernés, les programmes de « désengagement » s’attardent plus exclusivement sur les transformations du comportement (autrement dit le renoncement à utiliser la violence) sans pour autant viser un renoncement idéologique. Le concept de « déradicalisation » renvoie donc à des mesures qui envisagent un processus de « rééducation cognitive » en vue de faciliter la mise en question et l’abandon des croyances et idéaux qui légitimisent la violence. À l’inverse, le concept de « désengagement » évoque un processus qui vise uniquement au désistement de l’utilisation de la violence comme cadre d’expression. À ce propos, la littérature scientifique suggère qu’un processus de déradicalisation n’est pas une condition sine qua non pour réintégrer la société avec succès (Horgan, 2009). En effet, des individus radicalisés peuvent renoncer à l’utilisation de la violence comme moyen d’action sans pour autant renoncer au cadre de valeurs, d’idées et de croyances qui sont à la base de leur engagement radical.
Si quelques tentatives d’institutionnalisation de programmes de déradicalisation ou de désengagement existent en milieu carcéral et en milieu ouvert, ces programmes manquent encore de clarté conceptuelle (Horgan et Braddock 2010), et il n’existe, à ce jour, pas de consensus clair sur la façon de les opérationnaliser et de les évaluer efficacement (Koehler, 2017). Peu d’études fiables s’avèrent disponibles sur les processus de désengagement et de déradicalisation (Koehler, 2016), rendant de facto complexe leur élaboration. La mise en place de programmes de déradicalisation fait donc face à des défis autant conceptuels que pratiques (Horgan et Braddock, 2010). La mise en place ou l’absence d’élaboration de programmes de déradicalisation/ désengagement en contexte de détention répondent en premier lieu aux besoins et aux enjeux sociaux et légaux variables en fonction des différents contextes nationaux. Aux États-Unis, par exemple, où les personnes reconnues coupables d'actes terroristes purgent généralement de longues peines, la perspective de mettre en œuvre des programmes de réinsertion sociale pour des détenus condamnés pour ce type de faits ne constitue pas une priorité. En Espagne où les peines prononcées pour ce type de crime sont plus courtes qu’aux États-Unis, les enjeux de la réinsertion sociale de ces détenus se posent différemment. En effet, la majorité des personnes condamnées pour des actes liés à un terrorisme de nature politico-religieux étant d'origine étrangère, ils sont, en vertu de la législation espagnole, expulsés une fois leur condamnation terminée. Quant aux individus liés à des mouvements terroristes ethno-nationalistes tels que l'ETA, ils sont, lors de leur libération, réintégrés au sein de leurs communautés où leur engagement militant demeure populaire. Dès lors, la sauvegarde de la sécurité nationale et la prévention de la récidive passent dans ce cas pour les autorités espagnoles presque exclusivement par la surveillance, plutôt que par un volet de réinsertion sociale et de déradicalisation/désengagement individuel.
Parmi des pays qui se sont dotés des programmes de déradicalisation/désengagement, on pourra citer les exemples de l’Afghanistan, l’Indonésie, les Philippines, l’Arabie Saoudite, Singapore ou encore le Yémen. Ces programmes se structurent grosso modo autour des mêmes grands principes qui visent à offrir comme moyens de réinsertion sociale aux détenus concernés par le biais d’une formation professionnelle, d’une rééducation idéologique/religieuse et d’incitatifs (sous la forme d’une libération anticipée ou amnistie et/ou de l’assistance financière pendant et après leur incarcération) à se désengager de l’extrémisme violent. Les ressources attribuées à chaque composant du programme ont une grande variation selon les particularités propres à chaque pays.
Même si les connaissances empiriques concernant l'impact à moyen et long terme de ces programmes de déradicalisation/désengagement demeurent encore rares (Marsden, 2014), le travail concerté, multidisciplinaire et multi-institutionnel s’avère un facteur essentiel dans l’élaboration et l’implantation de ces initiatives. Sur le temps long, seule une évaluation de ces programmes permettra de s’assurer que l’impact des interventions sert aux objectifs préétablis et d’ajuster la feuille de route en fonction des changements attendus.
Évaluation : un défi pratique pour les professionnels en contexte de détention et de probation
Parmi les enjeux pratiques rencontrés par les professionnels du milieu carcéral et de probation en ce qui a trait à la réinsertion sociale des individus condamnés pour des faits liés au terrorisme ou à l’extrémisme violent, on retrouve le manque d’outils fiables en matière d’évaluation de risque de la violence extrémiste2. Bien que différents outils d’évaluation aient été développés ces dernières années au niveau international3, ceux-ci s’avèrent marqués par plusieurs limites. Aucun d’eux n’évalue, par exemple, de manière robuste la probabilité de récidivisme dans l’extrémisme violent des détenus concernés (van der Heide, et al., 2019). Parce que le terrorisme demeure un phénomène social avec de faibles taux de prévalence, les données disponibles ne permettent pas de construire un outil statistiquement valide (van der Heide, et al., 2019).
En l’absence d’outils fiables permettant de jauger convenablement la situation d’un détenu incarcéré pour des faits liés au terrorisme ou à l’extrémisme violent, les professionnels du milieu carcéral tout comme les agents de libération conditionnelle se retrouvent à devoir prendre des décisions sans pouvoir bénéficier d’un appui systématique leur permettant d’évaluer convenablement la situation. Se doter des outils appropriés permettrait l’atteinte d’objectifs plus précis en ce qui a trait tant à l’évaluation du risque de récidive qu’en termes de progrès effectués en matière de désengagement.
Une hétérogénéité de parcours et de besoins
Un autre défi non négligeable de la prise en charge en contexte de détention des individus incarcérés pour des faits liés au terrorisme est celui du caractère hétérogène de leurs parcours, et de leurs motivations à s’engager dans des mouvements extrémistes violents. Si chez certains individus l’engagement dans une radicalisation violente repose sur une démarche idéologique, pour d’autres, l’adhésion sera davantage le fruit d’un besoin d’appartenance parfois conjoint à une crise identitaire. Par conséquent, ces détenus possèdent des besoins différenciés. Le rôle joué par l’individu (leader, suiveur, etc.) au sein de son groupe d’allégeance (Altier, et al 2014; Gill et Young, 2011) de même que les raisons ayant motivé son engagement dans la militance radicale (Monahan, 2012) constituent autant d’éléments importants à considérer lors de la mise en œuvre de stratégies de désengagement de la violence extrémiste.
Dans une perspective générale, la prise en charge auprès d’individus radicalisés, qu’elle se fasse en contexte de détention ou en milieu ouvert, nécessite une intervention sur les diverses sphères de la problématique : social, relationnelle, émotionnelle, cognitive, et parfois même spirituelle/religieuse. De façon transversale à ces sphères, il est également important de cibler le sentiment d'injustice, d’humiliation ou d’oppression souvent enraciné chez les individus en question tout en les mettant en position de pouvoir s’engager dans des moyens d’action alternatifs en adéquation avec les valeurs du vivre-ensemble.
La radicalisation menant à la violence se construit sous l’effet croisé des enjeux de société, des problématiques psychosociales individuelles et d’une diversité de facteurs facilitants. Pour permettre une réhabilitation sociale positive et bénéfique des individus incarcérés pour des faits reliés au terrorisme ou à l’extrémisme violent, il est donc nécessaire de tenir compte de tous ces facteurs et ces enjeux tant collectifs qu’individuels. À cet égard, la formation du personnel en milieu carcéral et des acteurs de la probation s’avère nécessaire afin qu’ils soient en mesure de saisir dans toute sa complexité les différents ressorts des phénomènes de radicalisation violente, tout en leur donnant les leviers pour intervenir sur les situations accompagnées dans leurs particularités.
Références
Altier, M. B., Thoroughgood, C. N., et Horgan, J (2014). Turning away from terrorism: Lessons from psychology, sociology and criminology. Journal of Peace Research, 51 (5), 647-661
CPRMV (2019). Site web Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence. (En ligne) https://info-radical.org/fr/ra... (Consulté le 20 septembre 2019)
Gill, P. et Young, P. (2011) Comparing role-specific terrorist profiles. (En ligne) https://papers.ssrn.com/sol3/p... (Consulté le 20 septembre 2019)
Herrington, V., Roberts, K (2012). Risk assessment in counterterrorism, in Countering Terrorism: Psychosocial Strategies, pp. 282-305.
Horgan, J. (2009). Individual disengagement. A psychological analysis, dans Tore Bjorgo, John Horgan (eds. Leaving Terrorism Behind. Individual and collective disengagement Routledge.
Horgan, J. et Braddock, K (2010). Rehabilitating the terrorists? Challenges in assessing the effectiveness of de-radicalization programs. Terrorism and Political Violence, 22 (2), 267-291.
Koehler, Daniel (2016). Structural Quality Standards for work to intervene with and counter violent extremism. A handbook for practitioners, state coordination units and civil society programme implementers in Germany. Ministry for Interior Affairs, Digitalisation and Integration, Baden-Württemberg and German Institute on Radicalization and De-Radicalization Studies (GIRDS).
Koehler, Daniel (2017). Understanding Deradicalization. Methods, tools, and programs for countering violent extremism. Routledge, NY.
Marsden, S (2014) Conceptualising “success” with those convicted of terrorism offences: Aims, methods, and barriers to reintegration, Behavioral Sciences of Terrorism and Political Aggression
Monahan, J (2012). The individual Risk Assessment of Terrorism, Psychology, Public Policy and Law 18, no. 2 : 167-202
Neumann, Peter R., [The International Centre for the Study of Radicalisation (ICSR)]. Prisons and Terrorism: Radicalisation and De-radicalisation in 15 Countries, [En ligne], 2010, 64 p. [icsr.info/wp-content/uploads/2010/08/ICSR-Report-Prisons-and-Terrorism-Radicalisation-and-De-radicalisation-in-15-Countries.pdf] (Consulté le 01 octobre 2019).
van der Keide, Marieke van der Zwan, Maarten van Leyenhorst ., [The International Centre for Counter – Terrorism – The Hague ) (ICCT)]..The practitioner’s Guide to the Galaxy- A comparison of Risk Assessment Tools for Violent Extremism (2019), , [En ligne], https://icct.nl/publication/th...(Consulté le 25 September 2019).