Revue Porte Ouverte

La radicalisation en détention

Par Alexis Schmitt-Cadet,
B. Sc. Criminologie, fondateur de l’entreprise Empatio (empatio.ca), formateur en développement de l’empathie et facilitateur de présence attentive et thérapeute. Il est bénévole pour les Services Correctionnels Canadiens depuis quatre ans et participe à un groupe de présence attentive auprès des personnes incarcérées.

Présence attentive (mindfulness) et prison au Québec : une nouvelle avenue vers la réinsertion sociale ?

Au Québec, depuis près de 20 ans, des activités de présence attentive sont offertes par les services des aumôneries de différents pénitenciers, que ce soit sous la forme d’ateliers (pratiques de deux heures) ou, plus rarement, de retraites d’une à dix journées. Les ateliers sont proposés de manière régulière, s’intègrent dans la programmation des activités du pénitencier et sont volontaires. Les retraites sont ponctuelles et ne concernent qu’une partie des personnes incarcérées volontaires qui vont intégrer et pratiquer la présence attentive dans toutes les activités du quotidien, du lever au coucher.

Depuis 2011, un groupe de bénévoles va à la rencontre des personnes incarcérées trois fois par mois dans un pénitencier proche de Montréal pour proposer des ateliers de présence attentive. L’initiative a été soulignée récemment dans La Presse après une table ronde organisée à l’Université de Montréal, en 2017.

La présence attentive

La présence attentive connaît un intérêt grandissant dans la société et une littérature scientifique toujours plus abondante chaque année apporte des résultats de plus en plus encourageants. Elle se définit ainsi : une capacité d’attention dans l’instant présent avec éthique et bienveillance. La présence attentive se développe dans toutes les couches de la société : hôpitaux, écoles, administrations, entreprises, prisons (Bishop, 2002). La méditation de présence attentive (MPA) émerge en prison au milieu des années 1990 (Chandiramani et al., 1995). Lors d’une première expérience, une retraite intensive de dix jours est mise en place dans la prison de Tihar près de New Deli, en Inde. Un documentaire, Doing Time Doing Vipassana (1997), contribue à la mise en place d’autres retraites. Aux États-Unis, en 2002, c’est en Alabama, dans une prison de sécurité maximum, qu’une nouvelle expérience est tentée (Perelman, 2012). Elle donne lieu à la réalisation d’un nouveau documentaire : Dhamma Brothers.

Depuis, plusieurs prisons ont pris le pas, certaines proposant des retraites comme dans l’État de Washington (Simpson et al., 2007), de Washington D.C. (Parks et al., 2003) ou encore en Israël (Ronel, Frid, Timor, 2013). D’autres pénitenciers s’appuient sur des programmes séculiers de présence attentive (comme le Mindfulness Based Stress Reduction, Samuelson et al., 2007) ou sur des interventions dérivées du bouddhisme (Shonin et al., 2013).

Les résultats dans la littérature

Les résultats de la méditation de présence attentive en prison montrent de nombreux apports auprès des personnes incarcérées.

Ateliers de présence attentive

Un des impacts positifs qui revient le plus est celui sur la diminution de la consommation de drogue et d’alcool (Park et al., 2003 ; Bowen et al., 2006 ; Simpson et al., 2007 ; Chiesa, 2010 ; Perelman et al., 2012 ; Shonin et al., 2013 ; Lyons, Cantrell, 2015). Les impacts sont tels qu’une étude s’est concentrée uniquement sur les effets de la méditation de présence attentive sur les personnes incarcérées qui ont souhaité ne pas suivre les programmes traditionnels pour le traitement de la toxicomanie ou qui ont connu plusieurs rechutes. Les résultats montrent qu’il y a une réduction significative de la consommation de drogue et d’alcool après la remise en liberté des personnes incarcérées (Bowen et al., 2006).

Par ailleurs, plusieurs études concluent que la méditation de présence attentive a un effet sur le mieux-être et sur les comportements des détenus  (Perelman et al., 2012 ; Ronel, Frid, Timor, 2013 ; Auty, Cope, Liebling, 2015). D’après ces études, la méditation de présence attentive a un impact positif sur la qualité de vie en prison, spécialement pour les personnes ne bénéficiant pas d’autres programmes (Auty, Cope, Liebling, 2015) et elle participe à la modification de la sous-culture carcérale en créant des relations positives avec les membres du personnel (Ronel, Frid, Timor, 2013).

La méditation de présence attentive a des effets sur la gestion des émotions et des cognitions ce qui participe à l’engagement positif dans les programmes, la reconnaissance et la gestion des pensées négatives, et la diminution des ruminations (Perelman et al., 2012, Auty, Cope, Liebling, 2015). Une méta-analyse insiste sur le fait que les programmes à long terme ont un effet plus positif que les programmes intensifs de court terme et observe une homogénéité des résultats malgré les différences de culture et les conditions d’incarcération (Auty, Cope, Liebling, 2015).

 

Retraite de présence attentive

Les personnes incarcérées participantes à une retraite se réinsèrent mieux que ceux qui n’y ont pas participé, récidivent moins et sont plus optimistes quant à leur futur (Parks et al., 2003). Ceux ayant participé à une retraite ont ressenti une proximité entre eux en créant un groupe de soutien après le cours. Ils ont eu la sensation de surmonter une épreuve en allant jusqu’au bout de la retraite (dimension personnelle), ont éprouvé de la bienveillance vis-à-vis des bénévoles qui s’étaient impliqués sans les juger (dimension sociale) et ont eu un sens d’union avec un pouvoir spirituel plus grand qu’eux-mêmes (dimension spirituelle). Cette même étude montre qu’une retraite intensive (10 jours) impacte positivement les comportements des personnes incarcérées ayant choisi d’y participer, même un an après la retraite (Ronel, Frid, Timor, 2013). 

Dans les pénitenciers, au Québec

Au cours des vingt dernières années, différentes expériences ont eu lieu dans les pénitenciers du Québec. Le format le plus répandu est celui des ateliers. En plus de la programmation des aumôneries, des groupes de bénévoles ont pu entrer dans certains pénitenciers pour y offrir des ateliers de présence attentive.

Ces groupes de bénévoles composés de deux à douze personnes permettent aux personnes incarcérées de maintenir des liens avec la communauté et de développer une socialisation positive. J’ai pu constater, au cours des quatre dernières années, l’enthousiasme et la curiosité des personnes incarcérées que je rencontrais. J’ai observé, entre autres, les changements que cela produisait chez eux : une plus grande capacité à apprivoiser leur colère, une ouverture à se montrer vulnérable et à partager leur expérience personnelle, une volonté de se mettre en action pour prendre soin d’eux. J’ai été particulièrement touché par la reconnaissance et la gratitude qui est témoignée lors des rencontres. J’ai pu suivre le parcours des participants réguliers et me rendre compte qu’il est fréquent que leur cote de sécurité diminue et qu’ils puissent passer d’un établissement à sécurité medium à un de sécurité minimum. Après leur sortie de détention, certains d’entre eux ont continué à participer à des groupes en ville, renforçant les chances d’avoir des interactions sociales positives.

Un format plus rare, celui des retraites, a montré des résultats prometteurs. Dans un pénitencier du Québec, l’ensemble des 19 participants a complété les dix jours, alors qu’il n’est pas rare qu’il y ait des abandons dans d’autres pénitenciers. J’ai eu la chance de faire des entretiens avec certains de ces participants qui m’ont partagé leur impression d’une expérience hors du commun, d’une occasion de se « rencontrer » et de leur gratitude d’avoir participé à cette retraite. Les employés des Services Correctionnels ont, quant à eux, observé une modification de l’ambiance générale du pénitencier, où, pendant le temps de la retraite, moins d’incidents disciplinaires ont été constatés.

Conclusion

La présence attentive apporte des pistes intéressantes de pratiques auprès de populations incarcérées, de préparation à la sortie et à la réintégration dans la communauté. Elle permet aux personnes incarcérées de développer leur propre pratique durant leur temps d’incarcération et d’ouvrir de nouvelles voies d’accompagnement à la sortie de la détention.

Si la présence attentive montre des résultats prometteurs auprès des personnes incarcérées, elle est aussi de plus en plus reconnue comme une pratique d’intervention légitime qui supporte la réinsertion sociale des personnes incarcérées. À ce titre, le Québec fait figure de proue au Canada. Depuis janvier 2019, l’UQAM propose un programme court de deuxième cycle sur la présence attentive pour les professionnels de relation d’aide et les éducateurs. Près de 40 professionnels par cohorte sont formés à l’utilisation de la présence attentive que ce soit en intervention ou en éducation. Ce n’est pas un hasard si l’UQAM propose ce nouveau programme. C’est au sein de cette université que s’est développé le GRIPA, le Groupe de Recherche et d’Intervention sur la Présence Attentive, premier laboratoire de recherche sur la présence attentive au Québec.

J’ai déjà donné plusieurs ateliers dans des milieux de la justice et de la sécurité publique pour former les membres du personnel à la présence attentive en intervention. Les premiers résultats sont encourageants et témoignent de la nécessité de renforcer le savoir-être en intervention.

1.  http://plus.lapresse.ca/screen...
2. https://www.youtube.com/watch?v=7ymS6aK3Mn8
3. http://www.dhammabrothers.com/index.htm
4. https://ppa.uqam.ca/

Bibliographie

Auty, K. M., Cope, A., & Liebling, A. (2015). A Systematic Review and Meta-Analysis of Yoga and Mindfulness Meditation in Prison Effects on Psychological Well-Being and Behavioural Functioning. International journal of offender therapy and comparative criminology, p. 1-22.   

 

Bishop, S. R. (2002). What do we really know about mindfulness-based stress reduction?. Psychosomatic medicine, 64(1), p. 71-83.

 

Bowen, S., Witkiewitz, K., Dillworth, T. M., Chawla, N., Simpson, T. L., Ostafin, B. D. & Marlatt, G. A. (2006). Mindfulness meditation and substance use in an incarcerated population. Psychology of addictive behaviors, 20(3), p. 343-347.

 

Chandiramani, K., Verma, S. K., Agarwal, N., & Yadav, D. (1995). Treating anxiety and depressive disorders through Vipassana in prison set-up: A preliminary report. Indian Journal of Psychiatry, 37(2 suppl), p. 34-50.

 

Chiesa, A. (2010). Vipassana Meditation: Systematic Review of Current Evidence, The Journal of Alternative and complementary medicine, 16/1, p. 37-46.

 

Lyons, T., & Cantrell, W. D. (2015). Prison meditation movements and mass incarceration. International journal of offender therapy and comparative criminology, p. 1-13.

 

Parks, G. A., Marlatt, G. A., Bowen, S. W., Dillworth, T. M., Witkiewitz, K., Larimer, M., & Meijer, L. (2003). The university of Washington Vipassana meditation research project at the North rehabilitation facility. American Jails Magazine, 2033(July/August), p. 13-17.

 

Perelman, A., Miller, S. L., Clements, C. B., Rodriguez, A., Allen K., Cavanaugh, R. (2012) Meditation in a Deep South Prison: A Longitudinal Study of the Effects of Vipassana, Journal of Offender Rehabilitation, 51/3, p. 176-198.

 

Ronel,N., Frid. N., Timor U. (2013). The practice of positive criminology : a vipassana course in prison, International Journal of Offender Therapy and Comparative Criminology, 57/2, p. 133-153.

 

Samuelson, M., Carmody, J., Kabat-Zinn, J., & Bratt, M. A. (2007). Mindfulness-based stress reduction in Massachusetts correctional facilities. The Prison Journal, 87(2), 254-268.

 

Shonin, E., Van Gorden, W., Slade, K., Griffiths, M. D. (2013). Mindfulness and other Buddhist-derived interventions in correctional settings : a systematic review, Aggression and Violent Behavior, 18, p. 365-372.