Revue Porte Ouverte

La semaine de la réhabilitation sociale

Par Émilie Caillé ,
Étudiante à la maitrise en criminologie à l’Université de Montréal

et Marion Vacheret,
professeure titulaire, École de criminologie, Université de Montréal

L’ALLIANCE AU SEIN D’UNE MESURE CORRECTIONNELLE DE LONGUE DURÉE: LA COLLABORATION MALGRÉ LE CONTRÔLE

L’engouement porté à l’alliance thérapeutique dans le domaine de l’intervention ne date pas d’hier. Son efficacité dans l’obtention de résultats a d’ailleurs été prouvée au sein d’une variété d’approches thérapeutiques (Luborsky et coll., 1976; Horvath et Symonds, 1991; Martin et coll., 2000; Norcross et Lambert, 2005). Entre autres, Taxman et Ainsworth (2009) ont souligné dans leur étude que la qualité de l’alliance entre un contrevenant et son agent de surveillance serait un bon indicateur de l’arrêt des conduites criminelles, ce qui constitue en soi la finalité du système correctionnel et pénal. Parallèlement, l’étude de F-Dufour (2013) a quant à elle indiqué que l’absence d’alliance, dans un contexte de supervision en communauté, viendrait compromettre le processus de désistement.

 

À l’intervenant correctionnel incombe un double mandat, soit celui de protection de la société et celui de réinsertion sociale, la création d’un lien s’inscrivant davantage au sein de son rôle d’aide et de supervision. Toutefois, la réforme pénale prônant une gestion du risque basée sur les données probantes semble avoir donné lieu à une perspective managériale orientée sur le contrôle et la «neutralisation» des personnes contrevenantes plutôt que sur leur réforme (Beck, 1992; Feeley et Simon, 1992; Quirion 2006, Landreville, 2001). Les cliniciens sont donc appelés à adopter un rôle aidant au sein de mesures empreintes de contrôle, ce qui semble laisser place à certaines ambiguïtés, tant chez le professionnel que chez le justiciable (Trotter, 1999). 

 

Ainsi, ce projet d’étude s’est intéressé à la mise en place d’une alliance de travail au sein d’une mesure de surveillance de longue durée. La durée de l’accompagnement s’avérait intéressante à inclure pour l’auteure, car il a été avancé dans la littérature qu’un lien prendrait plus de temps à créer auprès d’une population contrevenante (Florsheim et coll., 2000; Kennealy et coll., 2012) et peu de recherches traitent du développement et de la continuité de l’alliance dans un suivi qui se prolonge sur plusieurs années. Ce projet visait donc une meilleure compréhension de ce lien de collaboration tel que défini et vécu par les acteurs concernés.

Ce projet académique découle ainsi d’une expérience de stage d’une durée de 80 jours s’étant effectuée au sein du bureau SCC Maisonneuve situé dans la région de Montréal. Il s’agit ici d’une démarche qualitative s’actualisant par une étude de cas ayant été conduite à l’endroit de deux duos, composés respectivement d’une agente de libération conditionnelle (ALC) et d’une personne contrevenante disposant d’une mesure de surveillance de longue durée (de plus de 10 ans). Des entrevues semi-directives ont ainsi été conduites à l’endroit des participants dans le but de connaitre leur perception quant à l’importance du lien se développant au sein d’une telle mesure correctionnelle. Certes, le nombre restreint de participants est sans contredit venu limiter l’étendue des conclusions de l’étude et n’a pas permis d’émettre des hypothèses généralisables à la population étudiée. Néanmoins, ce travail a su générer de nouvelles conceptions méritant à tout le moins une attention particulière pouvant s’avérer pertinentes pour les professionnels sur le terrain.

 

Résultats

La confiance avant tout

Les participants interrogés ont rapporté qu’un climat de confiance doit à priori être instauré avant de permettre une quelconque collaboration. En effet, lors de toute mesure correctionnelle, il est exigé aux libérés de faire preuve de transparence, de donner accès à leur entourage, d’aborder les situations vécues dans leur quotidien ainsi que les émotions qui en découlent, puis même dans certains cas de faire part de leurs moments d’intimité. Ainsi, pour en arriver à un tel résultat, un minimum de confiance s’avère nécessaire. Une fois la confiance établie, celle-ci semble perdurer et être à l’épreuve de bien des incidents. 

 L’approche de l’intervenant

Les personnes rencontrées ont par ailleurs identifié des éléments découlant de l’approche de l’ALC qui peuvent, à leur avis, encourager la mise en place d’une alliance de travail. Il est question en somme d’un rapport authentique, dénué de jugement, empreint d’empathie et prenant en compte l’avis du libéré. Il importe selon eux que l’intervenant fasse preuve d’introspection en étant conscient que chacune des facettes de sa personnalité ainsi que sa façon de travailler peuvent avoir un impact considérable sur la relation subséquente avec le libéré. Ce n’est pas en soi les conduites du clinicien qui sont associées aux résultats positifs d’un traitement, mais bien la perception du contrevenant vis-à-vis le support et l’aide que peut lui procurer l’intervenant.  

 

Le temps comme un atout

Les duos à l’étude ont mis en lumière que la longueur de la mesure était bénéfique au développement d’une alliance de travail. En effet, il a été soulevé qu’il s’agissait d’un processus graduel, qu’un «temps» était nécessaire pour d’abord instaurer un climat de confiance et que la longue durée de la mesure permettait de vivre des succès et des échecs qui, au final, pouvaient contribuer à renforcer la relation entre l’intervenant et le justiciable.

L’auteure a effectivement remarqué que, pour les justiciables à l’étude, il leur a fallu un certain temps avant d’être prêts à changer. Ils avaient connu divers suivis antérieurs où ce déclic ne s’était pas fait malgré plusieurs tentatives, c’est-à-dire le moment où ils ont réellement voulu faire équipe avec leur intervenant pour établir et atteindre leurs objectifs de réinsertion sociale. 

 

La complexité des profils ne fait pas entrave au processus

Un autre constat émergeant de l’ensemble des données recueillies est le fait qu’il soit possible de créer une alliance de travail au sein des suivis les plus contraignants, et ce, en dépit de la complexité et de l’historique problématique du justiciable en question. En effet, il a été constaté que les mesures coercitives comme les «Ordonnance de surveillance de longue durée» sont généralement imposées aux cas les plus «lourds», c’est-à-dire à des condamnés multirécidivistes qui ont commis des infractions d’une gravité objective importante ou pour qui rien n’a à ce jour fonctionné. Les données colligées ont toutefois démontré que le développement d’un lien significatif est possible dans la mesure où les cliniciens adoptent une approche adéquate et adaptée, d’où l’importance pour l’ALC de prendre le temps de créer un climat de confiance où l’écoute et l’absence de préjugé ont préséance afin de permettre au libéré de croire en son potentiel et l’amener ensuite à se surpasser. 

   

L’alliance de travail comme outil de désistement

Il en est également ressorti du discours des participants que ce qui différencie un suivi où une alliance de travail est présente des autres types de suivis est l’aisance qui se développe entre les acteurs concernés, laquelle encourage la transparence et la volonté de travailler ensemble dans la même direction. Ultimement, l’objectif est d’atteindre de la stabilité dans l’ensemble de ses sphères de vie et de maintenir ces progrès dans le temps afin d’éventuellement adopter un mode de vie exempt de toute criminalité. Selon la littérature à ce sujet et les résultats de la présente étude, il est possible de croire qu’une telle alliance peut représenter, dans certains cas, l’événement clé qui les mènera au désistement d’une carrière criminel.

 

Recommandations  

Des besoins au niveau de la formation

Il en est ressorti des entretiens conduits que l’alliance de travail est un concept qui n’est pas abordé lors de la formation des nouveaux employés au Service correctionnel du Canada (SCC). L’insistance primerait en fait davantage sur la gestion du risque et sur l’importance de s’assurer du respect des conditions libératoires plutôt que sur l’aide qui doit être apportée. Ceci expliquerait en partie le fait que les nouveaux employés semblent plutôt prioriser la sévérité selon les participants à l’étude, ce qui n’aide pas à mettre en place un climat propice à toute intervention. Tout intervenant travaillant auprès de personnes contrevenantes devrait ainsi être informé, avant son entrée en fonction, des habiletés qui aident à la création d’un lien soulevées dans le présent travail et dans la littérature, telles que la communication, l’empathie, l’absence de jugement et le regard positif sur l’autre, en plus d’être conscient des attitudes qui nuisent à la collaboration, comme la rigidité, le manque d’écoute et l’inaccessibilité.

 Savoir préparer la fin

Il appert qu’une préparation en amont à la fin d’une mesure de surveillance de longue durée s’avérerait bénéfique dans le but d’apaiser l’anxiété associée à la perte de l’encadrement chez certains justiciables. L’ensemble des données colligées tend à supposer qu’une telle démarche devrait être entamée jusqu’à deux ans avant la fin de la mesure auprès de ceux qui affichent de nombreux besoins.

 

Conclusion

Les données recueillies ont permis de démontrer que, dans le cadre d’un suivi de longue durée, l’alliance de travail représente un élément clé permettant à l’agent de libération conditionnelle de remplir ses deux rôles, à la fois de réinsertion sociale et de protection de la société. Cette collaboration permet également à l’intervenant de faire équipe avec la personne supervisée afin qu’ils déterminent ensemble des objectifs réalistes ainsi que les moyens pour y arriver, et ce, dans le but ultime de réhabilitation et d’un mode de vie exempt de criminalité.

Ce projet a également permis de mettre en lumière l’effet bénéfique de la longue durée de certaines mesures de surveillance qui ont, avant tout, été mises sur pieds dans une optique de contrôle et de protection de la société. Il en ressort effectivement que les condamnés qui bénéficient de cette coercition présentent plusieurs besoins et qu’un tel cadre les oblige à se mobiliser au quotidien, acquérant ainsi de plus en plus de stabilité qu’ils tenteront de maintenir tout au long du suivi.

Enfin, nous réitérons le fait que le concept d’alliance de travail aurait tout intérêt à être intégré à la pratique des ALC en collectivité. Contrairement aux mesures de contrôle, le mandat de relation d’aide de l’ALC semble plutôt être laissé à la discrétion de chacun des cliniciens, sans ligne directrice précise, et ce, malgré le fait que ceux-ci interviennent auprès d’une population aux multiples problématiques qui ont certainement besoin d’une aide particulière.

 

 

Références

Beck, U. (1992). Risk society : Towards a new modernity. Londres : Sage

F-Dufour, I. (2013). Réalisme critique et désistement du crime chez les sursitaires québécois: Appréhension des facteurs structurels, institutionnels et identitaires. (Thèse de doctorat inédite). Université Laval.

Feeley, M., & Simon, J. (1992). The New Penology : Notes on the Emerging Strategy of Corrections and its Implications. Criminology, 30(4), 449-474.

Florsheim, P., Shotorbani, S., Guest-Warnick, G., Barrat, T., & Hwang, W.C. (2000). Role of the working alliance in the treatment of delinquent boys in community-based programs. Journal of clinical child psychology, 29(1), 94-107.

Kennealy, P. J., Skeem, J. L., Manchak, S. M., & Eno Louden, J. (2012). Firm, fair, and caring officer-offender relationships protect against supervision failure. Law and Human Behavior, 36(6), 496-505.

Horvath, A.O., et Symonds, B.D. (1991). Relation between working alliance and outcome in psychotherapy: A meta-analysis. Journal of counseling psychology, 38(2), 139-149.

Landreville, P. (2001). La notion de risque dans la gestion pénale. Criminologie, 34 (1), 3-8.

Luborsky, L. (1976). Helping alliances in psychotherapy. Dans Cleghhorn, J.L. (Ed.), Sucessful psychotherapy. New-York: Brunner/Mazel, 92-166.

Martin, D.J., Garske, J.P., et Davis, M.K. (2000). Relation of the therapeutic alliance with outcome and other variables: a meta-analytic review. Journal of Counsulting and Clinical Psychology, 68(3), 438-450.

Norcross, J. C., et Lambert, M. J. (2011). Evidence-based therapy relationships. In Norcross, J. C. (Ed.) Psychotherapy relationships that work: Evidence-based responsiveness, Second edition (pp. 3-21). New York: Oxford University Press, Inc.

Quirion, B. (2006). Traiter les délinquants ou contrôler les conduites: le dispositif thérapeutique à l’ère de la nouvelle pénologie. Criminologie, 36(2), 137-164.

Taxman, F.S., & Ainsworth, S. (2009). Correctional Milieu: The Key to Quality Outcomes. Victims & Offenders, 4(4), 334-340.

Trotter C. (1999). Working with Involuntary Clients. Sydney: Allen and Unwin.