L’expérience acquise depuis l’implantation de la Loi sur le système correctionnel du Québec (LSCQ), le 5 février 2007, et les nombreuses rencontres et discussions autour de celle-ci dans le cadre des différents comités mis en place, nous permettent maintenant de dresser un état de situation plus clair du réseau correctionnel communautaire, en ce qui a trait aux services offerts en hébergement et en suivi dans la communauté depuis cette date. Ce bilan arrive exactement trois ans après l’entrée en vigueur de la Loi, une période qui s’avère significative pour en dégager les enjeux et les problématiques liés à l’implantation de celle-ci.
Les services d'hébergement
Bref historique
Le développement de maisons de transition ou centres résidentiels communautaires (CRC) pouvant accueillir une clientèle contrevenante remonte aux années 1960, mais plus particulièrement et intensément, aux années 70 et 80. Les organismes membres de l’ASRSQ opérant un CRC créent alors, en 1975, l’Association des membres des centres résidentiels communautaires du Québec (AMCRCQ), qui fut responsable, en grande partie, de l’élaboration des premières normes minimales s’appliquant aux CRC et de l’amélioration substantielle des conditions de financement de leurs services. Les travaux de l’AMCRCQ auront mené à la première entente tripartite (AMCRCQ/Justice Québec/Solliciteur général) en 1981. Pour la première fois au Canada, des normes de qualification du personnel sont adoptées et cette entente permet d’éliminer une certaine forme d’arbitraire au financement en fournissant des bases précises de calcul des taux per diem. L’entente de 1981 assurait un tarif quotidien unifié (fédéral/provincial) et établissait des Exigences minimales d’agrément.
L’ASRSQ et ses membres ne dérogent pas de leur conviction à l’effet que la sécurité publique sera toujours mieux servie par l’existence de partenariats efficaces et efficients
État de situation – Hébergement
L’implantation de la LSCQ en 2007, à cause des priorités données à la réinsertion sociale et aux partenariats communautaires, nous permettait de penser que l’utilisation des places d’hébergement en CRC augmenterait. La Direction générale des services correctionnels (DGSC) estimait d’ailleurs avoir besoin de plus de lits et en avait alors ajouté 21. Les données statistiques pour l’année 2006-2007, soit la dernière année avant l’implantation de la Loi, montraient un taux d’occupation global de l’ordre de 98 % des places en CRC. Or, on constate, au contraire, que l’application des nouvelles mesures prévues par la Loi et des pratiques administratives en découlant, ont provoqué une diminution importante de référence dans les CRC, surtout dans le réseau Ouest du Québec, où les taux d’occupation tournaient autour de 70 % en 2008-2009. Cela a résulté en un « désinvestissement » de la part des services correctionnels qui s’illustre par la disparition de 37 places d’hébergement depuis 2009, soit 11 % de moins, et une diminution effective du budget global consacré aux services offerts par les organismes communautaires en matière d’hébergement.
La situation de sous-utilisation des places d’hébergement s’est accompagnée, ces dernières années, d’une autre réalité fort inquiétante, soit la surpopulation carcérale et une diminution significative de l’utilisation de mesures de réinsertion sociale structurées permettant l’encadrement et l’accompagnement dans la communauté de la clientèle correctionnelle qui en a le plus besoin. En effet, l’expérience des trois dernières années tend à démontrer un taux record de report des décisions de la Commission québécoise des libérations conditionnelles (CQLC) et de désistement de la clientèle, réduisant ainsi grandement les possibilités d’octroi de la libération conditionnelle ou d’autres mesures de réinsertion sociale. Or, on sait que, compte tenu de la durée limitée des sentences, tous les détenus condamnés à une sentence à être servie dans un établissement provincial seront libérés tôt ou tard et, au plus tard, 16 mois après le début de leur sentence. S’ils ne bénéficient pas de mesures prélibératoires, ils sont alors remis en liberté après avoir servi deux tiers de la sentence et sans forme d’encadrement, donc «libres comme l’air».
Parallèlement à ce phénomène de diminution importante des services d’hébergement transitoire offerts par le réseau communautaire, nous avons assisté depuis 1994 à une détérioration des conditions de financement des CRC, telles que négociées durant les années 80.
L’entente tripartite des années 1980, qui permettait l’application d’un tarif unique et l’application de normes identiques, que la clientèle soit de juridiction provinciale ou fédérale a été passablement écorchée lorsqu’en 2004 le Service correctionnel du Canada a revu l’application de la grille et a apporté une augmentation du tarif alloué qui ne sera pas suivie par la DGSC. Le tarif quotidien unifié venait donc de disparaître mais les Exigences d’agrément demeuraient les mêmes. Or, la majorité des CRC du Québec accueillent une clientèle « mixte », c’est-à-dire des deux juridictions. Ils se retrouvent donc dans une position très inconfortable de voir un écart de plus en plus grandissant entre la rémunération qu’ils reçoivent pour ces deux types de clientèle et ce, tout en ayant à respecter les mêmes exigences. Il était permis d’espérer que, dans la foulée de l’implantation de la LSCQ, il y aurait volonté de s’attaquer à cette question de sous-financement des services d’hébergement, mais cet espoir s’est vite estompé et les organismes communautaires se retrouvent aujourd’hui en situation de plus en plus précaire par rapport à la pérennité de leurs opérations. Il semble toutefois y avoir une volonté de la part de la DGSC de remettre à l’ordre du jour ces questions, ce qui nous permet d’être de nouveau optimistes.
Le suivi dans la communauté
Bref historique
La plupart des CRC offrant des services d’hébergement à une clientèle de juridiction provinciale offrent, depuis 1998, un programme de suivi dans la communauté. De 1998 à 2006, chaque organisme ainsi identifié offrait ce service à au plus 64 personnes contrevenantes. Ce nombre avait alors été calculé suite à des discussions avec les associations représentant les organismes et constituait ce que l’on considérait une charge de travail (caseload) équilibrée. Elle supposait une fréquence de rencontre ne dépassant pas une par mois. Le financement associé au suivi est basé sur une grille évolutive négociée et semblable à celle utilisée pour l’hébergement. L’entrée en vigueur de la Loi sur le système correctionnel du Québec, le 5 février 2007, a nécessité des travaux et des discussions entourant son implantation. Un Comité de négociations mis en place en 2006 et composé de représentants de la DGSC, de l’ASRSQ et du ROCRQ, a axé ses travaux en fonction d’un engagement pris par le ministère de la Sécurité publique auprès du Conseil du trésor prévoyant que le réseau communautaire se verrait confier 52 % des cas de suivi dans la communauté. Le financement ainsi obtenu était, comme on disait, « attaché » à ce mode de fonctionnement.
Les Accords de partenariat signés en 2006-2007 avec les 29 organismes membres de l’ASRSQ (un membre s’est désisté depuis, réduisant ce nombre à 28) et les cinq organismes non membres ont été établis en fonction de cette cible de 52 %. Cela signifiait que, basé sur les données statistiques de septembre 2006, on établissait à plus de 15 500 le nombre de cas de suivi et à près de 8 000 le nombre de cas confiés aux organismes communautaires. Cela représentait une augmentation de presque 700 % des cas confiés aux organismes communautaires. Naturellement, cela a nécessité des investissements importants par les organismes, en vue de répondre à cette nouvelle demande soit en immobilisations, en matériel et en ressources humaines. Plus d’une centaine de nouveaux intervenants ont dû être embauchés et formés dans toutes les régions du Québec. Les 28 organismes membres offrant un programme de suivi dans la communauté ont dû, dans certains cas, ouvrir d’autres points de service pour satisfaire à la demande en région éloignée, ce qui fait qu’il existe maintenant 47 points de service au total.
État de situation – Suivi dans la communauté
Le processus d’implantation de la Loi ne s’est pas terminé le 5 février 2007. Le Comité de négociations mis en place en 2006 s’est transformé en Comité conjoint de suivi de l’implantation, lequel a constitué un sous-comité conjoint touchant les questions opérationnelles et cliniques. Les travaux de ces différents comités ont permis d’établir plusieurs constatations par rapport aux impacts de l’application de la Loi et des diverses mesures administratives s’y rapportant. Ils se résument ainsi :
La cible de 52 % de dossiers confiés aux organismes communautaires, sauf dans de rares cas, n’a jamais été atteinte et les taux de référence ont stagné autour 45 % à 48 %.
La définition d’un caseload (64 cas) n’a pas changé par rapport à 1998, mais la charge de travail, elle, oui et est beaucoup plus lourde pour les intervenants communautaires suite à l’application de l’outil actuariel et des guides d’application.
L’application du LS/CMI, selon les études qu’on nous citait en 2006-2007, devait prévisiblement mener à définir 9 % de la clientèle dans les catégories « très élevé » et « élevé », mais la réalité se situe davantage dans l’ordre de 32 à 37 % et parfois même plus. Cela a une incidence directe sur le nombre de contacts à effectuer.
Le nombre de contacts à effectuer par caseload se situe actuellement à un niveau dépassant les 100 dans la majorité des caseloads et atteignant parfois 115 à 125 contacts par mois, soit autour de six entrevues par jour. Une pression additionnelle s’ajoute lorsque l’intervention se situe en région éloignée.
Les tâches administratives ont augmenté considérablement au détriment des activités d’intervention et de réinsertion. La « bureaucratisation » de la tâche de l’intervenant communautaire contribue à miner la notion de complémentarité de son rôle par rapport à l’agent de probation.
La notion de « responsabilité légale et clinique » de l’agent de probation est souvent comprise différemment ou mal comprise, ce qui peut provoquer des duplications inutiles de tâches et une compréhension erronée des rôles respectifs des agents et des intervenants.
Des problèmes d’interprétation de rôles ou de procédure à différents niveaux ont été relevés.
Conclusion
Nous avons présenté ci-devant un résumé bien succinct de l’état de situation dressé récemment par l’ASRSQ, avec ses membres. Comme on peut le constater, le bilan qui en ressort montre bien qu’il reste encore beaucoup de travail à accomplir. Comme nous le rappelait souvent un des artisans principaux des négociations en 2006-2007, M. Gilles Soucy, il s’agit d’un « work in progress ». L’expérience, trois ans plus tard, nous démontre que c’est toujours le cas, et même si l’on peut dire que nous avons atteint un bon nombre d’objectifs liés à l’implantation de la Loi, il en reste bon nombre encore à atteindre afin que le processus soit considéré comme un succès par tous les partenaires impliqués.
L’ASRSQ et ses membres ne dérogent pas de leur conviction à l’effet que la sécurité publique sera toujours mieux servie par l’existence de partenariats efficaces et efficients entre l’État et les organismes communautaires et les citoyens des différentes communautés en vue d’assurer une réinsertion sociale respectueuse des personnes, axée sur l’encadrement clinique et sécuritaire des personnes contrevenantes et sur la protection du public. Nous croyons fermement que la loi implantée en 2007 renferme les éléments essentiels permettant l’atteinte d’objectifs communs en matière de sécurité publique. En ce sens, nous poursuivrons nos efforts pour atteindre ces objectifs en partenariat avec tous nos collaborateurs et, principalement, le ministre de la Sécurité publique et la DGSC.