Revue Porte Ouverte

Miser sur l’emploi pour se réintégrer en communauté

Par Jack Duhaime,
Agent d’information à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse

Comment la loi protège les employés judiciarisés

Vous travaillez quelque part. Ou alors, vous passez une entrevue d’embauche avec le souhait de travailler quelque part. « Avez-vous des antécédents judiciaires? », vous demande l’employeur. C’est une question à la fois légitime et parfaitement légale. Malheureusement, vous en avez (des antécédents), et vous devez répondre à la fatidique question. Et c’est à partir de là que la loi vous protège, si « l’infraction commise n’a aucun lien avec l’emploi ».

Voici quelques cas de jurisprudence, extraits de jugements de tribunaux québécois, pour mieux comprendre la logique juridique qui se cache derrière l'article 18.2 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, lequel se lit en ces termes:

Nous débutons ce survol par deux cas d’employés, congédiés à un an d’intervalle par un même casino, pour avoir volé à l’étalage d’un même supermarché. Ces deux cas ont été jugés par un même arbitre, avec des conclusions très différentes.

Les 2 cas du casino

En décembre 1998, un technicien à l’entretien des machines à sous et sa conjointe reconnaissent avoir volé, dans un supermarché, différents articles (un magazine, un jeu d’enfant, une dizaine de disques au laser, quatre cassettes vidéo, des autocollants, un sac de fromage et une cartouche d’encre d’imprimante), pour une valeur de 249,10$.

En janvier 2000, une croupière vole, dans le même supermarché, un pot de fond de teint valant une dizaine de dollars.

Alerté, le casino congédie les deux employés. Le syndicat dépose un grief. Les deux affaires se retrouveront, tour à tour, devant le Tribunal d’arbitrage.

Aux yeux du même arbitre (Me Denis Nadeau), le congédiement du technicien s’avère fondé, alors que celui de la croupière est déraisonnable et disproportionné. En comparant ces deux cas, l’arbitre estime que « la situation est bien différente ». En quoi? La différence réside dans la notion de risque.

La croupière est constamment surveillée par l’une ou l’autre des 365 caméras fixes ou mobiles du casino, par les six techniciens chargés de les opérer, ainsi que par les chefs de tables, présents derrière elle, par les chefs de parties, qui circulent sur le plancher, et par le chef de quart, qui surveille tout le monde. L’arbitre conclut : « Tout comme pour les autres croupiers, la triche est possible, mais la plaignante, bien qu'elle ait volé à l'extérieur de son travail, demeurerait sujette à la même surveillance serrée et constante ».

Le technicien, lui aussi, est l’objet d’une surveillance étroite, mais pas aussi omniprésente. C’est là que réside la différence. « Je retiens que la surveillance est beaucoup moins importante lorsque le technicien travaille au laboratoire ou se rend à l’entrepôt. Il n’y a pas de caméras à ces endroits (ni, non plus, à la cafétéria des employés) », indique l’arbitre : « En dépit du fait que le plaignant n’a aucun dossier disciplinaire et n’est pas, selon la preuve, un employé à problème, son geste a remis directement en question cette exigence essentielle d’honnêteté qui est inhérente à son emploi. » En conséquence, l’arbitre ne s’oppose pas à son congédiement.

Syndicat canadien de la fonction publique et Société des casinos du Québec inc., AZ-99142117 et AZ-01142027

L’ambulancier

Voyons un autre cas. Un jeune homme, fraîchement diplômé d’un cégep, effectue sa période de probation en vue d’obtenir un emploi permanent dans une Coopérative d’ambulanciers. Son employeur n’a aucun motif pour se plaindre de ses services, jusqu’au jour où il tombe sur le rapport d’une firme de consultants, engagée pour vérifier ses antécédents judiciaires. Ce rapport indique que le jeune homme peut devenir agressif lorsqu’il prend de l’alcool, ce qui l’a conduit, à trois reprises, à avoir des problèmes avec la justice. Dans le dernier cas, alors qu’en état d’ébriété il se bat dans un bar avec un autre client, il résiste à deux policiers qui tentent de le maîtriser. Il plaidera coupable à des accusations de voies de fait, de méfaits et d'entrave au travail d'agents de la paix.

L’employeur a peur que le jeune ambulancier ne «pète sa coche sur des patients» (dixit le jugement du tribunal d’arbitrage). Il met fin au lien d’emploi, en prétextant que, dans le cadre de ses fonctions, le jeune homme aura à composer avec des personnes vulnérables, aux prises, quelquefois, avec des problèmes psychiatriques. Comme paramédic, il devra aussi maintenir une relation de collaboration et d'entraide avec les policiers. Bref, ses antécédents de violence et ses démêlées avec les deux policiers ne cadrent pas avec le profil de l'emploi d’ambulancier.

Le syndicat conteste le congédiement. L’arbitre, Me Nathalie Faucher, lui donnera finalement raison, en précisant qu’elle « aurait été d'accord avec la position de l'employeur si la preuve avait démontré que le plaignant avait tendance à se battre pour un oui ou pour un non, dans un contexte de stress ou encore si sa prestation de travail avait permis de constater un comportement agressif, mais cela n'est pas le cas. Il n'y a pas de preuve, non plus, que le plaignant éprouvait un problème de consommation d'alcool faisant en sorte qu'il présentait un risque de se présenter au travail sous l'influence de cette substance et qui pourrait l'amener à réagir avec violence pendant l'exercice de ses fonctions. » Le jeune homme est réintégré dans ses fonctions. De plus, la Cour ordonne à l'employeur de rembourser au plaignant le traitement et les avantages que ce dernier a perdus à la suite de son congédiement, le tout avec les intérêts au taux prévu par le Code du travail.

Syndicat des paramédics et du préhospitalier de la Montérégie (CSN) et Coopérative des techniciens ambulanciers de la Montérégie, AZ-50820551

Le préposé à l’entretien

Un employé, travaillant à l'entretien ménager d'un centre hospitalier, est trouvé coupable d'agressions sexuelles sur des mineurs, commises hors de l’hôpital. Il lui arrive de se retrouver seul, avec des patients de tout âge, lorsqu'il nettoie les chambres, et il peut circuler partout, dans l'établissement, sans supervision. L'arbitre Serge Brault a donc estimé qu'une condamnation pour agression sexuelle sur des mineurs présente un lien objectif avec le poste du plaignant, car ce dernier est appelé à être en contact avec des enfants dans le cadre de ses fonctions. Le risque de récidive ainsi que la possibilité d'une atteinte à la réputation du centre hospitalier sont également des facteurs retenus par l'arbitre.

Centre de santé et de services sociaux (non identifié à la demande de l'arbitre) et Syndicat des travailleurs et travailleuses, S.A. 2007A-46

L’intervenante dans un centre d'aide aux femmes

Une intervenante dans un centre d'aide aux femmes victimes de violence conjugale est suspendue trente jours, après avoir été trouvée coupable de quatre chefs d'accusation pour avoir troublé la paix et pour avoir commis des voies de faits sur trois policiers, alors qu’elle se trouvait en état d'ébriété. Les policiers impliqués sont les premiers collaborateurs de l'établissement. Trois personnes témoignent du comportement violent de l’intervenante auprès de la directrice de l'établissement. Le tribunal détermine qu’un lien intime existe entre une accusation mettant en cause un comportement violent et la tâche d'une intervenante qui a pour travail d'aider et d'accompagner une victime de violence et dont l'employeur a pour mission de lutter contre toute forme de violence. Le tribunal ne s’oppose pas au congédiement de l’intervenante.

Le syndicat des travailleuses La Gigogne (CSN) et La Gigogne Inc., SOQUIJ AZ-5045412