Revue Porte Ouverte

Miser sur l’emploi pour se réintégrer en communauté

Par Patrick Pilon,
directeur au Centre de placement spécialisé du Portage et vice-président du Comité consultatif sur la clientèle judiciarisée adulte (CCCJA)

Intégration en milieu de travail des personnes judiciarisées et rareté de main d’œuvre, une situation gagnante ?

Pour le chercheur d'emploi, un contexte de rareté de main-d'œuvre devient très intéressant pour intégrer le marché du travail. Les employeurs s'arrachent les candidats et sont prêts à négocier le salaire et les conditions de travail. Même au niveau des exigences académiques ou relatives aux compétences, les employeurs du Québec sont prêts à faire des concessions en choisissant un candidat n'ayant pas nécessairement les connaissances ou les compétences et offrir la formation en milieu de travail.

Pour une personne judiciarisée qui veut se trouver un emploi et changer sa vie, la situation semble être parfaite. Pourtant, on se rend vite compte que les statistiques de la dernière année sont loin d'être encourageantes. Seulement pour l'Outaouais, l'organisme le Centre de placement spécialisé du Portage, qui se spécialise dans l'intégration des personnes judiciarisées en emploi, a enregistré une chute du taux d'embauche de sa clientèle d'environ 14%. Comment est-ce qu'en contexte de rareté de main-d'œuvre cela peut être possible?

D'abord, parlons-en du contexte de rareté de main-d'œuvre. Presque à toutes les semaines, les médias nous parlent du manque d'employés disponibles pour pourvoir des postes de tous genres et dans à peu près toutes les régions du Québec. On parle énormément de l'intégration de la jeunesse, des immigrants, des femmes sur le marché du travail, mais qu'en est-il des personnes contrevenantes? Malgré toutes les initiatives au Québec pour aborder la réhabilitation sociale, on peut parler notamment de la campagne #voirlescompétences du Comité consultatif sur la clientèle judiciarisée adulte, ou encore de la Semaine de la réhabilitation sociale créée par l'Association des services de réhabilitation sociale du Québec, l'intégration des personnes judiciarisées sur le marché du travail n'a obtenu qu'une faible proportion de l'attention médiatique au Québec. Ça fait penser! Et si on changeait les faits divers pour des histoires à succès en matière de réhabilitation sociale? Parce qu’à toutes les fois qu'il y a un article concernant un crime ou un criminel notoire, c'est les personnes qui tentent de se réhabiliter qui en paient le prix.

Et l'État dans tout ça? Le ministre de l'Emploi, du Travail et de la Solidarité sociale, monsieur Jean Boulet, reconnaît l'importance d'intégrer les personnes judiciarisées sur le marché du travail et nous soulignons d’ailleurs son engagement à parler publiquement de ce bassin de main-d'œuvre. Il reste par contre énormément de travail à faire pour assurer l'intégration et le maintien en emploi des ex-contrevenants. Notamment, reconnaître qu'il s'agit d'une clientèle complexe, éloignée du marché du travail, qui nécessite énormément de travail d'intervention en matière de réhabilitation sociale, en créant une mesure d'aide à l'emploi spécifique à la clientèle judiciarisée avec un financement approprié. Aussi, considérant le contexte du marché du travail, le financement de projets qui privilégient l'intervention en triade, Intervenant-Employé-Employeur, permettrait une meilleure intégration et un maintien à l'emploi des personnes judiciarisées.

Le gouvernement fédéral vient quant à lui donner un sévère coup de barre à la réhabilitation des ex-contrevenants en augmentant les frais associés à la demande de suspension du casier judiciaire. En visitant le site internet de la Commission des libérations conditionnelles du Canada, on apprend qu'au 31 mars 2020, les frais pour la demande de suspension du casier judiciaire augmenteront de 13,88$ pour un total de 644,88$. Bien que l'augmentation puisse sembler marginale, la suspension du casier judiciaire reste un outil primordial à la réhabilitation des personnes avec un casier judiciaire. Lorsqu'une personne avec un casier judiciaire vit de l'aide sociale et que le seul obstacle à l'intégration du marché du travail est le casier judiciaire, que la seule avenue possible est la suspension du casier et que cela lui est financièrement impossible à obtenir, c'est une sentence collective que l'on s'inflige. Un calcul rapide et non scientifique est facile à faire pour constater qu'une personne prête à intégrer le marché du travail et qui a besoin de la suspension du casier judiciaire devrait être admissible gratuitement à ce service. Elle pourra contribuer beaucoup plus rapidement au trésor public que de rester involontairement prestataire d'aide sociale.

Alors, comment s'assurer que les personnes judiciarisées puissent aussi profiter du contexte de rareté de main-d'œuvre pour se réhabiliter et s'intégrer à la société? Tout le monde doit contribuer pour sensibiliser et informer les Québécoises et les Québécois des avantages à permettre aux ex-contrevenants d'intégrer le marché du travail. La stabilité financière, le bien-être que l’on ressent de fréquenter de nouveaux amis et collègues, l'émancipation de faire quelque chose que l'on aime et quelque chose de bien, sont des conditions gagnantes à la réhabilitation sociale d'une personne.

Est-ce que le contexte de rareté de main-d'œuvre est favorable à l'intégration des personnes judiciarisées au marché du travail? La réponse est oui, mais avec une volonté sociétale de le faire.