Revue Porte Ouverte

Miser sur l’emploi pour se réintégrer en communauté

Par Alexandre Audesse,
Chaire de recherche du Canada en traditions juridiques et rationalité pénale, doctorant en criminologie — Université d’Ottawa

La victime au temps du populisme

D’un côté de l’Atlantique le triomphe de Donald Trump et Jair Bolsonaro, de l’autre coté la victoire du Brexit et la montée du Front national, le spectre du populisme hante le monde occidental. Certains vont même affirmer que le populisme serait pour le XXIe siècle ce que le totalitarisme aura été pour le XXe siècle : le principal danger pour la démocratie. Bien que ce spectre n’ait pas encore assombri la politique canadienne dans sa généralité, le populisme semble avoir trouvé un terreau fertile pour prospérer au sein de la justice pénale canadienne, et ce, principalement pendant l’ère Harper.

Dans le champ pénal, le populisme se matérialise généralement à travers la mise en place de politiques qui visent à durcir le régime pénal au nom du peuple et des victimes et dont le but ultime est l’acquisition d’un capital politique; politiques qui sont donc érigées en dépit des savoirs acquis et qui n’ont également que peu de considération pour leurs effets projetés (ex. dissuader de potentiels contrevenants). Plus précisément, le populisme pénal est un outil de régulation des peurs collectives qui se caractérise par la promotion ou la passation d’une politique ou d’une série de politiques populaires axées sur des peines plus sévères, des peines présentées comme étant une réponse aux opinions publiques, et ce, qu’elles soient exprimées ou non. En ce sens, les politiciens usant de populisme pénal tentent de s’attirer un capital politique en misant sur la peur relative à la criminalité et en l’exacerbant. Les politiques populistes légiférées le sont malgré leur manque de légitimité scientifique et reposent plutôt sur un registre émotionnel, s’abreuvant d’une dévaluation de l’appareil pénal jugé comme partial puisqu’il favoriserait les personnes criminalisées aux dépens des victimes et des citoyens respectueux de la loi.

Il est possible de repérer plusieurs éléments du populisme pénal dans la longue série de réformes pénales qui a poussé le Canada sur le chemin de la sévérité sous le joug du gouvernement Harper. En raison de l’espace accordé à cet article, il serait impossible de détailler chaque contour de l’ancrage populiste du gouvernement Harper, et plus largement de déployer une analyse exhaustive des multiples dimensions du populisme pénal. Cet article tourne donc son regard sur l’aspect victimaire du populisme pénal, et ce, afin d’illustrer comment le populisme pénal n’en vient qu’à instituer une fausse illusion d’antagonisme entre la victime et la justiciable. À la suite de la description de cet empêchement victimaire, cet article se pose également la question de savoir si cette illusion transcende les dires et politiques des acteurs populistes et plus précisément si la punition constitue l’unique médium afin de reconnaitre l’expérience des victimes.

La « construction de la victime » au sein du populisme

Les assises juridiques canadiennes sont fondées sur la conception qu’un crime constitue une violation de la loi à l’encontre de l’État et non aux dépens de la victime elle-même. Conséquemment, la dette que représente la punition s’avère davantage modulée par la gravité de la transgression de la norme sociale que par la gravité des lésions subies par la victime. S’opposant à cette tradition, le populisme pénal va, lui, élever la victime en qualité de nouveau symbole autour duquel se devrait de graviter la réponse pénale. Or, n’importe quelle victime de crime n’est pas édifiée au rang de symbole par les acteurs populistes, ceux-ci tendent à ne promouvoir que les victimes aux aspirations vindicatives. Les acteurs populistes mettent effectivement de l’avant l'idée que les victimes sont un bloc monolithique dont les intentions et les désirs sont tournés vers la punition des accusés. Or, cette conception des victimes s’avère plutôt restreinte puisque bien qu’il soit avéré que certaines victimes aient véritablement des doléances répressives et carcérales, un nombre considérable d’entre elles ne manifestent aucune soif répressive. Certaines victimes vont également jusqu’à s’opposer à l’infliction de peines comminatoires en leur nom.

Se souciant peu d’une telle nuance, les acteurs populistes vont avancer que l’expérience, les droits et les revendications des victimes sont dépréciés dans la mesure où la justice pénale est décrite et perçue comme étant laxiste envers les condamnés. Lorsqu’il est question de mobiliser la victime au sein du populisme pénal, on peut donc affirmer que les populistes semblent davantage intéressés dans l’accroissement des châtiments envers les accusés que dans le soutien concret des victimes. À terme, au sein du populisme pénal, les réformes pro-victimes culminent en des mesures contre les accusés et non pour les victimes.

Une question demeure toutefois; soit est-ce que la perception des victimes comme étant un bloc vindicatif qui aspire indubitablement à un durcissement du régime pénal est l'unique fait des acteurs politiques qui brigue les suffrages populaires ?

La réponse à cette question est non. Plusieurs d’entre nous, que nous soyons néophytes, intervenants ou chercheurs, avons parfois cette impression, plus ou moins explicite, que la reconnaissance des torts subis par la victime passe nécessairement par l’affliction d’une sentence sévère. À titre d’exemple, lors du mouvement #MeToo, plusieurs ont ouvertement souhaité que la justice pénale sévisse plus fortement au nom des multiples victimes ayant eu le courage de dénoncer leur(s) agression(s). Sans affirmer ou infirmer que les personnes accusées d’agression sexuelle se doivent ou non d’être frappées lourdement par la justice pénale, soulignons qu’il appert quelque peu contradictoire pour l’intervenant ou le chercheur de critiquer ouvertement l’emprisonnement de certains pour par la suite demander une force de frappe pénale plus élevée pour d’autres. À la lumière de cette contradiction, on peut donc se demander s’il existe des moyens de reconnaitre l’expérience des victimes autres que la punition et la sévérité pénale ? Cette fois, la réponse est oui !

Reconnaitre et supporter la victime : la punition nécessaire?

Pour les intervenants et les experts du domaine, il existe une certaine difficulté à conjuguer la reconnaissance de la victime et nos perceptions négatives à l’endroit de la sévérité pénale et de l’incarcération. Afin de dénouer un tel nœud, il s’avère intéressant de porter notre regard sur certaines pratiques de justice alternatives telles que les mesures de réconciliation qui ont suivi le génocide rwandais. De telles mesures démontrent qu’il est possible de reconnaitre l’expérience des victimes sans nécessairement parler toujours, et toujours plus, de prison. Plus précisément, dans le climat post-génocide qui a laissé la communauté tutsie meurtrie, des campagnes furent lancées afin d’inciter les Hutus ayant commis des crimes à plaider volontairement coupables, à demander le pardon aux victimes et à tenter de réparer les torts causés, et ce, en échange d’un allégement de peine ou d’une absolution (selon la gravité du crime). Dans un tel cas, plutôt que de réprimer et punir pour reconnaitre les torts causés aux victimes, les autorités rwandaises ont mis en place des pratiques qui visaient le closure, la réparation et la guérison des victimes et qui cherchaient plus largement à reconstruire des liens sociaux. Certains pourraient toutefois arguer que l’exemple du Rwanda est un cas particulier de victimisation. Or, un tel argument n’invalide pas les propos avancés, bien au contraire, celui-ci les renforce dans la mesure où l’expérience des victimes s’avère toujours singulière. Effectivement, affirmer que la punition constitue la seule modalité de reconnaissance de l’expérience des victimes constitue une négation de la complexité des besoins et des doléances des victimes qui ne représente pas, comme il fut avancé préalablement, un bloc monolithique.

Qui plus est, au-delà des demandes des victimes, il serait également pertinent de penser aux besoins des victimes et à l’efficacité de la punition sur le processus de guérison. À titre d’exemple, si l’acteur populiste mobilise la victime lorsqu’il est question de la peine, celui-ci ne parle que très peu, voire pas, du processus de guérison de la victime à la suite du prononcé de la sentence….

Repenser le traitement des victimes constitue une discussion très délicate dont les nuances peuvent difficilement être abordées dans un si cours billet. Cet article aspirait à illustrer comment nous sommes à risques, chercheurs ou intervenants, de succomber à nos instincts de vengeance et adhérer à la rhétorique populiste selon laquelle la victime est en quête de vengeance et s’avère donc oubliée dans la mesure où la justice pénale serait prétendument laxiste. Évidemment certaines victimes ont bel et bien une soif de répression; affirmer le contraire serait tout autant fallacieux que les arguments populistes. Or, lorsqu’il est question de mieux supporter les victimes au Canada, il serait peut-être temps, après avoir embrassé inefficacement la sévérité pénale pendant les années Harper, de réfléchir au fait que la victime est peut-être davantage oubliée du fait que nous nous préoccupons peu du vécu et de la guérison de la victime avant et après la sentence et par voie de conséquence de commencer à enseigner et à transmettre que la punition n’est peut-être pas non plus le remède magique tel que promu par les acteurs populistes.


Les informations qui sous-tendent ce texte ont été retirées d’une recherche réalisée dans le cadre de maîtrise. Pour un portrait plus détaillé de l’instrumentalisation de la victime et des autres aspects du populisme pénal, voire ma thèse de maîtrise intitulée Dérives et misères populistes : analyse des politiques pénales érigées, modifiées et abrogées sous le gouvernement de Stephen Harper, 2006-2015, disponible en libre accès sur le Corpus ULaval : https://corpus.ulaval.ca/.