Revue Porte Ouverte

Miser sur l’emploi pour se réintégrer en communauté

Par France Bédard,
directrice d'Opex’82 pour les régions de Laval, Laurentides et Lanaudière

Plus de 40 ans d’histoire pour les organismes spécialisés dédiés au développement de l’employabilité des personnes judiciarisées au Québec !

Les services de main-d’œuvre adaptés aux besoins et à la problématique particulière de la réinsertion au travail des personnes judiciarisées adultes sont mis en place à travers la province dès 1973. En fait, le tout débute par le biais du programme « Extension » de la Commission d’Emploi du Canada. Les organismes communautaires responsables de ces services développent, au fil des ans, leur expertise en matière de justice pénale, en délinquance adulte, en connaissance du marché du travail bref, en réinsertion socioprofessionnelle et communautaire des personnes judiciarisées adultes. Ils travaillent de concert avec les réseaux correctionnels tant provincial que fédéral et le réseau communautaire référent. Leur objectif premier est d’améliorer les compétences personnelles et professionnelles des personnes contrevenantes afin qu’elles puissent décrocher un emploi et se maintenir au sein du marché du travail. Les résultats probants qu’ils obtiennent font en sorte que ces services sont graduellement offerts à davantage de personnes ex-détenues ainsi que celles détenues dans les pénitenciers fédéraux, une partie du financement provenant également du Service correctionnel du Canada. Dès lors, il ne fait nul doute que l’occupation d’un emploi représente un des facteurs clés dans la réussite de la réinsertion sociale des personnes judiciarisées et contribue à diminuer les risques de récidive.

Vers la fin des années quatre-vingt-dix, le Québec vit une transformation majeure sur le plan des services d’emploi. Une entente Canada-Québec sur le marché du travail est signée à la suite des démarches du gouvernement du Québec pour rapatrier les services de main-d’œuvre à la province. Il en résulte l’adoption de la Loi sur le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale qui conduit à la création de la Commission des partenaires du marché du travail (CPMT) en juin 1997. La CPMT mettra en place des comités « aviseurs » pour des clientèles particulièrement éloignées du marché du travail donc, à risque d’exclusion. Les organismes spécialisés en employabilité auprès des personnes judiciarisées adultes recommandent à la CPMT la création d’un comité « aviseur » destiné à la clientèle judiciarisée adulte. Ce comité, aujourd’hui le comité consultatif clientèle judiciarisée adulte (CCCJA), est mis en place en décembre 1997. Son mandat est d’émettre des avis à Emploi-Québec concernant les mesures et services d’emplois destinés à la clientèle judiciarisée. C’est officiellement en avril 1998 que l’agence Emploi-Québec, une unité autonome de services, est créée.

Graduellement, les Centres locaux d’emploi (CLE) sont déployés à travers le Québec. Emploi-Québec entreprend une vaste réorganisation des services publics d’emploi et une refonte complète des mesures et services d’emploi. En mars 1999, le ministère de l’Emploi et de la Solidarité publie l’énoncé d’orientations intitulé Le recours aux ressources externes pour la prestation de services à la main-d’œuvre par les centres locaux d’emploi (CLE)1. Un des premiers avis du CCCJA porte d’ailleurs sur cet énoncé et évoque l’importance de nommer la clientèle judiciarisée au même titre que les autres clientèles considérées à risque d’exclusion et fortement défavorisées sur le plan de l’emploi. Le CCCJA s’assure ainsi que la clientèle judiciarisée continue à bénéficier des services d’emploi adaptés et répondant à ses besoins. Le succès de sa réinsertion sociale en dépend largement.

Cette période est plus difficile pour les organismes spécialisés, car les façons de faire d’Emploi-Québec demandent de nombreux ajustements : passage au coût forfaitaire basé sur un nombre d’heures d’intervention, références d’Emploi-Québec versus recrutement direct de la clientèle, indicateurs de production et d’impact ciblés ou suivis pour n’en nommer que quelques-uns. Plusieurs changements sont requis et la décentralisation des services publics d’emploi de même que celle des budgets amènent une diversité de visions et d’interprétations. Pour les organismes en employabilité du Québec, incluant ceux dédiés à de la clientèle judiciarisée, le partenariat souhaité avec Emploi-Québec n’apparait pas toujours comme étant au rendez-vous ou, certains diront, est à géométrie variable selon la région.

C’est en 2006 que la compétence et l’importance des ressources communautaires en développement de l’employabilité sont reconnues formellement par Emploi-Québec, cela, par le biais du Protocole de reconnaissance et de partenariat entre Emploi-Québec et les organisations communautaires œuvrant en employabilité2. Les services de main-d’œuvre spécialisés auprès de la clientèle judiciarisée peuvent donc poursuivre leurs objectifs principaux : atténuer les valeurs, les attitudes et les comportements criminogènes; favoriser le développement de l’autonomie des personnes judiciarisées adultes relativement à leur choix de carrière; améliorer leurs compétences; développer leurs habiletés à la recherche d’emploi; favoriser l’intégration progressive en milieu de travail et le maintien en emploi.

De son côté, le CCCJA rédige et dépose en 2000, une « Stratégie nationale pour la clientèle judiciarisée » auprès d’Emploi-Québec. Une des recommandations porte sur l’implantation de services d’emploi dans les établissements de détention du Québec. La stratégie n’est pas adoptée, mais le CCCJA est consulté au sujet de la création d’une entente interministérielle entre le ministère d’État du Travail et le ministère de la Sécurité publique. Une première entente triennale entre ces deux ministères voit le jour le 1er avril 2001. Elle a notamment pour objet de : « • prendre les actions requises pour que les personnes incarcérées dans toutes les régions du Québec puissent avoir accès aux services d’Emploi-Québec, et ce, dans une perspective de réinsertion sociale et professionnelle efficace; • s’assurer que les services offerts soient adaptés aux besoins spécifiques des personnes incarcérées et à l’environnement dans lequel ils se donnent; • favoriser la continuité de la démarche d’accompagnement depuis les établissements de détention jusqu’à la communauté, et ce, en lien avec les interventions des autres ministères auprès de cette clientèle.»3. À partir de ce moment, les organismes spécialisés en employabilité auprès de la clientèle judiciarisée signent des ententes avec Emploi-Québec afin de dispenser des services en employabilité dans les établissements de détention du Québec. À ce jour, ces services sont toujours offerts.

Ainsi, les années 2000 donnent lieu à des services d’employabilité plus complets pour les personnes judiciarisées au Québec. Elles reçoivent un accompagnement soutenu dans leur intégration ou réintégration au sein du marché du travail, qu’elles soient sous juridiction provinciale ou fédérale, détenues ou ex-détenues ou purgeant une sentence dans la communauté. Au cours des années 2010, le Service correctionnel du Canada abolit les services d’employabilité dispensés auprès des individus incarcérés dans les établissements fédéraux du Québec. Il devient alors plus difficile pour ces personnes de planifier et d’amorcer, à l’approche de leur libération, une démarche en vue d’un retour sur le marché du travail. Au bout du compte, la clientèle fait les frais de cette coupure alors que l’emploi est gage de succès pour leur réinsertion sociale et communautaire. Quelques projets complémentaires à ceux financés par Emploi-Québec subsistent tout de même et permettent à une partie de ces organismes de maintenir des effectifs suffisants et offrir un service d’employabilité aux personnes judiciarisées qui en font la demande. Considérant le fait que «[…] les services de développement de l’employabilité des personnes judiciarisées adultes s’avèrent très rentables pour les gouvernements et ce, même quand on ne tient compte que des recettes fiscales accrues résultant de l’intégration en emploi d’une partie de la clientèle[…] si l’on prend en compte l’allègement de la charge imposée aux programmes d’aide sociale ainsi qu’aux systèmes de santé, de justice et d’incarcération[… ] et […] qu’on tient compte des bénéfices et des autres avantages qu’apporte la disponibilité de ces services pour les personnes judiciarisées, pour leurs proches, pour les employeurs et pour la société en général […] le bénéfice social net de ces services s’élève à 23,7 millions $ dès la première année et à 834 millions$ en longue période » 4(30 ans) il semble tout indiqué de maintenir l’ensemble des services d’employabilité.

Que nous réservent les années 2020 ? Souhaitons que le financement de ces organismes soit à la hauteur des services dispensés pour rejoindre le plus grand nombre de personnes judiciarisées et développer des projets novateurs d’accompagnement vers un retour et un maintien en emploi. Ainsi, ils pourront continuer à contribuer non seulement aux succès de la réinsertion sociale et communautaire des personnes judiciarisées adultes, mais également à celui des entreprises qui peinent à combler leurs besoins de main-d’œuvre.

Pour des informations supplémentaires, vous pouvez consulter le site du CCCJA au www.infocccja.org



1.https://www.emploiquebec.gouv.... p: 5
2.https://www.emploiquebec.gouv.... nes/7_4_Protocole_de_reconnaissance_et_de_partenariat/Protocole.pdf p: 5
3 http://www.cccja.org/wp-conten... p: 8
4 CCCJA, Impacts économiques et sociaux des services d’emploi spécialisés pour les personnes judiciarisées adultes, étude réalisée par Jean-Claude Cloutier, économiste-conseil, mars 2014 conclusion : page 41