Revue Porte Ouverte

Miser sur l’emploi pour se réintégrer en communauté

Par Yan Chantrel,
Coordonnateur au Comité consultatif pour la clientèle judiciarisée adulte

Retour sur la campagne de sensibilisation du Comité consultatif pour la clientèle judiciarisée adulte auprès des employeurs pour l’embauche des personnes judiciarisées

La pénurie de main-d’œuvre qui prévaut actuellement au Québec oblige les entreprises à repenser leur recrutement et leurs stratégies de rétention de leur personnel. Ainsi les recruteurs doivent faire preuve d’innovation et de souplesse. Comme cela a été documenté dans un avis du comité consultatif pour la clientèle judiciarisée adulte (CCCJA)1, la clientèle judiciarisée s’avère une solution pleine de bon sens pour combler les besoins d’effectifs.

La clientèle judiciarisée adulte, représentant environ 14 % de la population québécoise, peut contribuer au succès des entreprises du Québec afin que tous – les gouvernements, les employeurs et la clientèle judiciarisée – puissent en bénéficier, de manière fiscale et sociale. L’insertion, la réinsertion et le maintien en emploi des personnes ayant des antécédents judiciaires contribuent grandement au succès de leur réinsertion sociale et constituent un des moyens efficaces d’éviter la récidive. La nécessité de se loger, d'avoir un réseau social et un emploi sont des éléments fondamentaux qui contribuent pleinement à la réinsertion sociale des individus. Par ailleurs, trouver un emploi peut être une condition de libération, d’autant plus que cela est souvent une façon pour les personnes judiciarisées de socialiser, de se reconstituer un réseau social et de reconnecter avec des gens.

Malheureusement, la clientèle judiciarisée fait encore face à de nombreux préjugés, ce qui constitue un frein important lors du processus d’embauche. Selon un diagnostic, en regard de l’employabilité de la clientèle judiciarisée adulte, réalisé par le CCCJA2 auprès de 114 entreprises de la région de la Mauricie en 2000, 72% des employeurs interrogés manifestaient des réticences à embaucher des personnes ayant un casier judiciaire. Dans la région de l’Outaouais en 2018-2019 sur plus d’une centaine d’entreprises sollicitées par le Centre spécialisé du portage (CPSP), seulement 40 employeurs acceptaient d’embaucher de la main-d'œuvre judiciarisée. Cela démontre qu’au fil des années le casier judiciaire demeure l’obstacle majeur pour l’intégration sur le marché du travail des personnes ayant des antécédents judiciaires.

D’ailleurs certains milieux sont également plus réfractaires que d’autres, tels que les milieux médicaux, aéronautiques, les grandes entreprises, les sous-traitants de firmes américaines, les compagnies de sécurité, les banques et la sécurité informatique. Les raisons de ces refus d’aller de l’avant sont variées : crainte d’être victime d’un crime en milieu de travail, présomption de problématiques comportementales avec les exigences de l’entreprise (violence, problème d’attitude, consommation d’alcool, toxicomanie et autres), règles de sécurité imposées par les politiques de la compagnie, à cela s’ajoutent parfois une peur pour la réputation de l’entreprise. Cette situation témoigne souvent d’un manque de confiance envers les personnes judiciarisées et de l’absence de prise en compte du cheminement personnel des individus. La personne judiciarisée gardant ainsi la marque indélébile de son casier judiciaire.

Plusieurs études ont prouvé que l’existence d’un casier judiciaire était un facteur nuisant grandement à la recherche d’emploi. À lui seul, il diminue au moins de moitié les chances d’obtenir un emploi ; dans certains cas, ce pourcentage augmente jusqu’à 80%. L’usage que l’on fait actuellement du casier judiciaire dans le processus de recrutement est largement discriminatoire, pris hors contexte et sans évaluation réaliste de l’influence des antécédents par rapport aux habiletés pour occuper l’emploi.

Face à ces enjeux et afin de permettre une plus grande intégration des personnes judiciarisées sur le marché du travail, le comité consultatif a lancé une campagne de sensibilisation à l’occasion de la semaine de la réhabilitation sociale en octobre 2019 afin que la population fasse preuve d’ouverture d’esprit, d’écoute et de sensibilité envers les individus qui méritent un nouveau départ. La campagne a pour slogan « Laissons les barreaux derrière », #voirlescompétences. Le but de cette campagne est également de rappeler que derrière chaque dossier criminel, il y a un être humain.

Cette campagne de sensibilisation s’est déroulée sur les réseaux sociaux (Facebook, LinkedIn) et a permis à notre comité de donner de la visibilité à la nécessité d’une plus grande intégration des personnes judiciarisées sur le marché du travail. Plusieurs entrevues ont été effectuées dans différents médias au Québec par les co-porte-paroles désignés par le CCCJA, Daniel Benson et le coordonnateur du comité, permettant ainsi une large diffusion du slogan “Laissons les barreaux derrière” et “voir les compétences” au Québec. De plus, un site internet dédié aux employeurs http://voirlescompetences.cccj... est en ligne afin de les informer notamment sur la situation actuelle, les retombées positives de la réinsertion sociale des personnes judiciarisées sur le marché du travail ainsi que la mission du CCCJA.

Cette campagne a permis de rappeler aux employeurs la législation en matière d’embauche des personnes judiciarisées à travers l’article 18.2 de la charte québécoise des droits et libertés qui stipule que « Nul ne peut congédier, refuser d’embaucher ou autrement pénaliser dans le cadre de son emploi une personne du seul fait qu’elle a été déclarée coupable d’une infraction pénale ou criminelle, si cette infraction n’a aucun lien avec l’emploi ou si cette personne en a obtenu le pardon. »

Des affiches et des encarts ont été édités pour permettre aux différents organismes membres et ceux parrainés par le CCCJA d’effectuer de la sensibilisation auprès des entreprises de leur région. Ces organismes font également de la sensibilisation sur le terrain à travers des salons de l’emploi, des portes ouvertes et autres évènements liés à l’employabilité de cette clientèle. Lorsqu’une entreprise souhaite embaucher des personnes ayant des antécédentes judiciaires, elle peut bénéficier de services d’appariement et d’accompagnement de la part de ces organismes spécialisés. Cela permet d’établir des critères d’embauche spécifiques répondant aux besoins de main-d’œuvre de l’entreprise et d’accompagner l’employeur pendant la période d’intégration et de maintien en emploi de la personne retenue. Lorsqu’il y a lieu, l’organisme peut guider l’employeur vers Services Québec notamment pour l’obtention de subventions ou pour d’autres services.

Toutes les informations concernant les travaux du CCCJA sont disponibles sur le site : www.cccja.org


1. La clientèle judiciarisée, un bassin de travailleurs pour le Québec (2017)

2. Diagnostic en regard de l’employabilité de la clientèle adulte de la région de la Mauricie (2000)