Revue Porte Ouverte

La nouvelle loi sur les services correctionnels : se donnera-t-on les moyens?

Par Johanne Vallée

Sandrine Maiffret

et Geneviève Tavernier

Entrée en vigueur de la nouvelle loi régissant le système correctionnel

La nouvelle Loi régissant les Services correctionnels du Québec entrera en vigueur dès cet automne, mais permettra-t-elle de corriger les lacunes qui ont été dénoncées par le rapport Corbo? Telles sont les préoccupations des membres de l’Association des services de réhabilitation sociale du Québec, préoccupations qui ont fait le sujet d’un mémoire présenté au ministre de la Sécurité publique, Normand Jutras, en Commission des institutions, en février 2002.

Sans relâche, depuis 1993, l’ASRSQ est intervenue afin que des changements soient apportés au système actuel, de manière à assurer une plus grande cohérence et plus de rigueur dans la gestion des sentences afin que des drames comme celui ayant coûté la vie à Alexandre Livernoche ne se reproduisent pas.

Mais comment cette construction législative va-t-elle se traduire concrètement dans le quotidien et permettre à l’ensemble des intervenants de contribuer à l’objectif visé? Or, voilà qu’une analyse serrée de la loi montre des écueils de taille.

Il est important de souligner que le texte de loi conserve son titre d’origine, soit Loi sur le système correctionnel du Québec. La suggestion de l’ASRSQ n’a donc pas été retenue qui consistait à ajouter et la mise en liberté sous condition afin d’englober les fonctions, et des services correctionnels et ceux de la Commission québécoise des libérations conditionnelles, que le législateur inclut dans ce texte.

Dès le départ, l’objet et les principes de la loi suscitent des réserves quant à l’emphase prépondérante mise sur la protection du public. Cette emphase risque d’avoir des effets pervers au plan décisionnel. En effet, l’expérience vécue avec les détenus fédéraux démontre que lorsque ce principe a complète préséance sur celui de la réhabilitation, il conduit à des remises en liberté tellement tardives que les intervenants n’ont plus le temps nécessaire pour vérifier les acquis et les changements au niveau du comportement des individus et sont alors privés de toutes possibilités d’intervention de nature correctives et préventives.

Par ailleurs, on remarque que le terme prévenu a disparu du vocabulaire et que le législateur ne parle plus que de personnes contrevenantes. Faut-il voir ici la volonté du législateur d’écarter les personnes prévenues de cette réglementation ou le désir d’englober à la fois, sous une même dénomination, les personnes en attente de procès (et présumées innocentes jusqu’à preuve du contraire) et celles reconnues coupables? Dans les deux cas cette suppression génère une certaine confusion que seule la Charte des droits et libertés de la personne peut corriger. Encore faudrait-il que tout le monde la connaisse bien!

Quand il s’agit du système correctionnel il s’agit, dans les faits, de contrôle social et le législateur doit être précis quant aux paramètres qui détermineront la prise en charge des individus et qui guideront l’actualisation de la loi dans le but d’éviter l’arbitraire et le discrétionnaire.

Une lueur d’espoir!

Article 1 : une plus grande considération de la personne contrevenante a été incluse dans cet article où il est désormais spécifié que tous les organismes intéressés au système correctionnel devront assurer la protection de la société dans le respect des droits fondamentaux des personnes contrevenantes.

Il est intéressant de noter là que la loi ne parle plus de tenir compte de leur capacité (…) à s’impliquer dans une démarche de réinsertion sociale, mais que le législateur fait preuve de sa croyance en la justice corrective puisqu’il affirme que la protection du public doit se faire en reconnaissant leur capacité à évoluer positivement.

Cette démarche apparaît comme une lueur d’espoir qui incite à penser que non seulement le législateur a réalisé que l’être humain est réhabilitable mais aussi que sa réhabilitation ne constitue pas une entrave à la protection de la société.

Article 2 : Dans son libellé cet article laisse entrevoir des répercussions déplorables puisque le nouveau texte stipule que la protection de la société est assurée par des mesures restrictives de liberté. On ne peut être contre la vertu et la protection de la société est une valeur fondamentale à préserver, mais ce n’est pas par la répression que les Services correctionnels seront en mesure d’offrir une réelle protection au public.

Tel que cet article est rédigé il semblerait que les services correctionnels devront s’orienter davantage vers un plus long enfermement des personnes contreve-nantes en dépit du fait maintes fois démontré que le prolongement de l’emprisonnement n’est pas une mesure dissuasive de récidive.

Il aurait été souhaitable qu’une approche équilibrée entre le risque de récidive que représente un contrevenant et sa faculté à se réhabiliter socialement transparaisse davantage à travers le texte de la Loi.

Les services correctionnels

La réhabilitation et la réinsertion sociale des contrevenants sont des objectifs louables, mais le succès est largement tributaire de trois conditions : l’évaluation, l’accès à des programmes de réhabilitation appropriés aux problématiques diagnostiquées et l’encadrement.

L’article 12 : Considérant que seule une bonne évaluation permettrait d’intervenir de façon appropriée auprès des personnes contrevenantes, il est regrettable de constater que certaines notions n’ont pas été précisées et que des critères n’ont pas été déterminés afin de parvenir à des évaluations uniformes.

Lorsque l’on parle d’évaluation on réfère nécessairement à des professionnels puisqu’il s’agit d’un diagnostic clinique. On réfère aussi à l’analyse de l’ensemble de la problématique délinquante, au risque de récidive et au potentiel de réhabilitation de la personne.

Dans l’Article 13 force est de constater qu’aucune précision n’a été apportée par rapport à l’expression problème de délinquance utilisée. Le législateur sous-entend-il qu’il s’agit là de la problématique d’un individu et non juste de son dernier délit? Si c’est le cas, la Loi n’apportera aucune avancée en ce domaine et tout espoir de procéder à des évaluations individuelles sera perdu.

Pourtant, l’évaluation est fondamentale puisqu’elle constitue le point de départ de toute intervention. Elle se doit d’être rigoureuse et uniforme à travers le Québec. Les professionnels de l’évaluation ne doivent pas être coincés par des réalités administratives et budgétaires. Ils doivent pouvoir agir avec une certaine indépendance et devraient être sous la responsabilité de la Commission québécoise des libérations conditionnelles, laquelle est indépendante des SCQ.

Programmes et services de soutien à la réinsertion sociale

Selon l’article 21, il semble que la fonction de traitement de la clientèle soit toujours exclue de la mission des SCQ, ceux-ci se contentant de faire de la sensibilisation. Ce sentiment est conforté par l’emploi de l’expression à prendre conscience. On ne sent pas la volonté d’assurer la réhabilitation de la personne. Le législateur semble se limiter à la prise de conscience. Or, la réhabilitation va bien au-delà de la prise de conscience : c’est l’intégration de valeurs qui va contribuer à un changement des comportements qui sera tangible.

De plus, en raison de la lourdeur de la clientèle confiée aux SCQ, la notion de prise de conscience apparaît insuffisante si on désire fermement éviter la récidive. Si on opte pour la protection de la société, on doit nécessairement opter pour la réhabilitation.

Or, dans la loi on ne dit plus que le ministre offre des programmes, mais qu’il favorise l’accès à des programme. Le terme favorise est moins convainquant. Signifie-t-il que le ministre est d’accord avec l’idée ou cela veut-il dire qu’il sera actif en la matière? Cela laisse place à interprétation sans traduire un engagement sérieux de sa part.

À l’article 23, il est déplorable que le ministre n’ait pas cherché à faire preuve d’un engagement plus ferme concernant l’implantation de services. Malgré la reconnaissance que celui-ci semble vouloir accorder aux organismes communautaires, il n’a pas profité de l’occasion pour affirmer de façon explicite l’octroi des programmes et services de soutien à la réinsertion sociale à ces organismes dont c’est la mission première.

Suivi dans la communauté

Enfin, et malgré le fait que le ministre prétend avoir accordé une place plus importante aux organismes communautaires, la lecture de certaines dispositions en fait malheureusement douter. À l’article 28, il est clair que le rôle des organismes communautaires demeure très restreint, subordonné et… secondaire.

Permissions de sortir

Passons maintenant à la remise en liberté. Le législateur a clarifié le pouvoir de la CQLC et celui du directeur d’établissement de détention, évitant ainsi toute confusion. Cependant il reste encore des éléments à préciser. Le pouvoir du directeur doit être davantage balisé, particulièrement en matière de permissions de sortir à des fins médicales mais, surtout, dans les cas de sorties à des fins de réinsertion sociale. Il doit être plus précis quant à l’encadrement qui sera disponible une fois la permission accordée.

Quant aux sorties pour des fins humanitaires, à l’article 49 il est spécifié qu’une demande par écrit devra être faite. Dans le contexte où de nombreuses personnes sont analphabètes, il est indispensable qu’un service d’aide à ces personnes soit prévu afin qu’elles puissent formuler leur demande et ne pas rendre cette mesure discriminatoire.

Enfin, l’article 52 prévoit les critères applicables à l’octroi d’une permission de sortir à des fins humanitaires, ce qui semble pertinent pour éviter tout risque de sorties abusives et non sécuritaires.

À l’article 53, il aurait été pertinent et approprié que le séjour d’une personne contrevenante dans une ressource communautaire d’hébergement accréditée figure à titre de motif d’octroi d’une sortie à des fins de réinsertion sociale.

L’article 56 note que l’objectif de protection de la société poursuivi dans l’examen d’une telle demande doit tenir compte à la fois du risque de récidive que représente le contrevenant mais aussi de son potentiel de réinsertion sociale. Toutefois un bémol laisse sceptique : il devra aussi être tenu compte des ressources disponibles. Des précisions sur ce point restent souhaitables.

Comité d’étude des demandes de sortie

Le directeur n’est pas lié par une recommandation du comité d’étude des demandes de sortie. Cette disposition de l’article 62 n’apparaît pas comme une garantie à une décision libre et objective de la part du directeur d’un établissement de détention, ce dernier ayant bien des aspects divergeants à gérer. Avec un tel libellé il est inévitable de voir l’aspect administratif prendre le pas sur l’aspect pénologique et aboutir à des situations désastreuses.

Et le communautaire?

Même si un chapitre complet de la loi est consacré aux organismes communautaires, ce n’est que du bout des lèvres que le législateur affirme cette volonté de s’associer la communauté. Ainsi est-il indiqué que le ministre peut conclure une entente, on parle d’organismes qui sont complémentaires aux SCQ ou d’organismes susceptibles d’offrir des services complémentaires.

Parmi les services offerts par les organismes communautaires aux contrevenants, plu-sieurs sont, non pas complémentaires, mais uniques. D’autre part, les services sont assurés par des professionnels et des bénévoles qui répondent à des normes d’accréditation.

L’héritage des échecs…

Les ministres qui se sont succédés à la tête du ministère de la Sécurité publique avaient l’habitude de dire que les SCQ héritaient des échecs des autres systèmes, faisant référence à la Santé, à l’Éducation et à la Famille. Effectivement, les personnes contrevenantes sont aux prises avec des difficultés importantes et le temps mis à la disposition des intervenants est très court dans le cadre des sentences provinciales.

Dans ce contexte il faut compter sur des évaluations rigoureuses, des programmes efficaces, des dossiers complets (et la mise en place d’un système informatique coûte très cher). Tout cela commande une mise de fonds importante.

La cause des délinquants n’est certes pas populaire et n’attire pas la sympathie du grand public qui revendique pour un meilleur financement du réseau de la Santé et des services sociaux, de l’Éducation et des Transports. Tous services utilisés par l’ensemble de la population.

Cependant, si on intervient auprès d’un contrevenant on intervient au plan de la santé mentale, de la santé physique, on intervient en prévenant la victimisation, on permet à des personnes de reprendre une place active au sein de la société et de briser leur dépendance face à cette dernière. Le financement adéquat des SCQ va nécessairement atténuer les coûts des autres ministères.

La question du financement est fondamentale pour assurer la réussite de la réforme du système correctionnel. Sans ressources additionnelles, il y aura d’autres situations déplorables et d’autres directives établissant des quotas limitant le nombre de personnes à détenir.

La balle est donc dans le camp du Conseil du Trésor qui devra réviser le mode de financement du système correctionnel en fonction du volume d’individus incarcérés et du nombre d’interventions requises.