Revue Porte Ouverte

Pourquoi les bénévoles?

Par François Bérard,
M. sc. Crim. Directeur général Maisons de transition de Montréal inc.

L’action bénévole auprès des contrevenants : une nécessité

Les membres de la communauté qui œuvrent bénévolement au sein d’un organisme communautaire ou d’une institution publique participent à la création du tissu social. Ils exercent alors, de façon tangible, leur citoyenneté. Souvent sans le savoir, ils contribuent ainsi à la réalisation du troisième terme de la devise «Liberté, Égalité, Fraternité» qui constitue une des assises de nos sociétés modernes.

Le travail bénévole s’inscrit au cœur de l’action communautaire autonome. En effet, ce sont les bénévoles des conseils d’administration qui fixent les grandes orientations des organismes communautaires. Dans le cas des institutions para-publiques (ex. : CLSC), le pouvoir décisionnel des bénévoles au sein des conseils d’administration est plus restreint, contraint par la Loi créant l’institution. Par ailleurs, les bénévoles qui participent au processus décisionnel au sein des institutions publiques, y assument essentiellement un rôle conseil.

Si l’action bénévole peut se vivre au niveau des instances décisionnelles d’une organisation, elle peut aussi s’exprimer au niveau du travail quotidien au sein d’un organisme. Ici, les bénévoles peuvent être appelés à jouer différents rôles : aidants naturels, animateurs, militants, conseillers, soutiens, etc. Tout dépend de la nature de l’organisme et de sa mission.

Dans le domaine de la justice pénale pour adultes, on retrouve relativement peu de bénévoles au niveau «décisionnel». Le caractère public, donc plus centralisé, des organisations policières, judiciaires et correctionnelles, réduit grandement les possibilités de participation bénévole à ce niveau. Au sein des organismes communautaires, la présence de bénévoles est essentielle au fonctionnement de l’organisme. C’est pourquoi chaque organisme dispose d’un groupe plus ou moins nombreux de bénévoles au sein de ses instances décisionnelles (assemblée des membres et conseil d’administration).

La grande majorité des bénévoles qui œuvrent au sein du système de justice pénale pour adultes se retrouve au niveau «opérationnel». Ceux-ci sont actifs très majoritairement dans le secteur correctionnel. On les retrouve tant dans des organismes communautaires dont les activités recoupent celles de ce secteur que dans des institutions publiques. Depuis 1988, notre organisme a repris l’accueil de tels bénévoles

Pourquoi avoir des bénévoles qui s’impliquent auprès de contrevenants adultes?

La participation bénévole dans les opérations quotidiennes de notre organisme se fait via les programmes Action volontaire Saint-Laurent et Soutien au bénévolat. Action volontaire Saint-Laurent a principalement pour but de contribuer à la création et au maintien chez les contrevenants d’un sentiment d’appartenance à la communauté en leur fournissant des opportunités de développer des liens significatifs avec des bénévoles agissant en tant qu’aidants naturels. Soutien au bénévolat vise à susciter et à soutenir une contribution maximale des membres de notre communauté à la réalisation de notre mission par le biais d’un engagement bénévole dans nos différentes activités (cliniques, communautaires, socio-politiques et administratives).

Plusieurs raisons justifient le choix d’intégrer des bénévoles dans nos activités. Il vise tout d’abord à combler le «besoin d’appartenance» de nos clients. À cet effet, nous avons remarqué que plusieurs de ceux-ci retournent tôt ou tard vers leurs «vieux amis», faute de la présence dans leur entourage de personnes significatives avec qui ils peuvent établir une relation amicale positive.

Nous souhaitons ensuite augmenter notre capacité d’aide auprès de nos clients en mettant à contribution les forces respectives tant de l’aide naturelle que de l’aide professionnelle. Nous cherchons aussi à offrir une possibilité additionnelle d’engagement social aux membres de notre communauté. Nous leur ouvrons ainsi la porte à une démystification de cette clientèle et à une meilleure compréhension du système de justice. Nous visons également à constituer une banque de bénévoles qui peuvent s’impliquer dans d’autres activités de notre corporation : événements d’éducation communautaire, prises de position publiques, organisation d’activités bénéfices, etc. Nous recherchons enfin à renforcer la légitimité de notre organisation.

Comment les utilise-t-on?

Nous avons des bénévoles qui offrent des services à l’Agence sociale Saint-Laurent (milieu ouvert), la Maison Saint-Laurent (milieu semi-ouvert) et à l’Établissement de détention de Montréal (milieu fermé). En tant qu’aidants naturels, ils font de l’écoute active, de l’accompagnement (ex. : sorties, recherche de logement), de l’animation de discussion de groupes et/ou de l’organisation d’activités de loisirs. Certains entretiennent également une correspondance avec des clients.

Nous recherchons des bénévoles qui font preuve d’ouverture d’esprit, sans toutefois tomber dans la naïveté. Nous misons sur le caractère «subjectif», «spontané» et «continu» de leurs relations avec nos clients. Ils sont donc invités à rester eux-mêmes dans leurs rapports avec ceux-ci.

Écueils à éviter?

Bon nombre d’écueils peuvent compromettre la réalisation d’un tel programme. Pensons uniquement à la réaction du personnel professionnel. À nos yeux, le principal obstacle demeure toutefois la réaction des clients eux-mêmes à l’égard des bénévoles. Rappelons que ces clients sont en relation avec des intervenants correctionnels, intervenants pénaux qui font, au mieux, de la relation d’aide dans un contexte d’autorité. Ces intervenants ont donc la délicate tâche d’adapter les niveaux d’aide et de contrôle à exercer en fonction des besoins spécifiques à chaque client. Dans ce contexte, le risque est très grand que les bénévoles en viennent à être perçus comme des délateurs au service de ces intervenants.

Ce faisant, on compromettrait un programme qui vise essentiellement à augmenter l’aide apportée à nos clients alors qu’on considère suffisant le contrôle déjà exercé par les professionnels. Une telle situation nous a donc conduit à assurer à nos clients la confidentialité de leurs conversations avec nos bénévoles. Les seules exceptions à cette règle générale concernent l’évocation d’idées suicidaires ou la révélation d’une récidive en cours de séjour.

Comment sont-ils perçus?

Nos bénévoles sont respectés tant par nos clients que par nos intervenants. Ils apportent une touche humaine au milieu par leur attitude accueillante et chaleureuse. Ce sont des confidents d’une grande valeur et des animateurs appréciés. Ils offrent une contribution des plus utiles tant en matière de réintégration socio-communautaire qu’en matière de réadaptation.

Toute proportion gardée, on retrouve moins de bénévoles dans le domaine de la justice pénale pour adultes que dans d’autres domaines. Pourtant, notre expérience terrain nous démontre qu’il existe au sein de la communauté un potentiel de bénévolat pour ce domaine beaucoup plus élevé qu’on se l’imagine.

Pour justifier une certaine inaction, on parle souvent de l’antipathie naturelle du public à l’égard des personnes contrevenantes. Pourtant, il est possible de mobiliser la communauté en misant sur la saine curiosité qu’éprouve une bonne partie de ses membres à l’égard des personnes contrevenantes.

Par ailleurs, il faut reconnaître que l’action bénévole fait encore peur. Elle fait aussi encore l’objet de préjugés. Mais beaucoup moins qu’avant. Le contexte a évolué. Il y a quinze ans, le bénévolat suscitait beaucoup d’hostilité chez les intervenants professionnels et les administrateurs. Aujourd’hui, on tolère sa présence. Comme «service», elle demeure toutefois encore peu intégrée au sein du système de valeurs des professionnels et des administrateurs de notre milieu. De l’hostilité, on semble être passé à une certaine forme d’indifférence…

L’action bénévole est nécessaire dans notre secteur d’activités. Elle est nécessaire dans la mesure où on souhaite apporter une réponse véritable aux besoins de nos clients. Elle est nécessaire aussi parce que seuls des citoyens bien informés peuvent être en mesure de faire la différence face au courant de droite qui se propage en ce moment à l’égard du système de justice pénale.

Pour que l’action bénévole puisse un jour porter tous ses fruits dans notre secteur d’activités, il faut secouer le climat de torpeur dans lequel on semble vouloir la confiner. Il est temps de passer de la «co-existence pacifique» à un véritable «partenariat» entre bénévoles et permanents. Il en va de même entre aidants naturels et professionnels.