Revue Porte Ouverte

Prison privée

Par Johanne Vallée,
Directrice générale ASRSQ

Éditorial - Jacques Dupuis à la Sécurité publique : La fin du casse-tête des services correctionnels du Québec?

Au cours des derniers mois, la folie furieuse a envahie l’univers correctionnel : la loi sur le système correctionnel du Québec traîne sur les tablettes, le spectre d’une prison privée rôde, et pour couronner le tout, la publication du livre de Yves Thériault, intitutlé Tout le monde dehors! accompagné de la série Enquêtes sur les libérations conditionnelles, diffusée les lundis sur Canal D. Bref, je n’en connaît pas un qui soit resté indifférent à tout ce boucan.

Même un de mes fils a fini par me dire : «Ouais, bien moi je crois qu’il s’en faut de peu pour que votre affaire de libération conditionnelle tire à sa fin!» Merci, cher enfant, mais ta mère n’a pas vraiment envie d’entendre ça ce matin! Quelques semaines plus tard, et il y a, enfin, un vent d’espoir qui souffle sur le milieu correctionnel du Québec. Il s’agit de la nomination de Jacques Dupuis à la tête du ministère de la Sécurité publique du Québec. Je profite donc de l’occasion pour le féliciter. Cette nomination associée bien entendu à celle de vice-premier ministre et de leader de l’Assemblée nationale, témoigne de la grande confiance que lui accorde Jean Charest. Suite à l’annonce de sa nomination, plusieurs ont fait état de leur satisfaction, car Jacques Dupuis est familier avec cet univers perturbé...

D’ailleurs, Yves Thériault en illustre, dans son livre, les pires lacunes et il a raison d’en être outré. Il reprend une bonne partie de l’analyse que l’ASRSQ avait elle-même développée au lendemain du meurtre d’Alexandre Livernoche. En bref, le système québécois doit être revu de fond en comble, en commençant par le partage des pouvoirs de remise en liberté entre les directeurs de prisons et la Commission québécoise des libérations conditionnelles (CQLC), en passant par l’amélioration de l’évaluation, de l’encadrement et des programmes de réhabilitation sociale. C’est pourquoi l’ASRSQ appuyait l’adoption de la nouvelle loi et continue d’en revendiquer l’implantation. Le scandale public provoqué par la sortie du livre aura-t-il pour effet d’en assurer la mise en oeuvre? Peut-être, mais à la condition que Jacques Dupuis évite le piège dans lequel Jacques Chagnon était tombé.

En effet, au lendemain du tapage médiatique entourant la publication de Tout le monde dehors!, Jacques Chagnon a rapidement conclu que la surpopulation est au coeur des motifs pour lesquels le meurtrier d’Alexandre Livernoche fut remis en liberté. Conséquemment, si nous souhaitons éviter une autre affaire aussi dramatique, le Québec doit augmenter sa capacité carcérale. Justement, l’argument qu’il fallait pour justifier la construction de la prison privée!

Le ministre Chagnon oubliait de mentionner que si Bastien avait été remis en liberté, c’est avant tout parce que le Québec avait fait le choix de gérer son budget par l’utilisation des absences temporaires. C’est aussi parce que les pouvoirs de remises en liberté de la CQLC et des directeurs de prisons se chevauchent. C’est également parce que les services correctionnels du Québec étaient et sont toujours sous financés et qu’à cette époque les évaluations des détenus étaient quasi nulles. Bref, l’affaire Livernoche c’est bien plus qu’un manque de places en prison.

Si aujourd’hui des correctifs importants ont été apportés au chapitre des absences temporaires (on note une réduction de 50 % de cette mesure) et que les évaluations se sont améliorées, les autres lacunes dénoncées demeurent et les Services correctionnels composent avec des problèmes pour lesquels le financement est inadéquat.

Nous nous permettons de suggérer au nouveau ministre, d’examiner plus à fonds le problème des Services correctionnels. Par exemple, avant d’investir dans le béton et dans un PPP qui finira par nous coûter quelque chose, parce que des cellules, même construites par le privé, se louent, le gouvernement devrait se pencher sérieusement sur l’ensemble des alternatives qui s’offrent. Et il y en a toute une panoplie, en débutant par 275 cellules qui sont disponibles au fédéral. Il y a aussi la possibilité de demander au secteur à but non lucratif de développer des foyers de cautionnement pour les prévenus. Cette formule déjà éprouvée ferait, semble-t-il, bien l’affaire de certains juges qui s’en remettent maintenant à la détention préventive depuis que Québec a mis la hache dans le financement des foyers de cautionnement. Aujourd’hui, l’augmentation des prévenus devient un argument pour justifier le besoin d’une prison privée.

Poursuivant sur la lancée des solutions alternatives, il y aurait lieu d’élaborer un plan concerté entre le ministère de la Sécurité publique et le ministère de la Santé pour assurer une prise en charge adéquate et durable des cas de santé mentale qui peuplent certains secteurs de nos prisons.

Bref, avant d’investir 100 millions de l’argent des contribuables québécois dans un projet qui ne fait ni l’unanimité, ni consensus au plan de la qualité des services et du contrôle des coûts, le ministre devrait s’asseoir et inviter ses proches collaborateurs à imaginer un univers correctionnel différent et plus performant. Et tout ça peut débuter avec 34 millions, montant suffisant pour implanter la loi et revamper les services correctionnels du Québec. C’est le prix à payer pour assurer la sécurité publique du Québec.