Revue Porte Ouverte

Prison privée

Par Le Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec

Avec son projet de privatisation : Québec fait fi de sa philosophie de réhabilitation

Fort de l’appui de tous ses membres, le Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec dénonce avec véhémence l’orientation du gouvernement libéral qui s’apprête à doter les Services correctionnels d’un mode de gestion en partenariat public privé. Un mode de gestion qui brille partout ailleurs par ses nombreux échecs. Le modèle de PPP dans le domaine de l’incarcération comporte de nombreux risques que ce soit pour la population, les personnes incarcérées et le personnel.

De plus, ce mode de gestion va à l’encontre de la philosophie de réhabilitation du Québec, valeur à laquelle nous avons adhéré depuis plusieurs années.

Nous savons tous que l’entreprise privée est redevable à ses actionnaires, à ses patrons ou ses propriétaires; sa mission, ses valeurs et son orientation visent le PROFIT. Cette motivation ne cadre aucunement avec le devoir du gouvernement qui est de voir à la sécurité publique, donc à protéger la population. Le devoir du gouvernement est également de voir au bien commun de la société québécoise ainsi qu’à la réinsertion sociale du contrevenant. Le recours à une entreprise privée pour la surveillance et la réinsertion sociale du détenu favoriserait les tentatives de corruption dans un milieu où le Code d’éthique fait force de loi. Qu’arrivera-t-il, si un jour, un groupe criminalisé devient actionnaire majoritaire de cette entreprise par l’entremise d’une compagnie à numéro?

Avons-nous vraiment besoin d’une nouvelle prison de 300 places et plus, et ce, au coût de 100 millions? Bien que le Ministre de la Sécurité publique prétende que les prisons sont surpeuplées à l’heure actuelle, avec quelque 4 000 détenus, tandis que la capacité normée est de 3 786 places dans la réalité, il en est tout autrement. Ces chiffres sont trompeurs, car la capacité normée réfère au nombre de places que le Conseil du trésor veut bien financer. Les données colligées laissent entrevoir qu’il y a actuellement 4 348 places (capacité totale). Donc, dans le réseau, il y a entre 400 et 450 places disponibles.

Le gouvernement aurait grand avantage à mettre en application la Loi 89 sur les Services correctionnels qui a été votée à l’unanimité il y a plus de deux ans, et ce, à la suite au décès tragique du jeune Alexandre Livernoche. La mise en application de cette loi permettrait un meilleur contrôle du processus des libérations conditionnelles; ce qui assurerait, par le fait même, une meilleure gestion des places en détention et un niveau de sécurité accru pour la population. Échelonnée sur plusieurs années, l’application de cette loi coûterait au total 30 millions. Le ministère de la Sécurité publique pourrait également conclure des ententes ponctuelles avec les Services correctionnels du Canada. Comme ce fut le cas au début des années 1990 (B-16 de Laval), cela afin de loger des incarcérés dans des bâtiments ou des secteurs inutilisés. Certains établissements de détention fermés pourraient être réaménagés et rouverts.

Plusieurs rapports émis ces dernières années formulaient au ministère de la Sécurité publique plusieurs recommandations dont il aurait dû tenir compte. Il s’agit, entre autres, du rapport du protecteur du citoyen en 1999 sur l’état des prisons, du rapport de Mme Anne-Marie David, coroner, des nombreux rapports sur les cas de suicide en détention, du rapport de M. Rolland Therrien (rapport sur la sécurité dans un centre de détention à la suite de la mort tragique d’un citoyen sur la Rive-Sud lors d’une évasion survenue à la prison de Bordeaux), le rapport Corbo suite à l’affaire Livernoche. Tous ces rapports vont pratiquement dans la même direction. Pour que le système correctionnel fonctionne, il est important qu’il y ait un nombre suffisant de personnel afin de répondre au besoin de la clientèle. Les services de santé, d’accompagnement et d’encadrement doivent être adéquats. Le privé ne peut garantir cela, car pour augmenter les profits l’on coupera dans ces services.

Le gouvernement du Québec, dans sa lancée sur les partenariats privés publics semble de plus en plus déterminé à donner en pâture à l’entreprise privée, les Services correctionnels. Même si la privatisation des prisons est un phénomène relativement nouveau en Europe et en Amérique du Nord, les indices sont révélateurs. En peu de temps, comme ce fut le cas pour la prison privée en Ontario en 2001, des scandales ont éclaté dans des institutions carcérales privées en Angleterre et aux États-Unis : fraudes, évasions, mauvais traitement, abus de pouvoir, drogues et prostitution. L’étude de Steven Nathan, journaliste-recherchiste anglais (Private Adult Correctionnal Facilities : Fine failure and dubious practices) ainsi que le rapport de l’Organisme des droits civiques américains démontrent cet état de fait.

Le nouveau défi des années 2000 pour les agents de la paix sera de maintenir la mission de protection civile et de réinsertion sociale avec une clientèle à haut risque et de composer avec un employeur qui tente systématiquement par la privatisation et les coupures budgétaires de briser une tradition et une expertise en matière de sécurité publique. Le combat pour le syndicat ne se traduit pas en terme de pertes de cotisations syndicales puisque, à la suite de la privatisation en Ontario de la prison de Penetanguishene en 2001, les agents de sécurité de cet établissement privatisé se sont rapidement ralliés au Syndicat déjà en place. Il s’agit plutôt de mission sociale et d’expertise qu’il nous faut conserver. Ce qu’il faut retenir de cette expérience en Ontario, c’est d’une part, le démantèlement d’une organisation à vocation, une organisation de service public liée à l’État qui doit, par conséquent, rendre des comptes à la population et d’autre part, les risques inhérents pour la population de confier cette mission au monde des affaires qui a comme seule véritable vocation le profit.

Est-ce que le Québec veut réellement confier la sécurité publique à un conseil d’administration d’une entreprise américaine, cotée en Bourse?