Revue Porte Ouverte

Prison privée

Par Jean-François Cusson,
Criminologue, ASRSQ

Prison pour une région en difficulté

En décembre dernier, lors de fermetures massives d’usines à Huntingdon, le maire Stéphane Gendron, pour relancer l’économie de sa municipalité, demandait au gouvernement québécois d’y implanter la prison privée projetée par le ministre de la Sécurité publique. Depuis l’aide financière accordée par les gouvernements afin de soutenir Huntingdon, cette question n’a plus été soulevée.

Toutefois, cette intervention du maire Gendron invite à réfléchir sur l’impact économique, pour une municipalité, de l’implantation d’une nouvelle prison. Peut-elle relancer l’économie d’une municipalité? La question se pose puisqu’il s’agit d’un argument majeur utilisé dans la promotion de l’implantation de nouvelles prisons, privées ou non. Déjà en 1986, lors du débat entourant la construction du pénitencier de Port-Cartier, l’ASRSQ signalait que l’accueil d’un établissement carcéral ne garantissait pas des retombées pour l’économie locale. Qu’il s’agisse de la construction, de la création d’emploi et de l’achat de biens et de services, l’ASRSQ prévenait que les lois du marché et de la concurrence étaient susceptibles de désavantager les commerces locaux qui ne peuvent pas toujours rivaliser avec les grandes entreprises installées à l’extérieur de ces milieux.

Des promesses…

Les projets d’implantation de nouvelles prisons reçoivent souvent l’appui des autorités municipales et des commerçants locaux et ce, surtout lorsqu’une région ou une localité connaissent certaines difficultés économiques. D’ailleurs, les promoteurs de ces projets n’hésitent pas à faire miroiter de nombreux avantages financiers aux localités d’accueil. Afin d’en assurer l’implantation sur leur territoire, il n’est alors pas surprenant de constater que certaines mettent en branle une véritable campagne de séduction (avantages fiscaux, dons de terrains, rénovation et construction de routes et du réseau d’aqueducs, hébergement pour les administrateurs de l’établissement…).

Enchantés par les promesses de jours meilleurs, les commerçants locaux anticipent souvent une hausse de leur chiffre d’affaires et choisissent d’investir pour mieux faire face à la croissance économique qui arrive. Lors de la construction d’une prison, plusieurs commerçants (restaurants, épiceries, magasins…) connaissent une hausse de leurs revenus. Cependant, cette situation tend à disparaître lorsque les activités de construction se terminent. Les commerces ayant investi en prévision d’une hausse de leur chiffre d’affaires connaissent alors certaines difficultés financières et plusieurs d’entre eux déclarent faillite.

Qui en profite?

Les promesses d’échanges commerciaux avec l’établissement carcéral s’envolent rapidement. Le boulanger et l’épicier du coin réalisent qu’ils ne peuvent rivaliser avec les grosses entreprises situées dans les villes importantes qui entourent la municipalité. Ce sont plutôt des entreprises non présentes dans les petites localités, mais installées en périphérie qui approvisionnent l’établissement en produits et en services et qui profitent des opportunités d’affaires qu’amène le nouvel établissement. L’arrivée de ces nouveaux joueurs dans l’économie locale représente même une menace pour les petits commerces.

La création d’emploi est aussi un argument majeur afin de promouvoir la construction d’une prison dans une localité qui connaît des difficultés économiques. D’ailleurs, certains travaux tendent à montrer que pour chaque 100 détenus, environ 33 emplois1 sont créés. Toutefois, les quelques études qui existent à ce sujet indiquent que, de façon générale, ce ne sont pas les résidents qui en profitent (étant donné leur manque de qualification), mais des individus qui viennent de l’extérieur. Ces employés de la prison résident souvent dans les villes environnantes où ils y trouvent un plus large éventail de services que dans les petites localités.

L’arrivée d’une prison dans une municipalité n’est pas un gage de prospérité d’autant plus que l’implantation d’une prison entraîne de nombreux coûts cachés. Cependant, très peu d’études se sont intéressées à la question. Une recherche américaine2 ayant comparé des localités similaires avec ou sans prison, a révélé que la construction d’un établissement carcéral peut même ralentir la croissance économique. En complément, une autre étude3 a indiqué que la prison n’est pas un bon indicateur de croissance et qu’il fallait préférablement examiner le potentiel et les caractéristiques de l’environnement local. Dans le fond, prison ou pas, certaines municipalités sont mieux outillées que d’autres pour assurer leur développement.

Quelles économies?

L’argument de l’apport économique entourant l’implantation d’une nouvelle prison permet sûrement de mieux faire accepter des projets qui pourraient autrement être contestés par certains «leaders» locaux. Bien souvent, le débat qu’il provoque fait oublier les véritables enjeux autour de la nécessité d’une nouvelle prison et les besoins des personnes qui y seront incarcérées.

La prison, c’est d’abord une question de neutralisation, de punition, de dénonciation, de prévention et de réinsertion. Les enjeux économiques se trouvent bien plus dans les mesures permettant d’éviter la récidive et favorisant l’autonomie des incarcérés que dans les retombées qui permettent, peut-être, à une municipalité en difficulté d’améliorer son sort.


U.S. Department of Justice (2003), Census of state and federal correctional facilities, 2000, tel que consulté le 15 décembre à http://www.ojp.usdoj.gov/bjs/p...
King, R.S., Mauer, M., Huling, T. (2003), Big prisons, Small Towns : Prison Économics in Rural
America, The Sentencing Project, Washington.
Farrigan, T.L., Glasmeier, A.K.,b (200 ?), The Economic Impacts of the Prison Development
Boom on Persistently Poor Rural Places, Pennsylvania State University.