Revue Porte Ouverte

Quelle place pour les victimes dans le système de justice?

Par Arlène Gaudeault,
Présidente, Association québécoise Plaidoyer-Victimes

La justice n'est pas la seule réponse aux besoins des victimes d'actes

Fin des années 1980. Au Canada, quelques groupes se portent à la défense des droits des victimes. Ils élèvent leur voix pour dénoncer le laxisme des sentences, le déséquilibre entre les droits des victimes et ceux des délinquants. C'est le début d'un vaste mouvement qui se met en marche et qui entrainera d'importants changements.

Et, en effet, il s'est passé beaucoup de choses au cours des trois dernières décennies. De nombreuses modifications ont été introduites dans le Code criminel et dans d'autres législations afin d'améliorer l'expérience des victimes dans le système de justice pénale. Partout au Canada, des services ont été mis en place pour aider les victimes et les témoins à mieux se repérer dans les dédales de la justice. Juges, procureurs, policiers : ces acteurs de la justice ont dû modifier leurs pratiques à l'endroit des victimes qui, pendant trop longtemps avaient été de « grandes oubliées ». La question des victimes est plus présente dans l'agenda médiatique. Les victimes elles-mêmes, à travers leurs associations, exercent une grande influence auprès des politiciens et des législateurs.

La Justice, dorénavant, doit tenir compte des victimes. Elle ne peut plus les ignorer. Mais, pour autant, en comprennent-elles mieux les rouages ? Se sentent-elles mieux traitées ? Peuvent-elles exercer réellement les droits qui leur sont reconnus ? Bien des questions qui mériteraient un long développement et des nuances…

Chose certaine, malgré nos efforts, les victimes ne sont pas plus enclines à dénoncer les crimes qu'elles ont subis. Les études et les sondages de victimisation montrent que les taux de dénonciation n'ont pas vraiment changé. Les raisons pour ne pas porter plainte à la police restent aussi les mêmes. Les victimes qui ont fait affaire avec le système de justice n'expriment pas non plus une grande satisfaction. Une étude récente auprès de survivants et de survivantes d'agression sexuelle révèle que près des deux tiers des 207 participants ont dit ne pas avoir confiance dans la police ou dans le système de justice pénale en général. D'autres recherches en viennent à de semblables conclusions.

De nombreuses dispositions ou mesures qui ont été adoptées au cours des dernières années pour améliorer l'expérience des victimes sont plus ou moins utilisées. On pourrait donner l'exemple de la déclaration de la victime avant le prononcé de la sentence. Ou des aides aux témoignages qui devraient permettre à des victimes vulnérables de se sentir plus en sécurité lorsqu'elles sont appelées à la barre. On pourrait souligner aussi que peu de victimes se prévalent des dispositions de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition parce que bon nombre n'en connaissent tout simplement pas l'existence. Est-il besoin de dire qu'il y a encore beaucoup de résistances de la part du milieu juridique à accorder aux victimes une plus grande participation dans les procédures ? Elles ne font pas « partie au litige » : c'est un commentaire qu'on leur sert souvent et derrière lequel il est facile de se réfugier. On pourrait multiplier les exemples des dysfonctionnements ou des lacunes de la justice.

Je ne veux en rien banaliser ou occulter tout le travail qui a été accompli jusqu'à maintenant. Le sens de mon propos est plutôt de rappeler qu'il faut rester critique et vigilant. On doit continuer à questionner les réformes à la pièce, sans perspective d'ensemble ou qui ne tiennent pas compte de la diversité des besoins des victimes. La justice n'est pas la seule réponse aux besoins des victimes. Bien peu d'entre elles empruntent cette voie. Les problèmes complexes reliés à la criminalité et à la victimisation exigent un large éventail de réponses liées à la santé publique, à la prévention et à l'éducation.

Une vision centrée sur les victimes doit aussi mettre l'accent sur les services qui contribuent à leur rétablissement et à leur sécurité. Nos gouvernements doivent témoigner de leur engagement à l'endroit de TOUTES les victimes. Pas seulement celles qui sont impliquées dans le système de justice ou celles qui retiennent l'attention des médias. Ils doivent soutenir les programmes et les initiatives dans la communauté qui permettent aux victimes de se réinvestir dans leur vie et de la poursuivre avec une certaine sérénité.