Revue Porte Ouverte

La (ré)intégration sociale et communautaire

Par Émilie Raymond,
M. Sc., chargée de cours, Certificat en victimologie, Université de Montréal

Procès-criminel : la vérité pour les victimes?

Le processus judiciaire criminel canadien peut-il satisfaire aux attentes des victimes d'actes criminels? L'un des besoins des victimes en est un de reconnaissance. Reconnaissance sociale de la souffrance vécue et reconnaissance des torts causés de la part du contrevenant. Les victimes attendent du procès criminel qu'il fasse la lumière sur ce qui s'est passé et que la vérité soit établie (Doak 2008, Herman, Ten Boom et Kuijpers 2012…). Le procès criminel peut-il répondre à cet objectif?

Bien qu'il puisse établir la culpabilité d'un individu, le procès criminel vise d'autres objectifs que la reconnaissance de la souffrance des victimes et l'établissement de la vérité. Le droit criminel a pour objectif premier de répondre au besoin social de protection et de prévention de la criminalité.

D'ailleurs, le procès criminel n'oppose pas la victime à l'accusé. C'est l'État qui se trouve face à l'accusé par l'entremise du procureur aux poursuites criminelles et pénales. Ainsi, l'infraction est vue comme une atteinte à l'ordre social et à la morale dont la société dans son ensemble est victime. 
Les besoins de la victime sont donc de second ordre. C'est d'ailleurs ce que nous rappelle la Cour suprême en des termes très clairs :

« C'est l'État qui intente une action publique contre le contrevenant. Les intérêts de l'État sont prépondérants, alors que ceux de la victime sont secondaires ».1

Cette Cour soutient que la victime a un autre forum pour faire valoir ses intérêts par le biais d'une procédure civile. Le processus criminel s'est cristallisé autour de ce principe et les composantes du système sont bien ancrées dans cette position.

Rôle du procureur aux poursuites criminelles et pénales

Le procureur aux poursuites criminelles et pénales n'est donc pas l'avocat de la victime. Il représente l'État et agit à titre d'officier de justice :« Son rôle exclut toute notion de victoire ou de défaite. Il s'acquitte d'un devoir public, et dans la vie civile, aucun autre rôle ne comporte une plus grande responsabilité personnelle. Il doit s'acquitter de ses fonctions avec un sens poussé de la dignité, du sérieux et de la justice des procédures ».2

Dans cette optique il agit pour le bien collectif. Les décisions de porter ou non des accusations, d'y inclure certains chefs d'accusation et d'en exclure d'autres, de suggérer une sentence plutôt qu'une autre sont prises dans le meilleur intérêt de la société. Il va de soi que ces intérêts peuvent diverger de ceux de la victime. Le choix des chefs d'accusation est pourtant d'une grande importance puisqu'il traduit en des termes juridiques le vécu de la victime.

Ainsi, les choix du procureur affectent la procédure et la réalité juridique. Déjà, la vérité sur les gestes posées est façonnée par les choix du procureur de poursuivre ou non les procédures et sous quels motifs il le fera.

Négociation de plaidoyer (plea bargaining)

La négociation de plaidoyer est partie intégrante du système de justice criminel au Canada. Bien que non reconnu formellement par la loi, 90% des causes en droit criminel seraient soldées par une entente entre le procureur et la défense.3 La plus haute cour du pays a d'ailleurs entériné cette façon de faire.

La négociation de plaidoyer consiste généralement à favoriser une entente entre le procureur et la défense afin qu'elle enregistre un plaidoyer de culpabilité en contrepartie d'une peine plus clémente ou du retrait de certains chefs d'accusation.

Cette façon de faire est socialement fort avantageuse. Elle réduit les coûts du système de façon considérable tout en permettant de punir les contrevenants. Notre système de justice ne pourrait pas supporter l'arrêt des négociations de plaidoyer. Si toutes les procédures menaient à un procès, les délais seraient excessifs, voire ingérables.

Bien que cette procédure soit socialement avantageuse. Elle ne l'est pas totalement pour les victimes. D'un point de vue, la négociation de plaidoyer évite le stress d'un procès pour ces dernières. Toutefois, elles ne sont pas présentes lors des rencontres et même si elles doivent être avisées de l'entente, leur point de vue ne sera pas considéré.

La négociation de plaidoyer est essentielle au bon fonctionnement de notre système judiciaire toutefois, elle ne permet pas de faire ressortir la vérité sur les évènements. Le plaidoyer de culpabilité met fin aux procédures. En l'absence de procès, aucune preuve n'est présentée et les faits précis resteront éventuellement inconnus de la victime et/ou du public.

L'interrogatoire

Lorsque la victime témoigne, son discours est structuré. La recherche des faits ne permet pas un libre discours de cette dernière. L'objectif du procureur consiste à convaincre le juge ou le jury de la culpabilité de l'accusé. Les questions sont organisées de façon à atteindre cet objectif et non pas à permettre à la victime de s'exprimer sur ce qu'elle a vécu. Lorsqu'elle est contre-interrogée par la défense, la victime s'exprime encore moins. Les questions sont posées de façon à suggérer une réponse courte et à miner la crédibilité du témoignage.

Ce qui ressort de l'information du procès est une vérité juridique, modelé par la procédure. La victime qui s'attend à comprendre les évènements et faire surgir la vérité peut être déçue.
D'ailleurs, l'accusé lui-même peut s'abstenir de témoigner lors de son propre procès. Ce droit est protégé par la Charte et empêche de forcer l'accusé à témoigner contre lui-même. Ainsi, l'accusé peut choisir de témoigner ou non pour sa défense et le fait de demeurer silencieux ne peut pas être interprété comme un aveu de culpabilité.

Le verdict

Dans un procès criminel, l'accusé est présumé innocent jusqu'à preuve du contraire. C'est au ministère public de faire cette preuve. Pour qu'il y ait condamnation, le juge ou le jury doit être convaincu hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de personne en se basant sur la preuve présentée. Le fardeau de preuve, c'est-à-dire le degré de preuve requis pour convaincre de la culpabilité, est très élevé. Notre système de justice repose sur la prémisse qu'il est préférable d'acquitter un coupable que de condamner un innocent. Ainsi, un verdict d'acquittement peut être dévastateur pour une victime qui sent qu'elle n'a pas été crue. Alors que ce n'est pas nécessairement le cas. Il suffit d'un doute raisonnable dans l'esprit du décideur pour acquitter le prévenu. Néanmoins, c'est un acquittement qui fera office de vérité juridique.

Conclusion

En somme, un choix de société a été effectué. L'infraction criminelle est une infraction commise contre tous et c'est l'État qui doit assumer la responsabilité de faire répondre l'infracteur de ses actes. La victime, témoin de cette infraction, aide l'État à accomplir son devoir. De ce fait, notre droit s'est adapté en excluant de façon consciente les besoins des victimes d'actes criminels au profit des besoins collectifs.

Cet objectif est tout à fait louable. Toutefois, cette orientation juridique est peu connue de la population et par le fait même des victimes qui croient à tort que le procès criminel est un outil leur permettant d'obtenir justice et de connaître la vérité sur les évènements. Nous avons vu que, malheureusement, les procédures judiciaires ne permettent pas toujours d'obtenir la vérité sur ce qui s'est passé, mais d'obtenir une vérité juridique déformé par le filtre des procédures.
Pour les acteurs du système judiciaire, ce fonctionnement n'a rien de surprenant. Ils sont formés et évoluent dans cette pratique sans difficulté. Il apparaît toutefois essentiel d'informer les victimes d'actes criminels du fonctionnement non seulement technique du processus judiciaire, mais aussi des orientations profondes de notre système. Une victime informée aura ainsi des attentes réalistes et évitera la déception.


1 R c Lucas para 70.

2 Boucher c. la Reine, décision de la Cour suprême du Canada, [1955] Recueil des arrêts de la Cour suprême, pages 16-33, à la page 24. Le passage cité est traduit de l'anglais.

3 Simon N. Verdun-Jones, J.S.D, et Adamira A. Tijerino, M.A. (2002)