Revue Porte Ouverte

La (ré)intégration sociale et communautaire

Par Mylène Gervais,
Chargée de projets ITSS, Association des intervenants en toxicomanie du Québec

Un programme d'échange de seringues en prison, c'est possible

La prévention des infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS) en milieu carcéral représente un important défi puisque 3,4 % des personnes incarcérées dans les établissements de détention provinciaux du Québec seraient infectées par le VIH et 18,5 % par le virus de l'hépatite C (VHC).1 Dans les centres de détention fédéraux, le taux d'infection au VIH est de 4,6 % alors que celui d'hépatite C est de 31%.2 Dans les deux cas, ces chiffres sont beaucoup plus élevés que dans la communauté en général. À ce sujet, « le partage de seringues et aiguilles usagées pour l'injection de drogues, est l'un des principaux facteurs qui contribuent aux taux élevés d'infection en prison. » Dans une enquête du Service correctionnel Canada (SCC) menée en 2010, il a été démontré que parmi les personnes détenues qui ont déclaré s'être injectées des drogues en prison3, 55 % des hommes et 41 % des femmes avaient utilisé la seringue usagée d'une autre personne, parfois atteinte du VIH ou du VHC.4

Dans la communauté, afin de remédier au partage de matériel d'injection et ainsi contribuer à réduire la propagation des ITSS, des programmes d'échanges de seringues (PÉS) ont été implantés dans la plupart des régions du Québec et ce, depuis 1989. Ainsi, les utilisateurs de drogue par injection ont la possibilité de se procurer du matériel d'injection stérile et de rapporter leurs seringues usagées à plusieurs endroits, soit dans des organismes communautaires, des pharmacies, des CLSC et même certaines urgences d'hôpitaux.

Bien que l'efficacité de ces programmes pour réduire le risque de VIH et d'hépatite C ait été démontrée, il n'en demeure pas moins que les programmes d'échanges de seringues ne sont toujours pas disponibles et permis dans les prisons du Québec. On peut comprendre qu'un tel programme soit difficile à mettre en place en prison puisque toute consommation de drogues y est interdite. Cependant, plusieurs pays ont réussi à surmonter ce défi et plus de 60 prisons de niveaux de sécurité divers ont maintenant leur programme d'échange de seringues entre les murs. Tout dépendant des centres de détention, la distribution du matériel d'injection se fait par les services de santé, les groupes communautaires, les pairs aidants ou les distributrices.

Les évaluations de ces programmes, y compris celle réalisée à la demande du SCC par l'Agence de la santé publique du Canada (ASPC) en 2006, ont mené à plusieurs constatations.5 Premièrement, les PÉS en prison conduisent à une réduction du partage de seringues et n'entraînent pas d'augmentation de l'utilisation ou de l'injection de drogues. La mise à jour 2014 du document de l'Organisation mondiale de la santé intitulé « Health interventions for prisoners – Update of the literature since 2007 » confirme l'existence dupartage de seringues dans les prisons, mais démontre une baisse de ce même partage après l'introduction d'un programme d'échange de seringues.6 De plus, la mise en place de ces programmes réduit le nombre de surdoses et favorise la référence des usagers à des programmes de traitement de la toxicomanie. Ces évaluations ont aussi démontré que malgré la présence d'un PÉS en prison, les aiguilles ne sont jamais utilisées comme arme envers le personnel ou les autres détenus. Ces programmes sont même plus sécuritaires pour les employés correctionnels car ils réduisent le risque d'exposition à des aiguilles usagées lors des fouilles.

Les PÉS en prison peuvent également être un avantage au niveau économique. En effet, d'après les estimations du SCC, traiter un détenu atteint du VHC ou du VIH coûte annuellement entre 22 000 $ (VHC) et 29 000 $ (VIH).7 Il serait donc beaucoup plus économique d'offrir du matériel stérile aux personnes détenues qui consomment par injection que de traiter les infections y étant associées.

L'aspect des droits humains doit aussi être pris en considération dans la mise en place des PÉS en prison car ceux-ci sont applicables à toute personne, qu'elle soit détenue ou non. Ceci inclut le droit de posséder le meilleur état de santé atteignable et pour les personnes détenues, le droit d'accès à des soins de santé équivalant à ceux offerts dans le reste de la communauté.8 Ainsi, dans le but de prévenir la propagation des infections transmissibles par le sang, du matériel d'injection neuf devrait être accessible pour toute personne qui utilise des drogues par injection, qu'elle soit détenue ou non. « Le refus de donner aux détenus l'accès à des moyens essentiels de prévention du VIH et de l'hépatite C est une violation de leur droit à la santé, un droit reconnu en droit international.9 »

En ce moment, le seul moyen de prévenir ces infections pour les personnes détenues utilisatrices de drogues par injection est de désinfecter le matériel de consommation avec de l'eau de Javel. Cependant, il semble que ce produit ne soit pas disponible dans tous les établissements de détention. Plusieurs recherches ont permis de prouver que le nettoyage de seringues à l'eau de Javel n'est pas complètement efficace pour réduire la transmission de l'hépatite C et encore moins pour la transmission du VIH en raison de l'inefficacité du nettoyage, qui n'est pas toujours fait selon la bonne procédure.10 Il ne faut pas oublier que cette désinfection se fait rapidement et discrètement en raison de l'interdiction de consommer. Les consommateurs ont donc souvent recours aux seringues usagées et il n'est pas rare de voir une seule seringue circuler entre les mains de plusieurs détenus et ce, pendant des mois. Certains détenus vont même jusqu'à louer ou vendre leur seringue usagée moyennant des frais. D'autres vont fabriquer leur propre seringue avec ce qu'ils ont sous la main (stylo, coton-tige, etc.) et ainsi endommager sérieusement leurs veines. La mise en place d'un PÉS en prison est donc urgente afin de remédier à ce problème.

Dans le cadre de sa planification pour des activités de promotion de la santé et de réduction des méfaits en milieu carcéral et afin de démontrer l'importance et la faisabilité d'un programme d'échange de seringues en prison, l'Association des intervenants en toxicomanie du Québec (AITQ) a réalisé une vidéo intitulée Un programme d'échange de seringues en prison, c'est possible. Cette vidéo a pour but d'adresser l'enjeu de santé publique que représentent les épidémies de VIH et de l'hépatite C en milieu carcéral, de sensibiliser le personnel correctionnel sur les mesures pour réduire les risques de transmission des ITSS, dans ce cas-ci sur les PÉS en prison, et d'informer le personnel correctionnel au sujet de la mise en place des PÉS dans un établissement de détention.

Réalisée grâce au soutien financier du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, la vidéo vise à sensibiliser les gestionnaires et les intervenants quant au principal mode de transmission du VIH et de l'hépatite C en milieu carcéral québécois : l'usage de drogues par injection. Après avoir décrit la problématique dans les établissements de détention au Québec, la vidéo présente les points de vue des secteurs de la santé publique et de la sécurité publique qui ont permis d'envisager la mise en place d'un programme d'échange de seringues à la prison de Champ-Dollon de Genève en Suisse.

Cette vidéo est disponible sous format DVD auprès de l'AITQ, sur le site www.reductiondesmefaits.aitq.c... et sur le site You Tube. Grâce à la collaboration du Réseau juridique canadien, elle est sous-titrée en anglais sur You Tube ainsi que sur le site www.prisonhealthnow.ca. La version anglaise s'intitule « Needle and syringe programs in prison: it can be done ».

Fondée en 1977, l'AITQ est un organisme à but non lucratif qui vise l'amélioration des interventions en matière d'usage et d'abus de substances psychotropes et de jeu excessif. L'AITQ regroupe plus de 120 organismes provenant des réseaux public, privé ou communautaire et près de 300 membres individuels, tous impliqués dans l'un ou l'autre des champs d'activités reliés aux dépendances.


1 Alary, M., Godin, G., Lambert G., Étude de prévalence du VIH et de l'hépatite C chez les personnes incarcérées au Québec et pistes pour l'intervention, Rapport de recherche, 2005, p.23

2 D. Zakaria et coll., Résumé des premiers résultats du Sondage national de 2007 auprès des détenu(e)s sur les maladies infectieuses et les comportements à risque, Service correctionnel du Canada, 2010, p.iv

3 Réseau juridique canadien VIH/sida, Les programmes de seringues en prison : synthèse pour les politiques, Réseau juridique canadien VIH/sida, 2012, p.1

4 Ibid, p.2

5 Ibid, p.1

6 Schwitters, A. Health interventions for prisoners – Update of the literature since 2007, World Health Organization, 2014, p. 14. Traduction libre

7 Nafekh, M., Rapport d'évaluation : Initiative sur les pratiques de tatouage sécuritaires, Service correctionnel du Canada, 2009, p. 41.

8 Réseau juridique canadien VIH/sida, Les programmes de seringues en prison : synthèse pour les politiques, Réseau juridique canadien VIH/sida, 2012, p.3

9 R. Lines et coll., L'échange de seringues en prison : leçons d'un examen complet des données et expériences internationales, Réseau juridique canadien VIH/sida, 2006, p.xii

10 Réseau juridique canadien VIH/sida, Les programmes de seringues en prison : synthèse pour les politiques, Réseau juridique canadien VIH/sida, 2012, p.3