Revue Porte Ouverte

La (ré)intégration sociale et communautaire

Par François Bérard,
M. Sc Criminologie, responsable du comité politique de l'ASRSQ

et Le comité politique de l'ASRSQ

La (ré)intégration sociale et communautaire : socle de la réhabilitation des personnes contrevenantes

Une définition spécifique

On peut définir l'intégration ou la réintégration sociocommunautaire d'une personne comme étant «un processus d'adaptation individualisé, multidimensionnel et à long terme qui n'est achevé que lorsque celle-ci participe à l'ensemble de la vie de la société et de la communauté où elle évolue et qu'elle a développé un sentiment d'appartenance à leur égard».

Il s'agit donc d'un processus d'adaptation à un milieu donné qui est propre à chaque personne. Ce processus comporte plusieurs dimensions comme nous le verrons plus loin. Il importe aussi d'être conscient qu'il peut prendre un certain temps avant de s'accomplir.

Un concept plus large que la réinsertion sociale

Les concepts d'intégration et de réintégration sociocommunautaire se distinguent à plusieurs égards de celui de la réinsertion sociale. Tout d'abord, ils reconnaissent non seulement que certaines personnes contrevenantes auront à se réintégrer socialement après avoir purgé, par exemple, une longue sentence d'incarcération, mais aussi que d'autres auront à effectuer une véritable démarche d'intégration sociale parce qu'elles n'avaient jamais été intégrées auparavant.

Quant au terme d'intégration, il a une portée plus grande que celui d'insertion. L'insertion ne vise qu'à introduire une personne dans un milieu social donné, alors que l'intégration va plus loin en cherchant aussi à créer une plus grande interdépendance entre celle-ci et les autres membres d'une collectivité.

Par ailleurs, l'intégration ou la réintégration sociocommunautaire touchent à la fois des dimensions sociales et communautaires. Si elles semblent synonymes, ces dimensions relèvent en fait de deux réalités bien différentes. Dans Introduction à la sociologie générale (1969), Guy Rocher note que, dans la société, «les relations entre les personnes s'établissent sur la base des intérêts individuels; ce sont des rapports de compétition, de concurrence ou à tout le moins des relations sociales marquées au coin de l'indifférence pour tout ce qui concerne les autres.» La relation «sociale» est donc une relation «froide». Elle recouvre par exemple le monde des affaires, l'État, le droit, la science et l'opinion publique. Toujours selon Rocher, la communauté est formée «de personnes qu'unissent des liens naturels ou spontanés, ainsi que des objectifs communs qui transcendent les intérêts particuliers de chacun des individus. » Ainsi, la relation «communautaire» est une relation «chaude» qui recouvre les liens entre parents, voisins, compagnons de travail, personnes issues de la même ethnie, adhérents à un même parti politique, etc. En fait, cette relation recoupe tout ce qui a trait à ce que des gens peuvent avoir en commun : «communauté de sang», «communauté de lieu», «communauté d'intérêts», «communauté d'identité» ou «communauté d'esprit». Dans ce contexte, procéder à l'intégration ou la réintégration sociocommunautaire d'une personne, c'est la mettre en relation non seulement avec les différents circuits sociaux propres à une société donnée, mais aussi avec les différents types de liens qui peuvent s'établir au sein de la communauté humaine.

L'insertion ne vise qu'à introduire une personne dans un milieu social donné, alors que l'intégration va plus loin en cherchant aussi à créer une plus grande interdépendance entre celle-ci et les autres membres d'une collectivité.

Un enjeu fondamental : celui de l'inclusion des personnes au sein de la collectivité

La (ré)intégration sociocommunautaire soulève fondamentalement l'enjeu de l'inclusion tant au plan social qu'au plan communautaire. Elle prend donc à contre-pied celui de l'exclusion. En ce sens, elle ne s'adresse pas qu'aux personnes contrevenantes. Elle concerne aussi un ensemble de personnes qui sont marginales ou marginalisées (ex. : personnes itinérantes, personnes ayant des problèmes de santé mentale, personnes toxicomanes). Voyons comment elle s'articule par rapport à notre domaine d'intervention.

Pour nous, le délit est un geste de nature conflictuelle qui met en opposition une personne contrevenante avec son environnement sociocommunautaire. Il s'agit d'un geste illégal qui suscite un conflit entre eux. En conséquence, ce conflit sera de nature à provoquer une certaine exclusion de la personne contrevenante, voire même sa réclusion. La qualité des relations de la personne contrevenante avec son environnement étant en jeu ici, il importe alors de l'aider à reconsolider celles-ci par le biais d'un processus d'inclusion, un processus de (ré)intégration sociocommunautaire.

Pour nous, le délit est aussi généralement l'indice d'une forme plus ou moins marquée d'exclusion antérieure à sa commission. Trois éléments sont à considérer ici. Tout d'abord, nous observons l'existence de processus systémiques d'exclusion au sein des communautés et de la société. De nature socioéconomique, sociocommunautaire, socioculturelle et/ou sociopolitique, ces processus peuvent entraîner un décrochage social d'importantes tranches de populations ou même fermer dès le départ la porte à l'intégration de certains groupes sociaux. Dans un contexte de réduction des opportunités sociales qui s'offrent à elles, les risques augmentent de voir certaines personnes faire le choix d'adopter des comportements délinquants. Tel a été le cas pour plusieurs de nos usagers. Une démarche visant à permettre aux personnes contrevenantes d'intégrer ou de réintégrer pleinement la vie sociocommunautaire passe donc par une remise en cause de ces processus d'exclusion. Elle invite aussi la société et la communauté à faire les choses autrement.

Par ailleurs, nous remarquons chez bon nombre de personnes contrevenantes des lacunes qui peuvent contribuer à leur exclusion des différents circuits sociaux et de la vie communautaire. Ainsi, plusieurs d'entre elles ont une méconnaissance importante des opportunités qui leur sont réellement offertes au plan de l'organisation de base de leur vie (logement, transport, finances et consommation), au plan occupationnel (travail, formation, bénévolat, sports et loisirs) et au plan relationnel (développement d'un réseau social positif et participation à la vie sociale et communautaire). Si on désire les aider à bâtir des ponts avec la société et/ou à rétablir des liens avec la communauté, il y a notamment un travail d'éducation à faire ici.

Enfin, nous constatons que certaines personnes choisissent de vivre en marge de la société, refusant les objectifs et/ou les moyens proposés par celle-ci. Il y a ici une forme d'auto-exclusion de la vie sociale. Les sociétés démocratiques reconnaissent l'apport original de ces personnes marginales en les considérant comme des éléments potentiels d'innovation sociale et ce, en autant qu'elles ne commettent pas de délits. Dans ce contexte, la démarche d'intégration ou de réintégration sociocommunautaire proposée à de telles personnes qui ont commis un délit doit alors être respectueuse de leur désir de vivre en marge de la collectivité. Cela implique de procéder à une certaine normalisation plutôt qu'à une normalisation complète de leurs relations.

Un objectif correctionnel associé à la réhabilitation des personnes contrevenantes

Aux fins de ce texte, rappelons que le système de justice criminelle poursuit différentes fins. Dans une perspective utilitariste, on peut s'en servir à des fins de dénonciation et de dissuasion auprès de la population en général. On peut aussi s'en prévaloir afin d'intimider, de neutraliser ou de réhabiliter les personnes contrevenantes : intimider par l'usage de la manière forte ; neutraliser massivement par l'incarcération quasi-systématique des personnes contrevenantes ou de façon sélective via un modèle comme celui de la gestion du risque ; réhabiliter à travers une démarche d'intervention clinique individualisée. La réhabilitation constitue donc une des finalités poursuivies par le système de justice criminelle.

Par ailleurs, il importe de savoir que le verbe «réhabiliter» a plusieurs sens qui peuvent s'appliquer à différentes situations : pensons à la personne qui doit se réadapter physiquement suite à un grave accident d'automobile. En ce qui a trait à notre domaine d'activités, on peut toutefois retenir les deux définitions suivantes tirées du Petit Robert : «Rétablir dans un état, dans des droits, des privilèges perdus» ou «Rétablir dans l'estime, dans la considération d'autrui». Le terme réhabiliter a donc ici deux sens qui mettent en cause le rapport entre la personne qui en fait l'objet et son environnement social et communautaire. Dans un cas, il s'agit de rétablir une personne dans ses droits et privilèges et ce, par le biais d'un acte juridique. Dans l'autre, il s'agit de restaurer le lien de confiance entre elle et la communauté. Dans ce contexte, réhabiliter pleinement une personne contrevenante, c'est agir à la fois sur les dimensions sociale, communautaire et personnelle de sa condition humaine.

En matière correctionnelle, la réhabilitation englobe des objectifs de (ré)intégration sociocommunautaire, de développement personnel et de réconciliation. Il s'agit d'objectifs d'intervention distincts mais interreliés qui concourent chacun à leur façon à la réalisation de la réhabilitation de la personne contrevenante.

La (ré)intégration sociocommunautaire couvre trois dimensions en lien avec le processus d'intervention correctionnelle. La dimension organisationnelle a trait à l'organisation de base de la vie de la personne contrevenante. Elle réfère aux différentes démarches que celle-ci pourrait avoir à faire en matière d'hébergement, de nourriture, de vêtements, de transport et de gestion de ses finances personnelles. Quant à elle, la dimension occupationnelle est en lien avec les différentes activités que la personne contrevenante peut effectuer dans sa vie quotidienne. C'est ici qu'on retrouve ses actions aux plans de la formation, du travail, du bénévolat et/ou des loisirs. Enfin, la dimension relationnelle concerne tant son réseau relationnel (famille d'origine, famille choisie, pairs) que son implication dans la communauté et la société.

De son côté, le développement personnel rejoint une dimension particulière du processus d'intervention correctionnelle : la dimension personnelle. Le développement personnel fait référence ici à une démarche de croissance qui permet, à terme, à une personne contrevenante de s'épanouir tout en étant plus respectueuse de son environnement social et communautaire. Cela peut impliquer autant de l'aider à se libérer de certaines difficultés personnelles (ex. : développement de l'estime de soi, établissement de rapports d'égal à égal avec autrui, intégration de valeurs pro-sociales) que de l'aider à développer davantage son sens des responsabilités. Fait à noter, le développement personnel se démarque de la rééducation qui vise à «éduquer éthiquement une seconde fois et différemment». Il diverge aussi de la resocialisation qui vise à «développer des relations sociales sur une nouvelle base». Il diffère enfin de la réadaptation qui vise à «rendre fonctionnel socialement». Pour nous, le développement personnel se distingue de ces concepts car il est plus global. En effet, il permet d'intégrer plus aisément les différentes dimensions associées tant à la vie intérieure des personnes qu'à leur vie publique.

Enfin, la réconciliation a trait à une dimension spécifique du processus correctionnel : la dimension socio-judiciaire. Il s'agit ici de chercher à mettre un terme aux conflits que la personne contrevenante a suscités en commettant son délit et ce, en l'aidant à boucler la boucle avec les différents protagonistes mis en cause par celui-ci (la ou les victime(s) directe(s) ou indirecte(s), le ou les témoin(s), ses proches, la communauté et la société). Concrètement, cela signifie de l'aider à : 1- neutraliser son potentiel d'agir délinquant, recoupant ainsi la préoccupation centrale du modèle de la gestion du risque ; 2- reconnaître et obtenir la reconnaissance de ses efforts et de ses réalisations en matière de (ré)intégration sociocommunautaire et de développement personnel ; 3- réparer concrètement et/ou symboliquement les préjudices qu'elle a pu causer ; 4- se pardonner et obtenir le pardon des autres parties mises en cause par son passage à l'acte.

Conclusion

Dans le contexte actuel, le défi que l'ASRSQ pose ici semble énorme à relever. Ne nous contons pas d'histoires, il l'est. Malgré tout, notre association demeure résolument optimiste. En effet, l'idée d'accompagner la (ré)intégration des personnes contrevenantes à travers le déroulement de leur sentence a fait un chemin considérable depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Au-delà de tous les aléas qui entourent sa mise en œuvre depuis quelques années, elle continue tout de même à faire l'objet d'un assez large consensus. Il s'agit donc non seulement d'une idée qui mérite d'être défendue, mais d'une idée qui ne tombera pas en terre stérile. En ce sens, il ne faut pas hésiter à affirmer que la (ré)intégration sociale et communautaire réussie d'une personne contrevenante constitue encore et toujours le meilleur gage tant du développement que de la protection de notre société et de nos communautés contre la récidive. 
Pour favoriser un retour en première ligne de la (ré)intégration des personnes contrevenantes, il faut reprendre le combat en sa faveur. C'est pourquoi nous faisons appel ici aux forces vives autant de notre société que de nos communautés pour y parvenir.