Revue Porte Ouverte

La (ré)intégration sociale et communautaire

Par Anne-Marie Ducharme,
Stagiaire, École de criminologie de l'université de Montréal

Étude du taux de réussite des maisons de transition membres de l'ASRSQ

Introduction

Très peu d'études se sont auparavant intéressées aux issues des séjours effectués dans les maisons de transition. Toutefois, il n'en est pas moins important d'en documenter le sujet. En effet, elles accueillent des individus judiciarisés, qui pour une grande partie, proviennent de détention et sont en libération sous conditions. Les maisons de transition favorisent un retour graduel dans la communauté pour ceux-ci et leur fournissent l'aide nécessaire à leur réintégration sociale. Les quelques auteurs qui se sont intéressés à la question ont déterminé les taux de réussite des individus faisant un séjour en maison de transition ainsi que les facteurs influençant cette réussite. Toutefois, parmi ces peu nombreuses études précédentes, la conception de la réussite était basée uniquement sur la capacité des individus à terminer leurs séjours en maison de transition et/ou leur période de surveillance dans la communauté par la suite, sans incident. À notre connaissance, aucune étude n'a fait référence à la réussite non pas des individus, mais plutôt des maisons de transition à gérer le risque que peut représenter sa clientèle. En effet, les maisons de transition ont un objectif de réinsertion sociale, de soutien, d'hébergement et d'exécution de programmes (Bell et Trevethan, 2004), mais également de gestion du risque de récidive ou de dommage (Cuddington et Cherry, 2006).

Méthodologie

Ainsi, dans cette étude, nous utilisons 2 visions de la réussite : d'abord, il est question du taux de réussite 1 lorsque l'on fait référence aux individus ayant quitté une maison de transition sans avoir été suspendu ou révoqué (sans distinction s'il y a eu récidive ou non) et sans avoir quitté en liberté illégale. Ensuite, il est question du taux de réussite 2 lorsque l'on fait référence au pourcentage d'individus ayant quitté une maison de transition sans avoir récidivé ou quitté en liberté illégale seulement. Ainsi, la différence entre les deux taux se trouve au niveau de la distinction entre les motifs de suspension/révocation. En effet, dans le taux de réussite 2, les individus ayant été suspendus ou révoqués pour un bris de condition ou un manquement aux règlements de la maison de transition sont considérés comme une réussite. Ainsi, le taux de réussite 2 constitue davantage la capacité des maisons de transition à bien encadrer ses résidents afin qu'ils ne constituent pas une menace pour la communauté alors que le taux de réussite 1 constitue la capacité des individus a bien se comporter pendant leur séjour. En utilisant ces deux mesures du taux de réussite, nous sommes en mesure d'apporter certaines nuances quant aux taux de réussite et à l'impact que son interprétation peut avoir sur le sentiment de sécurité des communautés. Nous avons par la suite tenté de déterminer les facteurs prédisant le mieux ces taux de réussite. Nous utilisons les données statistiques des 5 dernières années fournies par les maisons de transition membres de l'ASRSQ pour y parvenir.

Résultats

Pour le taux de réussite 1, nous avons établi une moyenne de 71% alors que pour le taux de réussite 2, une moyenne de 91% s'affiche. Les différents taux de réussite 1 se situent entre 49% et 97% et entre 75% et 100% pour le taux de réussite 2. Ainsi, certaines maisons de transition n'affichent aucun résident ayant récidivé ou quitté en liberté illégale pour certaines années.

À l'observation des motifs de départ, nous avons constaté qu'en moyenne, 64% des individus ayant quitté une maison de transition au cours d'une année donnée ont complété leur programme. De plus, 20% de l'ensemble des départs sont dus à un bris de condition ou au non-respect du programme. Seulement 1,25% de l'ensemble des départs sont dus à une récidive du contrevenant. 8% des départs sont des libertés illégales. Finalement, le 6,75% restant se trouve à être les individus ayant été transférés vers une autre ressource ainsi que les départs volontaires des individus qui résidaient dans une maison de transition sous forme de dépannage et un décès. Nous retenons de ces observations que la récidive est somme toute très rare et que près du deux tiers des résidents terminent leur séjour sans incident. Il a été vu dans les études précédentes que la récidive, s'il y en a, se produit généralement plusieurs années après la remise en liberté (Hamilton & Campbell, 2013). Il a été vu également que les individus sous surveillance dans la communauté avaient tendance à être moins actifs criminellement (McGloin, Sullivan, Piquero & Pratt, 2007; Ouellet & Tremblay, 2014). Les individus résidant en maison de transition faisant l'objet d'une surveillance et étant généralement au début de leur mise en liberté, nous pouvions donc nous attendre à ce qu'il y ait très peu de récidives au moment du séjour en maison de transition.

Seulement 1,25 % de l'ensemble des départs sont dus à une récidive du contrevenant, 8 % pour des libertés illégales. 20 % des départs sont dus à un bris de condition ou au non-respect du programme.

Facteurs prédisant le mieux les taux de réussite

Taux de réussite 1

Nos résultats indiquent que le pourcentage d'individus présentant des antécédents de toxicomanie et/ou d'alcoolisme serait prédictif du taux de réussite 1. En effet, plus ce pourcentage serait élevé, moins le taux de réussite 1 serait élevé (beta=-0,35, p≤0,05). Bien que le fait d'être situé à Montréal ait été trouvé relié à un taux de réussite plus bas lors de nos analyses bivariées, il semble que cette relation n'apparaisse plus significative lorsqu'elle est contrôlée avec le pourcentage de résidents ayant des antécédents de toxicomanie et/ou d'alcoolisme. Ce premier modèle expliquerait 31% de la variance du taux de réussite 1.

Nos résultats indiquent également que pour les années où les maisons de transition sont composées d'une majorité de résidents ayant été condamnés pour un délit contre la personne ou contre la propriété, les taux de réussite sont moins élevés (beta=-0,78, p≤0,01) et ce, en moyenne de 16,65%. De plus, les maisons de transition accueillant une clientèle uniquement provinciale auraient un taux de réussite significativement moins élevé que les maisons de transition mixtes (beta=-0,64, p≤0,01). De ce fait, ces maisons de transition auraient en moyenne un taux de réussite moindre de 17,01% que les maisons de transition mixtes. Ce deuxième modèle expliquerait environ 40% de la variance du taux de réussite 1.

Taux de réussite 2

En ce qui a trait au taux de réussite 2, nos résultats suggèrent que les maisons de transition accueillant uniquement une clientèle fédérale auraient un taux de réussite moins élevé que les maisons de transition accueillant une clientèle uniquement provinciale (beta=-0,43, p≤0,05). En effet, elles auraient un taux de réussite moindre de 6,16%, en moyenne. À l'inverse du taux de réussite 1, la relation trouvée entre les antécédents de toxicomanie et/ou d'alcoolisme lors des analyses bivariées n'apparait plus significative lorsqu'elle est contrôlée avec la juridiction de la clientèle. Ce modèle expliquerait 55% de la variance du taux de réussite 2.

Nos résultats suggèrent également que les maisons de transition situées à Montréal auraient un taux de réussite moindre que les maisons de transition situées à l'extérieur (beta=-0,48, p≤0,01) et ce, de 6,35% en moyenne. Également, les années pour lesquelles les maisons de transition sont composées en majorité de résidents ayant été condamnés pour des délits contre la personne ou contre la propriété, les taux de réussite seraient moins élevés (beta=-0,38, p≤0,05) d'en moyenne 5,28% que les années où les maisons de transition sont composées en majorité de résidents ayant été condamnés pour d'autres types de délits. Le prédicteur le plus fort parmi les deux serait le fait d'être situé à Montréal. Ce deuxième modèle expliquerait 52% de la variance du taux de réussite 2.

Interprétation des résultats

La toxicomanie est reconnue comme un facteur criminogène dans de nombreuses études. Ainsi, nos résultats vont dans le même sens que les auteurs précédents sur la réussite des séjours en maison de transition qui ont trouvé également une relation entre la toxicomanie et la réussite (Hamilton & Campbell, 2013; Latessa & Travis, 1991). Vacheret et Cousineau (2003) avaient conclu que le fait d'arrêter la consommation de drogues était perçu par les individus ayant réussi leur période de surveillance dans la communauté comme étant un aspect très important pour expliquer leur réussite.

Au niveau de la juridiction de la clientèle, nous émettons l'hypothèse que la clientèle provinciale aurait tendance à commettre plus de bris de conditions que la clientèle fédérale, ce qui expliquerait la relation trouvée avec le taux de réussite 1. Morselli, Gagnon, Laferrière et Proulx (2013) ont recensé les études portant sur les peines de courte durée. Ils font le constat de plusieurs problèmes y étant associés. D'abord, le temps manque : l'identification des besoins, la préparation d'un plan d'intervention ainsi que l'accès aux programmes n'est pas possible pour ces détenus qui sont sous mandat des services correctionnels pour une courte période de temps. Également, ces individus seraient différents des autres détenus en ce qui a trait à plusieurs aspects : ils seraient moins scolarisés, sans emploi, sans domicile fixe, auraient plus de problèmes de santé physique et mentale ainsi que de consommation et seraient plus souvent en détention pour le non-respect des conditions de mises en liberté. Les auteurs font le constat que les individus ayant de courtes peines d'emprisonnement sont fortement associés au phénomène appelé la «porte tournante» : certains individus ayant de courtes peines à répétition ne verraient pas la prison comme une source de dissuasion mais plutôt comme un endroit pouvant leur fournir un réseau social, des repas et un lit.

En ce qui a trait à la juridiction fédérale, nous émettons l'hypothèse, tout comme Donnelly & Forshner (1984) l'ont fait, que les individus sous juridiction fédérale pourraient être des individus étant plus enracinés dans un mode de vie délinquant. Bell et Trevethan (2004) avaient constaté que les résidents fédéraux des établissements résidentiels communautaires semblaient avoir eu beaucoup de démêlés avec la justice auparavant. En effet, dans notre échantillon, le pourcentage d'individus sous juridiction fédérale est fortement corrélé avec le pourcentage d'individus condamnés pour un délit contre la personne. Nous émettons une deuxième hypothèse, toujours la même que Donnelly et Forshner (1984), selon laquelle, ayant passé beaucoup de temps en détention, les individus auraient du mal à s'adapter à la transition entre cet environnement très contraignant et l'environnement moins contrôlant et structurant qu'est la communauté. Dans ce cas, il serait peut-être envisageable de tenir compte des effets d'une longue période d'incarcération sur les individus afin qu'ils puissent mieux vivre cette transition.

Pour ce qui est de la ville de Montréal, nous émettons l'hypothèse qu'elle serait propice à plus d'opportunités criminelles et à moins de contrôle social informel. En effet, si nous reprenons la théorie des activités routinières de Cohen et Felson (1979), la convergence de trois éléments provoque une opportunité criminelle : un délinquant motivé, une cible intéressante ainsi que l'absence de gardien. Dans la ville de Montréal, la quantité importante d'individus y circulant tous les jours crée plus de cibles potentiellement intéressantes pour un individu motivé à commettre un délit. Également, en nous basant sur la théorie de Shaw et Mckay (1942) selon laquelle l'hétérogénéité ethnique ainsi qu'une forte mobilité résidentielle seraient des causes d'une désorganisation sociale dans un quartier, nous croyons que le contrôle social informel à Montréal est relativement faible, ce qui engendrerait moins de « gardiens » pour dissuader le passage à l'acte. En effet, la ville de Montréal est composée d'une hétérogénéité ethnique ainsi que d'une mobilité résidentielle considérable comparativement aux autres régions du Québec. Ainsi, l'efficacité collective en étant affectée, les résidents des différents quartiers de Montréal auraient une confiance mutuelle moindre et une solidarité moindre et seraient donc moins portés à intervenir au niveau de la prévention de la criminalité.

Au niveau de la nature des délits, nous avons vu que les années où il y avait une majorité de résidents ayant été condamnés pour un crime contre la personne ou contre la propriété, comparativement à une catégorie «autre», les taux de réussite 1 et 2 étaient moindres. Il est relativement difficile d'interpréter ces résultats car cette catégorie « autre » est très large et inclus des délits qui sont complètement différents. Par exemple, une forte proportion des délits inclus dans cette catégorie concerne les délits relatifs aux drogues de toute sorte, les délits de conduite avec facultés affaiblies ainsi que des bris de conditions de mise en liberté. Toutefois, certaines études ont trouvé un lien entre l'impulsivité ou le contrôle de soi et les crimes violents. Par exemple, Cherek, Moeller, Dougherty et Rhoades (1997) ont mené une expérience psychométrique avec des individus en libération sous conditions dans laquelle ils mesuraient le niveau d'impulsivité des individus avec et sans antécédents de crimes violents. La comparaison de ceux-ci a révélé que les individus ayant commis des crimes violents auraient des scores plus élevés au niveau de l'impulsivité. Ainsi, nous émettons tout de même l'hypothèse que l'impulsivité des individus ayant commis des crimes contre la personne pourrait expliquer en partie la relation trouvée dans notre étude, bien qu'il soit difficile d'en tirer une conclusion ferme.

Conclusion

En conclusion, nous pouvons affirmer que les maisons de transition affichent des taux de réussite assez élevés. En effet, tant au niveau des individus qui complètent leur programme qu'au niveau des maisons de transition qui encadrent les résidents afin qu'ils ne représentent pas un danger pour les communautés, le succès est clair. En moyenne, 71% des résidents effectuent leur séjour sans reproche et 91% quittent sans avoir récidivé ou quitté en liberté illégale. Ainsi, nous pouvons affirmer que les maisons de transition parviennent à leur objectif de prévention tertiaire car effectivement, la récidive au moment des séjours s'avère être très rare (1,25%).

En ce qui a trait aux facteurs qui se sont révélés explicatifs des variations des deux taux de réussite, les résultats sont à prendre avec précautions. En effet, en raison de nombreuses et fortes corrélations entre certains facteurs, il n'a pas été possible d'insérer toutes les variables dans un seul et même modèle pour chacun des taux de réussite. Ainsi, il est difficile de déterminer quel facteur est plus fort qu'un autre car ils n'ont pas tous été contrôlés par les mêmes variables tout comme il est difficile d'évaluer l'influence réelle de ces variables. Il n'est donc pas impossible que certaines relations artificielles en découlent, nous ne sommes pas en mesure de le vérifier. Toutefois, cette étude aura permis de documenter le sujet et d'avoir une idée générale de la réussite en maison de transition.


Bibliographie

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