Revue Porte Ouverte

Les ressources humaines dans les organismes communautaires

Par Claude Larivière,
Coordonnateur du D.E.S.S. en administration sociale, Université de Montréal

Le genre peut-il vraiment faire une différence en gestion?

Traditionnellement, les hommes dominent la gestion des organisations qu’elles soient publiques ou communautaires, mais la relève sera progressivement davantage féminine. Une telle transformation changera-t-elle quelque chose au mode de gestion dominant, aux rapports interpersonnels entretenus en milieu de travail et à la relation entre l’univers du travail et l’espace de vie privée où les femmes assument tellement plus de tâches que les hommes? À travers le monde, les femmes continuent d’être sous-représentées dans la gestion, particulièrement au niveau supérieur (ILO, 2001). Le Conseil du statut de la femme (CSF) du Québec rappelle que les femmes ne peuvent être écoutées que si leur présence est assurée dans les principaux lieux de décision (1985 : 91). Dans le réseau de la santé et des services sociaux (RSSS), comme d’ailleurs dans celui de l’éducation ou de l’action communautaire, les femmes constituent depuis toujours les trois quarts de la main-d’oeuvre, mais elles n’ont jamais occupé une place correspondante au niveau des gestionnaires.

En 1993, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) traçait le portrait suivant de ses cadres : les femmes occupaient 18 % des directions, 39 % des cadres supérieurs et 62 % des cadres de premier niveau (MSSS, 1994). Une recherche menée en 1997 auprès de l’ensemble des cadres des Laurentides dévoilait que les femmes y occupaient 58,4 % des postes d’encadrement. Toutefois, les pourcentages variaient en fonction du niveau des postes : elles constituaient 63,8 % des cadres intermédiaires, 60 % des cadres-conseils, mais seulement 35,7 % des cadres supérieurs et des directeurs généraux (Larivière, 1997).

Traditionnellement, en l’absence d’un modèle familial de référence, peu de professionnelles choisissaient comme ancrage de carrière la gestion, lui préférant généralement l’approfondissement d’une pratique professionnelle jugée plus gratifiante en raison de la relation d’aide sur laquelle elle se fonde. La multiplication du nombre de femmes gestionnaires leur permet désormais de travailler à proximité de modèles potentiels.

Les frustrations propres aux tâches d’un cadre (imputabilité des résultats attendus, inadéquation des ressources fournies, marge de manoeuvre restreinte) constituent probablement un frein pour les innovatrices. Au niveau du partage des tâches hors du milieu de travail, bien que les hommes québécois aient tendance à s’impliquer dans bon nombre de tâches domestiques, il n’en demeure pas moins que leur contribution à la maison demeure largement inférieure à celle des femmes et que cet écart tend à s’accroître lorsque le couple a des enfants. Une bonne collaboration entre les conjoints devient dès lors nécessaire lorsqu’une femme gestionnaire doit, par exemple, assister à un conseil d’administration qui se tient le soir, à un comité de travail qui nécessite un déplacement, etc. Le facteur familial semble peser davantage pour l’accès au sommet. Dans l’étude qu’elle consacre aux femmes cadres supérieures de la fonction publique québécoise, Guay (1989) note « que plus de la moitié de ces femmes n’ont pas d’enfant et que seulement 30 % d’entre elles sont mariées » (1989 : 21). Ajoutons que 65 % de ces gestionnaires ont complété une formation universitaire de deuxième cycle, ce qui nécessite aussi une disponibilité particulière.

Il faut rappeler qu’une tendance forte caractérise la gestion de la carrière des cadres (Laufer, Fouquet, 2001) : leur propre volonté de devenir gestionnaire. En effet, le processus d’affichage public des postes à combler constitue la seule voie de recrutement et il appartient aux personnes intéressées de postuler. Tharenou (2001) a constaté que la confiance en soi, des habiletés personnelles et du soutien interpersonnel permettent d’entrer dans la carrière de gestionnaire et d’y progresser au début, mais pas de s’assurer un passage au sommet. Quant au style de gestion proprement masculin, identifié par des stéréotypes (decisive, direct, rational, authoritarian, logical, agressive and impersonal, Pearson, 1981), il a contribué à orienter la gestion des ressources humaines vers un système de relations de travail où la conflictualité des rapports avec les syndicats a marqué les années passées. Le secteur communautaire, d’abord non-syndiqué, le devient de plus en plus : cela changera-t-il la donne?

Les organisations dominées par un style de gestion masculin génèrent fréquemment un mauvais climat de travail marqué par un niveau élevé de stress au travail et peu d’autonomie professionnelle et de soutien aux pratiques (Larivière, 2001). Comme cette appréciation provient d’une majorité d’employés, nous pouvons penser que si des gestionnaires féminins prenaient une place prépondérante, elles auraient naturellement tendance à être plus à l’écoute des attentes deleur personnel et que cela pourrait modifier substantiellement le style de gestion des établissements publics. Dans ce cas, le genre pourrait faire toute une différence. Mais qu’en est-il dans le réseau communautaire, généralement moins institutionnalisé et plus souple?

Baudoux (1991) souligne que des organisations adoptent des styles de gestion « androgynes », alliant des caractéristiques féminines aux fondements masculins de la gestion. Une étude menée auprès de gestionnaires américains de services sociaux révèle que les gestionnaires féminins travaillent un peu plus que leurs collègues masculins, consacrent plus d’efforts au suivi de la performance, aux relations avec le milieu desservi, à l’affectation du personnel et à sa motivation, au travail de bureau, à la formation des employés et aux relations avec le reste de l’organisation. Inversement, les hommes adoptent un profil plus traditionnel et consacrent deux fois plus de temps que les femmes à la résolution de problèmes et aux prises de décision, et se préoccupent davantage de planification et de coordination (Ezell, 1993).

Le travail des gestionnaires féminins serait plus structuré que celui de leurs collègues masculins, leur créativité plus grande, elles seraient moins introverties et leurs décisions basées davantage sur l’analyse.

Ces constats rejoignent les éléments mis de l’avant par Helgesen (1990) pour discerner le leadership féminin : les femmes travaillent à un rythme régulier, partagent l’information, se rendent accessibles, s’occupent de leur personnel (caring), préfèrent les échanges spontanés, entretiennent un réseau de relations avec des personnes extérieures à leur organisation (pairs, collègues), développent une vision globale et, à long terme, considèrent le travail comme un des éléments importants de leur vie. Au niveau de leur personnalité, les cadres de la région des Laurentides, soumis à un test auto-administré, révèlent que le sexe des répondants est une variable qui influence modérément quatre dimensions. Ainsi, le travail des gestionnaires féminins serait plus structuré que celui de leurs collègues masculins, leur créativité plus grande, elles seraient moins introverties et leurs décisions basées davantage sur l’analyse. Par ailleurs, les gestionnaires féminins perçoivent le style de gestion de leur organisation comme étant un peu plus « traditionnel » (71,7 %) que leurs collègues masculins (62,4 %) (Larivière, 1997).

La gamme des habiletés de gestion désormais recherchées s’éloigne du schéma traditionnel (planification, organisation, contrôle) pour intégrer des aspects beaucoup plus politiques (Mintzberg, Bourgault, 2000). Il y a de fortes possibilités que cette relève soit davantage féminine et plus représentative des différentes communautés culturelles présentes dans la société québécoise, si nous nous basons sur le recrutement actuel des écoles de gestion.

Nous croyons que nous disposons ici d’une occasion exceptionnelle de corriger le déficit historique en mettant en place un programme d’encouragement destiné à former adéquatement une relève féminine au cours des prochaines années. Les organismes communautaires à but non lucratif demeurent une excellente école de formation pour cette relève.


BAUDOUX, Claudine (1991). « Les cadres de l’avenir : des androgynes ? », Gestion, février, p. 33-39. 

CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME (1985). Oui, mais… : le bilan des activités gouvernementales en matière de condition féminine est-il positif ?, CSF, Québec, 105 p.

EZELL, M. (1993). « Gender similarities of social work managers », Administration in social work, 7 (2), p. 39-57. 

GUAY, Marie-Michèle (1989). « Profil de femmes au mitan de la vie », dans : PLASSE, Micheline, SIMARD Carole (dir.), Gérer au féminin, Agence d’Arc, Montréal, p. 19-27. 

INTERNATIONAL LABOUR ORGANIZATION (2001). Breaking through the glass ceiling : Women in management, Genève, 186 p. 

LARIVIÈRE, Claude (1997). Personnalité et habiletés des cadres et styles de gestion des organisations du réseau de la santé et des services sociaux des Laurentides, rapport de recherche, Université de Montréal, 97 p. 

LARIVIÈRE, Claude (2001). Les progrès réalisés dans la collaboration CJ/CLSC en 2001, Association des CLSC/CHSLD et Association des Centres jeunesse du Québec, Montréal, 185 p. 

LAUFER, Jacqueline (1982). La Féminité neutralisée. Les femmes cadres dans l’entreprise. Flammarion, Paris.

LAUFER, Jacqueline (2001). « Introduction » Dans : Bouffartigue, Paul (sous la dir. de), Cadres : la grande rupture, Paris, La Découverte, p. 243-248.

LAUFER, Jacqueline, FOUQUET, Annie (2001). « À l’épreuve de la féminisation », Dans : BOUFFARTIGUE, Paul (sous la dir. de), Cadres : la grande rupture, Paris, La Découverte, p. 249-267. 

MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX (1994). Les cadres des établissements de santé et de services sociaux, Direction générale des relations professionnelles, Québec, 8 p. 

MINTZBERG, Henry, BOURGAULT, Jacques (2000). Manager en public. Institut canadien d’administration publique, Toronto, 132 p. 

PEARSON, S. S. (1981). « Rhetoric and organizational chance : New applications of feminine style ». In B. L. FORISHA, B. H.

GOLDMAN (ed.), Outsiders on the inside, Prentice-Hall, Englewood Cliffs (N.J.), 132-141. 

THARENOU, Phyllis (2001). « Going Up ? Do traits and informal social processes predict advancing in management ? », Academy of Management Journal, 44 (5), p. 1005-1117.