Revue Porte Ouverte

Les ressources humaines dans les organismes communautaires

Par Propos recueillis par Jennifer Cartwright,
ASRSQ

S’adapter aux changements, d’une génération à l’autre - Entrevue avec Bernard Cartier, Directeur de la Corporation Maison Charlemagne

La Corporation Maison Charlemagne est un organisme communautaire situé à Montréal qui accueille des résidents purgeant des peines fédérales et provinciales et qui s’occupe aussi de suivis en communauté provinciaux. Elle emploie au-delà de 30 employés. Bernard Cartier en est le directeur depuis 15 ans.

Quels sont les principaux défis rencontrés au niveau des ressources humaines?
Recruter les bonnes personnes et savoir les garder. Pour ce faire, nous avons mis en place divers moyens à travers les années. Par exemple, nous avons diversifié notre personnel. Autrefois, nous n’engagions que des criminologues. Aujourd’hui, nous avons étendu l’embauche à d’autres disciplines telles que la sexologie, la psychologie et le travail social, ce qui nous permet de recruter plus facilement. Nous recherchons des intervenants ayant la fibre communautaire et partageant les valeurs de l’organisation. Nous évaluons un candidat en fonction de son savoir-être et de ses valeurs. Par la suite, pour l’apprentissage du travail, nous avons toute l’expertise nécessaire pour l’accompagner dans son cheminement professionnel.

Accueillir des stagiaires est une façon magnifique de recruter : ça nous laisse le temps de voir comment le jeune travaille pendant que ce dernier voit si notre organisme lui plaît. Ainsi, nous en accueillons jusqu’à quatre par année, issus de divers domaines. 35% de nos employés sont d’anciens stagiaires.

Finalement, nous portons une attention spéciale pour engager aussi des garçons… et nous y arrivons. 40% de nos employés sont de sexe masculin. C’est important parce que la clientèle est entièrement masculine. De plus, nous travaillons souvent avec des délinquants sexuels; il y a des clients avec qui il est préférable de jumeler des intervenants. Et de façon générale, on gagne à avoir les deux sexes, ce qui nous permet d’avoir des équipes variées et des points de vue différents. D’avoir ouvert le recrutement à d’autres disciplines nous aide à préserver cet équilibre, puisque 90% des criminologues diplômés chaque année sont des femmes.

Qu’est-ce qui fait que les employés restent? 

Peut-être qu’on les choisit bien, mais nous nous attardons aussi à différents facteurs. Toutes les recherches le démontrent : le salaire, s’il est un facteur de motivation, n’est toutefois pas le plus important. Ainsi, bien que nous nous efforcions d’offrir des salaires de plus en plus compétitifs, nous avons mis en place d’autres types de bénéfices et avantages sociaux visant notamment la qualité de vie au travail et la conciliation travail-famille.

Aujourd’hui, nous évaluons un candidat en fonction de son savoir-être, de ses valeurs. Je n’ai pas besoin de quelqu’un qui sait déjà comment intervenir : j’ai besoin de quelqu’un qui a la fibre communautaire, qui partage notre vision.

Récemment, nous avons réalisé un exercice de planification stratégique et plusieurs employés y ont participé. Un des objectifs corporatifs va comme suit : « Placer les ressources humaines au coeur des orientations de l’organisation. L’attention accordée aux ressources humaines est la pierre angulaire de l’orientation et du développement de notre organisation. » Nous sommes convaincus que la qualité de nos services ne pourrait exister sans des employés heureux, expérimentés et compétents. Il faut donc les garder. Ainsi, nous nous sommes fixé comme objectif un taux de rétention de 90% de nos employés réguliers, année après année.

Pour rendre des employés heureux et les garder, il y a d’autres aspects importants. La supervision en est un et il y a ici une compétence et un encadrement rigoureux. Aussi, offrir la possibilité de relever des défis est extrêmement important. Nous offrons un milieu stimulant, en misant sur la formation et en accordant beaucoup d’importance à la créativité. Nous cultivons également un climat de confiance et de transparence. Chaque trois mois, nous organisons un déjeuner lors duquel nous informons le personnel sur ce qui se passe à la Corporation. Il y a aussi l’aspect du mérite et de la reconnaissance. Finalement, on travaille beaucoup sur le sentiment d’appartenance et l’esprit d’équipe : en CRC, il est indispensable que les gens travaillent en équipe.

Comment gérez-vous les congés de maternité? 

Compte tenu de l’âge des employées, il y en eu beaucoup et il va y en avoir encore, d’autant plus que 60% de notre personnel est féminin. Il existe ici un climat de confiance et le fait d’avoir une orientation de conciliation travail-famille amène une ouverture qui permet de prévoir et de gérer le congé de maternité plus facilement. Pendant leur congé, elles peuvent participer aux concours quand un poste s’ouvre. Au retour, nous offrons des horaires flexibles et la possibilité de réduire les heures de travail. Ces mesures se sont avérées très populaires.

Les principaux défis pour le recrutement et la rétention du personnel ont-ils changé avec les années?

Oui. À l’époque, travailler la nuit était la porte d’entrée pour être engagé. Tout le monde commençait comme ça. Au fil du temps, trouver du personnel de nuit est devenu de plus en plus difficile : nous nous sommes alors tournés vers une agence de sécurité. Ensuite, il y a eu les fins de semaine. C’était aussi une façon de commencer, mais c’est devenu de plus en plus difficile. Les jeunes qui occupaient ces postes nous disaient que concilier le travail et leurs autres activités, telles que les études, était difficile. Il fallait donc une longue liste de surnuméraires pour combler ces quarts de travail : nous avions besoin de surnuméraires pour remplacer les surnuméraires! Nous avons procédé ainsi pendant longtemps, mais former 10, 15 ou 20 nouveaux employés par année pour supporter l’équipe régulière s’avérait inefficace et onéreux. Aujourd’hui, nous ne fonctionnons plus avec une longue liste de surnuméraires. Par exemple, certains remplacements sont assumés à l’intérieur de l’équipe régulière et les autres sont essentiellement confiés à une seule personne. Nos équipes sont beaucoup plus stables ainsi.

Nous avons réalisé que le modèle d’autrefois ne fonctionne plus. Le travail est encore intéressant pour les jeunes qui arrivent sur le marché, mais ils souhaitent également investir à d’autres niveaux. Il y a la vie de famille, les loisirs, le besoin d’épanouissement, etc.

L’évolution de la clientèle à travers le temps a-t-elle influencé la gestion des ressources humaines? 

Oui, la manière dont on les forme. Ici, il y a des délinquants sexuels. Il y a aussi une clientèle démunie, beaucoup d’itinérance, des personnes ayant de multiples problématiques. La clientèle semble désormais un peu moins délinquante, mais plus souffrante qu’autrefois. De plus, au provincial, certains jeunes clients ont davantage de difficultés en contexte d’autorité, ce qui modifie aussi notre façon de superviser nos jeunes intervenants.

Comment le contexte actuel affecte-t-il la gestion des ressources humaines? 
À mon avis, il va y avoir des problèmes. La pénurie de maind’oeuvre va s’étendre un peu partout, et l’État aussi va connaître des difficultés. Il est donc important de se pencher très sérieusement sur la question du personnel : il va y avoir toute une compétition! Les bonnes organisations, celles qui se soucient de leurs ressources humaines et qui auront mis en place des mesures efficaces pour les garder, vont être capables de poursuivre avec succès leurs activités, voire même de les accroître.

Le Mouvement Desjardins nous dit que nous allons être en pleine crise au niveau de la main-d’oeuvre autour de 2013. À mon avis, nous avons trois ou quatre ans pour nous positionner. Mais si nous faisons les bons choix, je suis très optimiste face au rôle que nos ressources auront à jouer au niveau de la justice pénale.