Revue Porte Ouverte

Les ressources humaines dans les organismes communautaires

Par Julie Cloutier,
Professeure agrégée, École des sciences de la gestion ESG-UQAM

et Denis Harrisson,
Professeur titulaire, École des sciences de la gestion ESG-UQAM, Directeur du Centre de recherche sur les innovations sociales et l’économie sociale (CRISES) 2003-2009

La gestion efficace des équipes de travail : une solution au roulement de personnel?

La qualité des services qu’offrent les organismes à but non lucratif (OBNL) dépend presque exclusivement des personnes qui y travaillent. Or, ces organismes éprouvent de plus en plus de difficulté à recruter du personnel et à le retenir, ce qui menace sérieusement la réalisation de leur mission. Les salaires et les conditions de travail qui sont généralement moins généreux dans ce secteur ne seraient pas étrangers au phénomène. Faut-il en déduire que ces organismes se trouvent dans une impasse ? Probablement pas. Les études montrent que bien d’autres aspects du travail procurent de la satisfaction aux individus et les incitent à demeurer en emploi. Par exemple, lorsqu’elles sont gérées de manière efficace, les équipes de travail contribuent largement à susciter de la satisfaction. Pourraient-elles s’avérer une solution au problème de roulement de personnel dans les OBNL?

Qu’est-ce qu’une équipe efficace ?

En plus d’atteindre une performance élevée sur le plan de la prestation des services, l’équipe de travail efficace présente une performance dite sociale, c’est-à-dire qu’elle procure à ses membres un niveau élevé de satisfaction : un sentiment de compétence et d’accomplissement, un sentiment d’appartenance et le sentiment d’être utile et apprécié. Source de satisfaction et de plaisir au travail, l’équipe de travail efficace s’avère un milieu où il fait bon travailler et… continuer à travailler.

Qu’est-ce qui la rend efficace ?

L’efficacité de l’équipe de travail dépend largement de sa composition et de la dynamique qui s’y installe. D’abord, le processus de sélection (attraction des candidats à l’interne ou à l’externe, détermination des critères de sélection, analyse des candidatures) doit permettre de regrouper des individus qui possèdent les compétences requises pour assumer leur rôle, qui ont acquis des expertises variées et des expériences différentes et qui partagent les mêmes valeurs et sont capables de travailler en étroite collaboration avec d’autres personnes. Le cas échéant, des séances de sensibilisation, de la formation ou du parrainage permettent une mise à niveau des compétences.

Une bonne dynamique de groupe fait référence à l’existence de relations interpersonnelles valorisantes et enrichissantes. Les relations valorisantes véhiculent l’acceptation et la considération, la confiance mutuelle, l’encouragement et le soutien sur le plan affectif lors de situations difficiles. Elles permettent aux individus de trouver la motivation nécessaire pour faire face aux exigences de leur travail, d’agir avec assurance, et d’améliorer leur résistance au stress. Elles présentent également l’avantage d’établir un climat d’ouverture propice au partage des points de vue, des idées et des expertises ainsi qu’au développement de solutions novatrices. Enfin, l’existence de relations valorisantes constitue la condition première du plaisir de travailler avec les autres. Pour leur part, les relations enrichissantes font référence à l’échange d’information nécessaire pour réaliser le travail ainsi qu’à l’aide que s’apportent mutuellement les membres de l’équipe pour effectuer certaines tâches. Ces relations contribuent notamment à réduire les problèmes de surcharge de travail.

Comment la gérer ?

Le supérieur immédiat joue un rôle essentiel dans l’efficacité des équipes de travail. C’est notamment à travers la communication d’information claire et complète que le supérieur immédiat dissipe les ambiguïtés, les doutes et les inquiétudes en vue de motiver et d’orienter le travail de chacun vers la réalisation des objectifs, et de réduire les sources de stress et de conflits potentiels afin de maintenir des relations valorisantes et enrichissantes entre les membres de son équipe.

Ainsi, en collaboration avec son équipe, le supérieur immédiat fixe les objectifs à réaliser en s’assurant qu’ils soient motivants. Bien que dans les OBNL les objectifs soient généralement stimulants parce qu’ils répondent à une finalité sociale, ils doivent toutefois être réalistes. Des objectifs difficilement atteignables – par manque de personnel, de temps ou de ressources par exemple – engendrent généralement un sentiment d’échec, d’impuissance et de frustration. Ce qui risque d’accentuer le problème de roulement de personnel. Les objectifs doivent également être formulés de façon claire, précise et mesurable, de manière à ce que les membres de l’équipe sachent exactement ce que l’on attend d’eux et puissent maintenir leur motivation en suivant collectivement leurs progrès.

L’établissement des objectifs débouche alors sur un plan d’ensemble du processus de prestation des services. Le supérieur immédiat amène les membres de son équipe à partager une même compréhension en ce qui concerne les priorités et les activités à réaliser pour produire les services, les standards de qualité visés et les comportements appropriés, le rôle de chacun des membres de l’équipe ainsi que les limites de ce rôle, et la façon dont les membres doivent collaborer. D’une part, ces éclaircissements font en sorte que tous et chacun agissent de manière cohérente et sans duplication de tâches, formulent des attentes réalistes les uns envers les autres, profitent de l’expertise de chacun, s’entraident au moment opportun, et travaillent dans une ambiance agréable. D’autre part, ce plan d’ensemble contribue à maintenir la motivation des membres de l’équipe, leur permettant de prendre conscience de l’importance de leur propre contribution pour le bien-être de la clientèle. Il suscite le sentiment d’appartenir et de participer à une œuvre collective, à quelque chose de plus grand que soi.

C’est également au supérieur immédiat que revient la responsabilité de créer les conditions permettant aux membres de l’équipe de contribuer pleinement. En plus de leur fournir les ressources nécessaires pour effectuer leur travail (ex. : information, matériel, équipement), il leur donne l’occasion de mettre à profit leurs compétences en favorisant l’autonomie, l’initiative et la participation aux décisions. Il s’assure aussi que toutes les activités pertinentes sont réalisées dans l’ordre approprié et au temps opportun. Une bonne coordination des activités permet notamment de mettre en place des pratiques d’équilibre travail-famille (ex. : horaire flexible). Ces pratiques sont considérées essentielles dans les milieux de travail présentant une forte proportion de femmes, notamment les OBNL.

Les OBNL sont en partie le résultat d’une action collective fondée sur les initiatives prises par les groupes et les mouvements qui, ce faisant, adoptent des pratiques démocratiques. En cela, elles favorisent un processus d’« empowerment » qui remet en question le modèle de gestion autoritaire dominant dans les organisations des secteurs privés et publics. Le type d’autorité qu’exercent les OBNL sur leurs membres révèle une forme de pouvoir normatif qui suscite l’engagement de ces derniers à travers un « attachement moral ». C’est la construction d’un nouveau contrat entre l’employeur et l’employé, reposant sur la prise en compte des attentes et des aspirations des individus de sorte à encourager la responsabilisation, l’engagement et l’expression de l’individu dans l’organisation. Les organisations peuvent miser sur cette force caractéristique des OBNL et construire le travail en équipe, lequel peut alors se démarquer des autres secteurs d’activités. Il faut pour cela développer des stratégies appropriées qui reposent sur des activités bien définies.


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