Revue Porte Ouverte

Les ressources humaines dans les organismes communautaires

Par Anne Bourhis,
Ph.D, Professeure de gestion des ressources humaines à HEC Montréal

Impossibles à gérer, les Y?

Si j’avais 1 $ chaque fois que j’entends un employeur se plaindre de ses employés de la génération Y, je serais riche! Et je ne dois pas être la seule à entendre cette complainte puisque Emploi-Québec vient de publier un document adressé aux employeurs pour « apprivoiser » la génération Y1. Ces jeunes travailleurs sont-ils si sauvages qu’il faille les apprivoiser? Sont-ils donc impossibles à gérer? Peut-on s’en passer sur le marché du travail? Nos organisations, qui ont tant besoin de main-d’oeuvre, sauront-elles faire face au défi de l’intégration de cette main-d’oeuvre? Autant de questions qui méritent que l’on s’y attarde… en commençant par la question de la démographie du marché du travail.

La réalité du déclin démographique du Québec

Quels que soient les chiffres que l’on considère, la réalité est la même : la population en général du Québec vieillit, et la population active est en déclin. Dès 2011, selon l’Institut de la statistique du Québec2, plus de personnes quitteront le marché du travail que de nouveaux travailleurs ne s’y joindront. Les employeurs auront donc peu de marge de manoeuvre : à moins de réaliser d’énormes gains de productivité ou de faire appel de façon plus abondante à une main-d’oeuvre immigrée, ils devront recruter parmi les travailleurs qui joindront le marché du travail dans les prochaines a n n é e s… donc, parmi les membres de la génération Y. En effet, le terme « génération Y» désigne les personnes nées entre la fin des années 1970 et le milieu des années 1990, actuellement âgées entre 12 et 30 ans environ. Moins nombreux que les baby-boomers qui les précèdent, les Y arrivent sur le marché du travail dans des conditions favorables puisque les emplois libérés par les départs massifs à la retraite sont disponibles. La crise actuelle, qui voit augmenter de façon ponctuelle le taux de chômage, ne pourra pas effacer cette tendance structurelle lourde. Mais qui sont-ils exactement, ces Y?

Les Y, une génération qui fait couler de l’encre…

Depuis quelques années, les écrits sur la génération Y abondent. Ils utilisent habituellement le terme « génération » dans le sens d’un ensemble de personnes qui ont à peu près le même âge et qui ont vécu des expériences similaires, dont résultent une vision du monde semblable et un mode de pensée commun. Ainsi, au risque de généraliser, ces écrits notent habituellement trois sources majeures d’influence des membres de la génération Y : la technologie, la mondialisation et l’univers familial.

Élevés dans une société du savoir qui leur a donné un accès quasi illimité à l’information par le biais des technologies, les jeunes de la génération Y ont été constamment exposés à une grande quantité d’idées et d’opinions. Très à l’aise avec la technologie, ils trouvent normal d’être constamment branchés et ont l’habitude d’exécuter plusieurs tâches à la fois… Une recherche américaine a même démontré que les jeunes de 18-24 ans réussissent à consommer 31 heures de média par jour3!

Contrairement à leurs parents baby-boomers qui ont grandi dans une société plutôt homogène, les jeunes de la génération Y ont toujours été exposés à une diversité ethnique et religieuse importante. De plus, avec l’internet, les frontières s’estompent, ce qui permet de faire passer les relations de la sphère locale à la sphère mondiale, de sorte qu’ils ont une ouverture sur le monde plus considérable que les générations précédentes.

Sur le plan familial, la génération Y a grandi à l’époque de l’enfant-roi : ces enfants, élevés dans des familles de taille réduite, ont été désirés et attendus par leurs parents, qui continuent de les dorloter, de les protéger et de s’impliquer dans leur vie. Centres d’attention de leurs parents, ils ont, depuis leur jeune âge, un droit de parole et un pouvoir décisionnel au sein de la famille, mais doivent composer avec des pressions très grandes liées à la réussite scolaire et aux nombreuses activités parascolaires.

Avec de telles influences, les membres de la génération Y se caractérisent par un niveau élevé de scolarisation, une grande maîtrise de la technologie, un rapport au temps basé sur l’immédiateté, une grande recherche d’indépendance, une valorisation de la liberté d’expression et de l’affirmation de ses opinions. Ambitieux, confiants, les Y ont développé un goût pour le changement et l’innovation et sont tolérants envers la diversité

En fait, le recrutement de Y doit être l ’occasion d’une réflexion chez un employeur : quelles sont les adaptations acceptables pour cette organisation? Quels sont les éléments fondamentaux sur lesquels il n’y a pas d’adaptation possible?

Bien évidemment, ces caractéristiques influencent leurs attentes envers leur milieu de travail : préférant les structures souples et aplaties, où la hiérarchie fait place à des rapports plus égalitaires et où le mode de gestion est plutôt informel, les Y recherchent des milieux professionnels où le travail d’équipe, le partage d’idées, la participation et l’implication sont possibles. La qualité de la relation avec le supérieur est aussi très importante pour ces jeunes habitués à communiquer de façon instantanée et à recevoir une rétroaction immédiate. Comme ils ont un grand besoin d’encouragement, d’approbation et de reconnaissance, ils s’attendent à ce que leur supérieur agisse plus comme un mentor que comme un patron traditionnel, et souhaitent être reconnus en fonction de leurs compétences et de leur expertise plutôt que de leur ancienneté.

Leur volonté d’avoir des interactions sociales les amène aussi à rechercher une certaine flexibilité quant à leur horaire de travail pour pouvoir consacrer du temps à leur famille, leurs amis et leurs loisirs. En même temps, ils ne souhaitent pas sacrifier leur carrière et accordent une grande importance au développement personnel et professionnel : pour eux, les possibilités d’avancement, les défis et le sens du travail sont des caractéristiques importantes et ils s’attendent à ce que les choses bougent rapidement. Si leurs attentes ne sont pas comblées rapidement par l’organisation, ils seront impatients et n’hésiteront pas à quitter pour trouver mieux. Ainsi, les caractéristiques des Y sont, parfois à tort, résumées en « 5 i » : internet, impatience, indolence, infidélité, individualisme4. Mais au-delà de ces exigences, la génération Y ne possède-t-elle pas également des atouts? Chaque génération ne doit-elle pas faire preuve d’adaptation pour bénéficier de cette richesse dans la diversité des âges?

Qui doit s’adapter à l’autre?

« Ce sont des bébés gâtés, ces Y, ils nous demandent de nous adapter alors que, quand j’avais leur âge, c’est moi qui ai dû faire cet effort! » C’est un discours que l’on entend souvent dans les organisations et qui n’est pas dénué de justesse… mais, malheureusement, la question ne se pose pas en ces termes. Dans un contexte de pénurie de talents, les organisations doivent s’adapter aux demandes des nouveaux travailleurs… et faire bénéficier tous les employés de ces adaptations. Car finalement, n’ont-ils pas raison, ces Y, de chercher un meilleur équilibre entre le travail et leur vie privée, de vouloir être passionnés par leur travail, de chercher à apprendre constamment?

Mais que doit-on adapter exactement? En fait, le recrutement de Y doit être l’occasion d’une réflexion chez un employeur : quelles sont les adaptations acceptables pour cette organisation? Quels sont les éléments fondamentaux sur lesquels il n’y a pas d’adaptation possible? Il convient de remettre en cause certaines pratiques de gestion qui n’ont pas nécessairement de justification rationnelle, mais qui se sont figées par la force de l’habitude. À titre d’exemple, un employeur peut juger que l’instauration d’un horaire de travail condensé (consistant à travailler 70h en 9 jours afin d’obtenir un vendredi sur deux de congé) ne diminuera pas la productivité de son équipe; un autre peut accorder deux semaines de congé sans solde aux nouveaux employés n’ayant pas accumulé suffisamment d’ancienneté pour bénéficier de congés payés. Et ces changements bénéficieront à l’ensemble des employés, pas seulement aux Y. Un élément tout aussi important, mais parfois plus difficile à mettre en place, est de favoriser le transfert des savoirs entre les générations. Même s’il n’y a pas de recette miracle, l’encadrement des recrues par un gestionnaire d’expérience, la création d’équipes multigénérationnelles, la mise en place d’un programme de mentorat, la formalisation d’un programme de formation par les pairs sont autant d’exemples de pratiques de gestion qui visent à partager les savoirs, souvent tacites, au sein d’une même équipe.

Qu’on s’en réjouisse ou qu’on s’en désole, les Y arrivent en force sur le marché du travail. Le plus grand défi des gestionnaires dans les prochaines années sera d’arrimer les passions et les attentes de ces nouveaux travailleurs avec les besoins des organisations… et pour y arriver, un peu d’adaptation de part et d’autre est nécessaire!


1 Emploi-Québec. Comment apprivoiser la génération Y. Document consulté le 6 juillet 2009 sur le site : http://www.emploiquebec.org/publications/Pages-statiques/00_emp-fichegeneration-Y.pdf.

2 Létourneau E. et Thibault N. (2005). « Bientôt moins de travailleurs au Québec : pourquoi? », Données sociodémographiques en bref, vol. 9, no 3, p. 6. Document consulté le 6 juillet 2009 sur le site : http://www.stat.gouv.qc.ca/publications/conditions/pdf/BrefJuin05.pdf.

3 Weiss, M. J. (2003). «To be about to be (Generation Y)», American Demographics, vol. 25, no 7, p. 28-36. 

4 Peretti, J.-M. (2008). « Intégrer la génération yo-yo ». Document consulté le 7 juillet 2009 sur le site : http://essec.typepad.fr/essec_blog_rh/2008/10/intgrer-la-gnra.html.