Revue Porte Ouverte

Les ressources humaines dans les organismes communautaires

Par David Henry,
ASRSQ

Peines en prison : l’addition cachée

«Témoin de première ligne, j’atteste ici que les dégradations psychologiques, morales et physiques générées par le quotidien pénitentiaire sont réellement exorbitantes! Je suis convaincu que le déchaînement destructeur de la peine va bien au-delà de ce qu’a pu vouloir le législateur…».

Philippe Landenne, licencié en droit et chargé de recherche pour le Réseau Détention et Alternatives (REDA) est aumônier dans les prisons belges depuis plus de trente ans. Sa position de témoin et d’acteur de la vie au sein du microcosme carcéral lui donne accès à tous les acteurs de la prison (des détenus aux agents pénitentiaires, des directions aux services sociaux et médicaux, des familles aux avocats, etc.) et joue un rôle tant de conseiller que d’intermédiaire entre tous ces intervenants. Sa situation lui permet donc d’être un observateur privilégié de ce monde caché.

Son livre Peines en prison : l’addition cachée est un journal de bord qui relate son expérience à la prison d’Andenne entre les années 2002 et 2007. Cette prison est un établissement pénitentiaire sécuritaire récent (ouvert en 1997) et comprend 400 détenus condamnés à de longues peines (cinq ans et plus). Philippe Landenne décrit la brutalité du quotidien dans cette prison dite « moderne et humaine ». Selon lui, ces nouvelles institutions totales opèrent dans un cadre différent des établissements plus vétustes, mais se révèlent être d’une froideur et d’une inhumanité inimaginable.

Dans un premier chapitre, l’auteur décrit l’épidémie de décès qui survient dans « l’aile de la mort » telle que rebaptisée par les médias. Les évènements : trois suicides, deux overdoses et un problème médical qui entraînent la mort de six détenus en moins de 12 mois. Les conditions de détention dans cette aile d’isolement de régime strict sont insupportables pour plusieurs… Le chapitre suivant décrit la grève spontanée de six jours du personnel pour protester contre la présence d’un détenu jugé dangereux. Aucun service essentiel n’est assuré, sauf les repas qui sont servis en cellule par les cadres et les policiers. Les tensions s’exacerbent. Il n’y a plus de surveillants de rangée, le désordre et le chaos s’installent (bris de matériels, incendies, ordures jonchant le sol, etc.) et culminent avec la mort d’un détenu brûlé dans sa cellule. Il aborde ensuite la révolte des détenus qui suit de peu la grève du personnel. Les liens de cause à effet sont évidents. Le point de départ de l’émeute est un simple ballon qui est refusé à un détenu. Les tensions sont telles que suivant une logique typiquement carcérale (confrontations, mesures disciplinaires, re-confrontations, escalades des moyens) ce simple événement conduit à une émeute de plusieurs jours.

Dans le reste du livre, l’auteur décrit les circonstances particulières menant au suicide d’un jeune détenu. Ce suicide montre toute la détresse des condamnés (la plupart ont déjà des problèmes de consommation avant leur incarcération) et l’impuissance des agents correctionnels par rapport à ces situations. On découvre également que les rumeurs peuvent être particulièrement insidieuses dans un milieu clos. Il retrace par la suite l’histoire d’un détenu qui accuse des agents de viol et il décrit le déroulement de l’affaire. Finalement, il s’attarde au quotidien de plusieurs détenus et décrit leurs déboires, leurs espoirs, les mesures disciplinaires qui s’enchaînent et les difficultés à entretenir des relations à l’extérieur. Il souligne le travail parfois exceptionnel de certains intervenants, mais aussi les comportements pour le moins équivoques de certains autres. Il termine sur quelques timides éclaircies comme la nouvelle loi pénitentiaire de 2005 sur le statut juridique des détenus et sa découverte de l’expérience canadienne de justice réparatrice en milieu pénitentiaire. Une lecture indifférente de ce livre est impossible. Il est rare d’avoir des témoignages sur l’univers carcéral : c’est un monde fermé et qui, par définition, se soustrait de l’espace public. Ce livre-choc raconte sans détour les traumatismes infligés par la prison aux détenus, mais également à l’ensemble du personnel carcéral. Le constat final est brutal. « Dans l’arsenal des peines et des mesures disponibles dans les législations pénales de nos pays occidentaux, quelles que soient certaines déclarations d’intentions politiques affirmant le contraire, la privation de liberté reste généralisée et constitue l’arme de destruction massive la plus commune ». En préface, Françoise Tulkens, juge à la Cour européenne des droits de l’homme, conclut par ces mots : « Souvent on prétend que les juges ne savent pas à quoi ils condamnent. Désormais, ce n’est plus possible ».

Le livre est offert au Québec depuis le mois d’avril aux Éditions Larcier.