Revue Porte Ouverte

Les ressources humaines dans les organismes communautaires

Par Propos recueillis par David Henry,
ASRSQ

Ali et les princes de la rue

Charles Ali Nestor pratique les sports de combat depuis l’âge de 12 ans. En 1997, il fonde sa propre école, l’Académie Ness Martial, spécialisée en combats ultimes. Il a été sacré champion international de boxe chinoise à Baltimore aux États-Unis en 1997, 1998, 1999 et en 2001. Il a également été couronné champion panaméricain en Californie en 1999 et en 2001. Le 10 juin 2004, il fonde l’organisme sans but lucratif Ali et les princes de la rue pour créer un refuge « où les jeunes peuvent venir se défouler d’une façon positive, et où ils ne seront ni ne feront de victimes».

Quel a été votre parcours sportif?

J’ai commencé par pratiquer la lutte dans un petit centre communautaire près de chez moi. Ensuite, à 14 ans - alors que j’étais placé en centre jeunesse - j’ai commencé à m’intéresser au karaté. À l’époque, l’intervention juvénile était très axée sur le sport, ce qui n’est malheureusement plus le cas aujourd’hui. Finalement, lorsque je suis sorti à 18 ans, je me suis juré de me respecter et de réaliser mes rêves. Je suis allé m’inscrire dans une école d’arts martiaux et je suis retourné finir mon secondaire. Je n’ai plus jamais cessé de pratiquer les arts de combat depuis cet instant.

Qu’est-ce que l’association « Ali et les princes de la rue »?

L’association vient en aide aux jeunes décrocheurs qui ne vont pas à l’école et qui ne travaillent pas. La majorité d’entre eux sont référés par les centres jeunesse. Concrètement, on les aide à se retrouver et à se redonner une identité positive. Par exemple, nous avons mis en place un service d’aide aux devoirs. Les jeunes peuvent venir après l’école et un intervenant est présent pour les aider. Quand ils ont fini leurs devoirs, ils peuvent s’entraîner dans le gymnase. Nous avons également mis en place un programme qui s’appelle « Ressources à la suspension ». Ainsi, quand un adolescent est suspendu de son école, la rue peut se substituer au milieu scolaire. Pour éviter cet engrenage, il est reçu ici et il est encadré dans ses devoirs. Il doit également suivre des ateliers de gestion de la colère et comprendre les raisons de son renvoi temporaire. Finalement, nous avons mis en place, en collaboration avec des commerçants du quartier, des stages d’intégration au travail. Les stages de six mois s’adressent aux jeunes adultes décrocheurs âgés entre 16 et 25 ans. L’objectif final est l’intégration définitive sur le marché du travail ou bien le retour aux études.

La pratique des arts martiaux permet de canaliser la violence. L’apprentissage de n’importe quel sport de combat inclut le contrôle de soi-même. Il est vraiment impossible de monter sur un ring et de combattre uniquement avec sa colère.

Qu’est-ce qui vous a poussé à créer cette association?

J’ai créé un service dont j’aurais eu besoin quand j’étais plus jeune. Lorsque j’ai fondé mon école d’arts martiaux, beaucoup de jeunes venaient me voir et me parler de leurs problèmes. Ils s’identifiaient à moi parce qu’ils connaissaient mon parcours. Je me suis rendu compte qu’ils étaient le reflet de mon adolescence et j’avais donc une grande facilité à comprendre leurs difficultés. J’ai décidé de leur offrir un lieu où ils pourraient éviter mes erreurs de jeunesse. Je donne régulièrement des conférences dans les centres jeunesse, dans les écoles ou dans les maisons de jeunes afin de véhiculer un modèle positif. Nous accueillons plus de 200 jeunes chaque année par l’entremise de l’association. La plupart changent et choisissent une vie plus respectueuse des lois au fil de nos interventions. Ainsi, ils deviennent à leur tour des modèles positifs pour leurs communautés. Ce sont ces résultats concrets qui nous donnent la force de continuer jour après jour.

Vous semblez très impliqué dans St-Léonard. Avez-vous grandi au Québec?
Je suis d’origine haïtienne et je suis arrivé au Québec à l’âge de cinq ans. J’ai grandi à Montréal-Nord et dans le quartier St-Michel. À la fin des années 70, le racisme était banalisé dans la société québécoise. Le racisme m’a frappé dès que j’ai commencé à fréquenter l’école. Je me faisais très souvent insulter et il n’y avait aucun moyen de me plaindre ou de changer cette situation. J’ai vécu énormément de rejet, mais je voulais faire partie du groupe. Je me forçais à parler plus joual que les Québécois pour être traité sur un pied d’égalité. Le racisme a attisé ma colère et ma révolte. J’ai fini par répondre par la violence. J’ai fait plusieurs séjours en centre jeunesse pour finalement réaliser certaines prises de conscience qui m’ont permis de briser le cycle de la violence.

La mission de l’association n’est pas d’apporter une aide uniquement aux jeunes du quartier. La plupart des organismes sont sectorisés et fournissent de l’aide aux personnes selon leur lieu de résidence. Nous accueillons tout le monde sans exception. Les jeunes viennent de différents milieux, de différents quartiers, c’est un organisme multiethnique. Je ne veux pas recréer les conditions d’exclusion qui m’ont heurté.

Quels sont les besoins de la communauté haïtienne selon vous?

On ne médiatise jamais les personnes importantes des communautés immigrantes au Québec. Souvent, les jeunes issus de l’immigration n’ont pas de modèles alors ils se réfèrent à ce qu’ils voient à la télévision comme le « gangsta rap ». Il y a peu de modèles positifs véhiculés dans les médias. D’ailleurs, une de nos interventions consiste à présenter aux jeunes en difficulté des personnes auxquelles ils peuvent s’identifier et qui peuvent servir de modèle social. La société ne devrait pas ostraciser certains groupes et les présenter systématiquement sous un mauvais jour.

Comment la pratique des arts martiaux permet-elle de diminuer la violence?
La pratique des arts martiaux permet de canaliser la violence. L’apprentissage de n’importe quel sport de combat inclut le contrôle de soi-même. Il est vraiment impossible de monter sur un ring et de combattre uniquement avec sa colère. Les arts martiaux imposent une discipline et un style de vie. C’est également l’apprentissage de ses limites. Néanmoins, quand un jeune est en colère, il faut lui permettre de se défouler. Par exemple, il peut frapper sur un sac. Ainsi, il n’est pas victime et ne fait pas de victimes dans la rue - donc une partie du problème est déjà réglée. À l’association, on lui dit : « tu as le droit, défoule-toi, mais on va le faire dans le respect ».

Est-ce que les ressources sont disponibles pour faciliter la réintégration des jeunes décrocheurs?

Non, les ressources ne sont tout simplement pas disponibles dans certains quartiers où les besoins sont pourtant urgents. Par exemple, à Montréal-Nord, ces jeunes sont laissés à eux-mêmes avec les conséquences que cela entraîne : exclusion, chômage, pauvreté, etc. Peut-être qu’il s’agit d’une stratégie du gouvernement de les ghettoïser autant, mais ce n’est pas une attitude constructive. Il faut réfléchir à des solutions et se donner les moyens de les mettre en place. Si rien n’est fait, le désordre et la révolte continueront dans ces quartiers.

On parle beaucoup des gangs de rue à Montréal depuis quelques années. Que pensez-vous de ce phénomène?

Je ne crois pas que les gangs soient plus présents aujourd’hui, c’est un phénomène qui existe depuis longtemps mais l’attention médiatique actuelle sur ce sujet donne l’impression d’une expansion du phénomène. Par exemple, dans les années 90, les médias rapportaient la plupart du temps des faits concernant les motards lorsqu’ils abordaient la question de la criminalité. Aujourd’hui, la couverture médiatique des motards est beaucoup moins importante, mais ils n’en demeurent pas moins actifs et c’est maintenant au tour des gangs de rue d’être sur la sellette. Il est certain qu’ils sont beaucoup plus structurés et mieux organisés, mais il n’y en a pas nécessairement plus. C’est un phénomène à la mode, dans cinq ans les médias parleront d’autre chose, mais le problème va rester.

Avez-vous des projets pour les prochaines années?

On aimerait avoir la possibilité d’ouvrir des organismes semblables dans d’autres villes et étendre notre modèle. En ce moment, nous sommes en pourparlers avec les administrations de la ville de Québec et de Sept-Îles qui aimeraient avoir un organisme comme le nôtre. Mon but est de propager ce modèle, c’est-à-dire de lier le sport à différents types de projets sociaux.