Une étude réalisée en 2003 par le Saratoga Institute Research révèle que 9 dirigeants sur 10 croient que les employés démissionnent pour des raisons salariales alors qu’en réalité 9 employés sur 10 déclarent démissionner pour d’autres raisons. Sont plus particulièrement mis en cause dans la décision de démissionner le manque de respect, de soutien et d’habileté des gestionnaires, l’ennui au travail, et le manque de coopération entre les collègues. Ce qui montre à quel point les croyances associées à la démission sont tenaces. La démission d’un employé se définit comme une rupture volontaire avec le milieu de travail. Un volume raisonnable de démissions est malgré tout nécessaire pour une organisation, notamment, parce qu’il permet d’assurer le renouvellement du personnel. Dans ce cas, les nuisances liées à la démission sont minimisées par l’intégration de nouveaux collaborateurs. Elles sont compensées par l’apport de nouvelles compétences, de nouveaux savoir-faire, de nouveaux réseaux, etc. En revanche, un volume de démission à la fois excessif et chronique est révélateur d’un malaise profond. Pour prendre une métaphore médicale, des démissions excessives s’apparentent au symptôme d’une pathologie organisationnelle. Pour une organisation donnée, l’accroissement des démissions sur une courte période s’avère nuisible sur les plans organisationnel et humain. Au niveau organisationnel, un taux de roulement excessif peut par exemple engendrer une rupture dans le processus de travail et constituer un frein au développement des affaires ou de la mission de l’organisation. Au niveau humain, un taux excessif de démission dans une unité agit sur le moral des employés qui restent.
Pourquoi les employés partent? Pourquoi les employés restent? Une partie du problème (et donc, d’un certain point de vue, de la solution) réside dans la phrase suivante issue de l’excellent ouvrage de Furnham et Taylor publié en 2004 : « les personnes rejoignent une organisation, mais quittent les collègues (gestionnaires ou pairs) ». Par extension, cela suppose qu’au choix d’un emploi, d’une carrière et/ou d’une organisation sont souvent associés prestige, vocation personnelle et sens du devoir professionnel. Toujours par extension, cela suppose que les collègues sont une source de désagrément beaucoup plus importante que le sont les caractéristiques de l’emploi ou du poste de travail. Ainsi, si le prestige, la vocation et le devoir constituent une forte motivation pour intégrer un milieu de travail, les relations interpersonnelles de mauvaise qualité constituent pour leur part une cause élevée de rupture définitive avec l’employeur. Les dirigeants doivent donc distinguer, dans le processus global de dotation les étapes qui précèdent l’entrée de celles qui suivent l’intégration d’un nouvel employé. Dit autrement, une organisation peut déployer des efforts importants pour être perçue comme attractive et négliger l’impact de la dynamique interne sur son personnel.
Les collègues : un maillon essentiel de la rétention
Un employé développe des liens avec de nombreux collègues. En schématisant, les collègues se répartissent en deux catégories : les pairs et les gestionnaires. Qu’ils soient pairs ou gestionnaires, il est important de comprendre comment et pourquoi les collègues sont impliqués dans la décision d’un employé de démissionner. Il est difficile pour un nouvel entrant d’avoir une vision claire de ce que seront ses relations avec ses futurs collègues. Alors que les données administratives et salariales sont discutées, négociées et contractualisées pendant le recrutement entre l’employeur et le nouvel employé, au moment du recrutement rien ne permet de présumer de la qualité des relations interpersonnelles à l’issue de l’engagement. Les dirigeants doivent être conscients qu’à partir d’un certain point, pour la plupart des employés de bons avantages sociaux compensent difficilement des relations interpersonnelles de qualité médiocre.
Une étude réalisée en 2003 par le Saratoga Institute Research révèle que 9 dirigeants sur 10 croient que les employés démissionnent pour des raisons salariales alors qu’en réalité 9 employés sur 10 déclarent démissionner pour d’autres raisons.
Les raisons les plus communément avancées par les démissionnaires se rapportent à la perception du climat de travail qui règne dans les unités ou les départements. La relation entre le climat de travail et la démission est connue. La probabilité de démission diminue avec la perception d’un bon climat de travail (même si le climat n’explique pas tout). La coopération et l’entraide sont des exemples de comportements qui témoignent de l’existence d’un bon climat de travail entre les membres d’une équipe. Pourquoi la coopération et l’entraide forgent un bon climat de travail? La coopération sous la forme d’entraide consiste pour un employé à apporter une assistance plus ou moins durable, sous des formes diverses, à un collègue dans l’accomplissement de son travail pour lui permettre par exemple de résoudre un problème complexe ou d’atteindre ses objectifs. Dans une équipe (ou une unité) l’expérience de l’entraide génère la perception de travailler dans un milieu de travail attractif. Basée sur le principe de la réciprocité, l’entraide crée une sorte de « dette morale » qui incite le bénéficiaire à rétrocéder au collègue qui lui est venu en aide. L’entraide a également pour vertu de contribuer à échanger « des ficelles de métier » et à diffuser de bonnes pratiques. Enfin, l’existence d’un climat d’entraide au sein d’une équipe permet au gestionnaire de se concentrer sur ses propres tâches en lui évitant de dépenser de l’énergie pour résoudre des problèmes interpersonnels entre plusieurs membres de son équipe. Cette dynamique d’ensemble contribue à fertiliser la qualité des relations interpersonnelles entre les collègues.
Quelles pratiques pour parvenir à l’amélioration de la rétention dans les équipes?
Le climat au sein d’une équipe est en partie attribuable à la manière dont le gestionnaire exerce son leadership. Un gestionnaire favorise la rétention des membres de son équipe (de son service ou de son département) lorsqu’il développe des pratiques de soutien. Le soutien consiste à reconnaître les efforts faits au travail et à se préoccuper du bien-être. Les deux exemples suivants illustrent comment le gestionnaire peut soutenir les membres de son équipe. Savoir reconnaître le travail nécessite une habileté. Le gestionnaire doit être apte à formuler un jugement d’utilité (par exemple, accepter l’initiative d’un employé lorsqu’il doit faire face à un imprévu dans son travail) et de beauté (par exemple, reconnaître de la valeur à un geste technique inhabituel). Ce qui suppose des gestionnaires une connaissance du travail des employés supervisés. Malgré la pénurie de main-d’oeuvre actuelle, il est donc préférable dans la mesure du possible d’attribuer en priorité les postes de superviseur aux personnes qui ont une expertise approfondie du métier.
La préoccupation du bien-être est lié à l’état d’esprit du gestionnaire. Largement méconnu, la présence au travail d’employés malades est un phénomène qui tend à se répandre. Dans ce cas précis, la responsabilité du gestionnaire est d’inviter l’employé à prendre du repos. L’objectif visé est bien sûr d’éviter d’exiger la présence au travail d’un employé dans l’incapacité de mobiliser toutes ses aptitudes physiques et/ou cognitives, mais également de préserver la santé des autres membres. Par cet état d’esprit, le gestionnaire manifeste son souci du bien-être au travail. La sensibilisation des gestionnaires à la pratique du soutien nécessite une formation ad hoc qui tient compte des spécificités du milieu de travail.
Nos propres recherches (Paillé, 2009) ont montré que l’expérience positive du soutien à l’intérieur des groupes de travail a pour effet d’une part d’influencer l’attachement des pairs entre eux et d’autre part d’améliorer la rétention en diminuant l’intention de quitter l’équipe. Le soutien entre les pairs est donc un facteur important de stabilité des équipes. Une pratique qui contribue au climat entre les membres d’une équipe consiste pour les dirigeants à déléguer une partie du processus de dotation. En impliquant une équipe dans le choix des futurs collègues, on réduit le risque d’une intégration ratée. En effet en tant qu’entité, une équipe a une meilleure connaissance de sa propre «culture» que n’importe quel observateur extérieur. Ce qui signifie qu’elle est donc mieux placée qu’un conseiller en recrutement pour identifier si les caractéristiques individuelles et professionnelles d’un futur membre sont compatibles avec sa propre culture. Il est donc important d’accorder une grande autonomie aux équipes dans le choix de ses membres.
Pour conclure
Un bon climat entre les collègues favorise la stabilité des équipes de travail. Les résultats de la recherche en gestion des ressources humaines montrent que l’utilisation des pratiques de soutien fournit de bons résultats pour conserver les employés de valeur. Les dirigeants doivent donc être conscients que le développement des relations harmonieuses entre les collègues (pairs et gestionnaires) est un des meilleurs leviers pour la rétention de leur personnel.
Furnham A et Taylor J (2004). The Dark Side of Behaviour at Work Palgrave Macmillan, Londres
Paillé P (2009) “The Relationship between Support, Commitment and intent to leave team. A social exchange perspective”. Team Performance Management: An international Journal. Vol. 15, N° 1/2, pp 49-62