Revue Porte Ouverte

Les ressources humaines dans les organismes communautaires

Par Gérard Deschênes,
Chargé de formation en gestion des ressources humaines, HEC Montréal

Pratiquer la reconnaissance au travail pour mobiliser le personnel

La reconnaissance est la mémoire du coeur.
-H. Lacordaire

En gestion des personnes, peu de concepts font aussi facilement l’unanimité quant à leur impact positif sur la mobilisation des employés que celui de la reconnaissance au travail. Jean-Pierre Brun1 considère les pratiques de reconnaissance au travail comme le couteau suisse du management : plusieurs outils génèrent plusieurs effets. Dans Les 7 pièces manquantes du management2, il l’identifie même comme l’une des conditions essentielles à la santé organisationnelle.

Le besoin d’estime ressenti par l’individu au travail est un facteur de motivation fondamental. Ce besoin comporte une double dimension, soit l’une individuelle et l’autre sociale. Dans sa dimension individuelle, l’employé sera satisfait de lui-même dans l’accomplissement d’un travail diversifié et enrichissant. Dans la dimension sociale, l’employé cherchera satisfaction dans la reconnaissance par les autres de ses actions positives.

Les bienfaits présumés de la pratique de la reconnaissance au travail posent cependant aux organisations le défi de structurer la gestion de la reconnaissance, car il est risqué de penser qu’il suffit d’y croire pour que les résultats soient au rendez-vous. La culture organisationnelle, les pratiques professionnelles, les attentes de la clientèle et les ressources disponibles sont des facteurs d’influence de première importance dont l’organisme devra tenir compte.

Comment un organisme communautaire peut-il concevoir et mettre en oeuvre une politique efficace de reconnaissance de ses employés? Nous présenterons, dans cet article, les éléments clés à prendre en compte par la direction qui entend en faire une véritable stratégie de gestion des ressources humaines.

L’organisme communautaire : un milieu propice à la reconnaissance au travail 

C’est à tort que l’on considère parfois que les pratiques managériales innovatrices ne sont applicables que dans les grandes organisations. Les organismes communautaires constituent possiblement un milieu de travail tout à fait propice à la reconnaissance au travail pratiquée selon les règles de l’art. Les organismes communautaires ont, entre autres, comme caractéristiques favorisantes :

  • D’avoir une mission naturellement centrée sur les personnes;
  • D’être administrés et dirigés par des personnes qui adhèrent naturellement à des valeurs humanistes;
  • De regrouper des gestionnaires et des employés formés dans les sciences humaines qui sont engagés à rendre disponibles des services de groupe et individuels en relation d’aide;
  • D’être assujettis à des modes de financement qui les incitent à considérer la rémunération dite intangible comme une alternative au défi d’être compétitif au niveau de la rémunération monétaire.

Qu’est-ce que la reconnaissance au travail? 

Définissons d’abord ce que l’on entend par la reconnaissance au travail. Pour un employé, il s’agit d’une réaction évidemment constructive, personnalisée, exprimée rapidement et sincèrement par une autre personne à la suite d’une action ou d’une attitude ayant exigé un effort qui mérite d’être soulignée à ses yeux. Cette définition esquisse déjà les rôles-clés des gestionnaires et les compétences en relations interpersonnelles que ceux-ci doivent bien maîtriser. Mais pour exploiter véritablement le potentiel de la reconnaissance au travail, il faudra éviter de vouloir tout faire porter sur les épaules des gestionnaires : d’autres acteurs, parfois oubliés, peuvent aussi y contribuer.

Les sources de la reconnaissance au travail 

Dans un organisme communautaire, les pratiques de reconnaissance peuvent provenir de cinq sources ou niveaux dans l’organisation et chacune de ces sources a ses champs de pratique spécifiques.

L’administration et la direction générale 

Le premier niveau de reconnaissance est sans doute celui qui va inspirer tous les autres : c’est le niveau des membres de l’administration et de la direction générale de l’organisme. Ceux-ci doivent donner la note et leurs interventions sont de l’ordre de l’affirmation des valeurs, de l’approbation et de la gestion d’une politique institutionnelle qui affirmera l’importance de reconnaître concrètement le travail réalisé par les employés.

Le personnel cadre 

Les gestionnaires, chefs d’équipe, coordonnateurs et autres fonctions hiérarchiques constituent certainement le niveau d’expression de la reconnaissance au travail le plus couramment considéré. Retenons cependant le principe trop souvent oublié de l’importance de la réciprocité en matière de rapports humains. S’il est normal de s’attendre à ce qu’un gestionnaire donne des marques de reconnaissance à ses employés, celui-ci a aussi besoin que ses employés lui témoignent de la reconnaissance.

Les collègues au travail 

Nous savons tous que la reconnaissance exprimée par les collègues de travail a un grand impact sur la motivation au travail. Généralement, nos collègues sont à même de juger de la qualité de notre travail et, de plus, leur appréciation sera moins susceptible d’être mal interprétée. Bien évidemment, pour que ce niveau de reconnaissance soit efficace, il est essentiel que les dirigeants et les cadres assurent pleinement leurs responsabilités.

Les intervenants externes

Dans un organisme communautaire, certaines personnes ont l’occasion d’être en contact professionnel avec des « clients externes ». La politique institutionnelle de reconnaissance doit faire en sorte que certains « clients externes » puissent témoigner de la reconnaissance aux employés avec lesquels ils interagissent régulièrement. Même si ce niveau de reconnaissance peut avoir des effets très positifs, le défi cependant sera de concevoir un cadre rigoureux où les intervenants externes impliqués seront connus et où ils disposeront de façons de faire objectives pour exprimer leur reconnaissance.

L’environnement social et communautaire

Voilà un niveau de reconnaissance qui offre un potentiel de reconnaissance intéressant et qui mérite d’être intégré dans une politique institutionnelle. Que l’on considère les contributions sociales et communautaires remarquables d’un employé dans le cadre de son travail, les gestes exceptionnels ou le bénévolat d’un employé, voilà autant d’occasions de manifester à un employé de la reconnaissance qui sera très appréciée.

Quelle contribution professionnelle peut-on reconnaître? 

Une des difficultés de la pratique de la reconnaissance est de clarifier ce qu’il est possible de reconnaître. Dans toute organisation, il existe différentes familles d’emplois (cadres, professionnels, techniciens, soutien administratif, etc.) et pour chacune, une grande diversité de fonctions et de tâches. Certains postes peuvent produire plus facilement des résultats tangibles (intervention d’un travailleur social, par exemple), alors que d’autres ont une contribution dans une chaîne d’interventions dont le résultat est plus difficilement attribuable à une seule personne (la secrétaire dans ses tâches de soutien administratif, par exemple). L’analyse des processus de travail nous amène à considérer quatre formes de contributions professionnelles pouvant se mériter de la reconnaissance : la personne, la qualité de son travail, son implication occasionnelle et les résultats de son travail.

Toute fonction professionnelle ou poste de travail est occupé par une personne humaine qui a un profond besoin d’être reconnu pour ce qu’elle est. Cette personne à un nom, des compétences, des caractéristiques personnelles, une vie en dehors du travail, des aspirations personnelles et professionnelles, etc. Cette forme de reconnaissance dite existentielle se traduit généralement par des manifestations souvent informelles, très personnalisées et exprimées par des gestes simples.

Cette personne, dans son travail, utilise ses compétences, ses expertises, son ingéniosité et toutes autres qualités professionnelles pour l’exécution normale de ses tâches. Il s’agit de la base de la performance de l’employé. Cette contribution est liée à la qualité du travail fourni et elle peut évidemment générer de la reconnaissance si les attentes sont satisfaites, voire dépassées.

À certaines occasions, l’organisation sollicitera certains employés pour des efforts et une participation accrue pour la réalisation de travaux d’urgence, de projets ou d’interventions innovatrices. Ces situations extraordinaires, allant au-delà « du contrat de travail » sont vues comme un investissement professionnel supplémentaire et pourront justifier l’expression de la reconnaissance. On parlera même de comportements de mobilisation pour cette forme de contribution de l’employé.

Enfin, pour plusieurs postes, la contribution professionnelle peut se manifester par des résultats tangibles, observables, voire mesurables et elle sera évidemment susceptible de se mériter de la reconnaissance.

Comment pratiquer la reconnaissance au travail? 

Bien évidemment, pour l’employé la reconnaissance passe par des manifestations concrètes qui pourront prendre bien des formes; on parlera de pratiques ou de marques de reconnaissance. Sylvie St-Onge3 regroupe les formes de reconnaissance en six grandes catégories :

La communication directe 

Communiquer à l’employé méritant notre satisfaction par différents moyens tels une rencontre, un coup de téléphone, une note, une carte, une poignée de main et la classique « tape dans le dos »;

Des comportements manifestes 

Réagir pour souligner la performance et ici nous sommes dans la zone privilégiée du gestionnaire qui peut faire preuve d’écoute, appuyer son employé, le consulter, lui donner de la rétroaction positive, le parrainer, l’impliquer dans des projets, etc.;

La visibilité 

Rendre la performance de l’employé méritant visible pour ses collègues, les autres gestionnaires et la direction générale, et ce, en utilisant les réunions, les média internes, les affichages, etc.;

Le symbolisme 

Accorder des avantages visibles symboliques tels des certificats, des mentions aux activités sociales ou à des cérémonies de remise de méritas, en environnement de travail amélioré, etc.;

Les conditions de travail 

Une multitude de possibilités s’offre, mais, dans ce cas, il faudra être particulièrement vigilants pour ne pas déroger aux principes d’équité et de justice et, le cas échéant, à la convention collective; offrir des congés, des mesures de conciliation travail-famille et d’aménagement du temps de travail, des promotions, la possibilité de participer à la détermination de ses responsabilités, etc.;

Les récompenses matérielles 

Offrir des avantages sous forme de cadeaux, voyages, repas au restaurant, accumulation de points donnant droit à des prix, etc.

C’est à tort que l’on considère parfois que les pratiques managériales innovatrices ne sont applicables que dans les grandes organisations.

Voici une courte liste des pratiques de reconnaissance couramment utilisées:

  • Consulter les employés;
  • Accorder de l’autonomie dans le travail;
  • Valoriser les rôles de chacun;
  • Accorder de la flexibilité dans les conditions de travail;
  • Valoriser les réalisations remarquables;
  • Valoriser les expertises;
  • Offrir des occasions de développement par la formation, la gestion de projet;
  • Organiser des événements spéciaux;
  • Offrir des occasions de mobilité de carrière;
  • Donner accès aux informations stratégiques.

La pratique de la reconnaissance devra cependant éviter les effets négatifs d’un abus de récompenses – que ce soit quant à la quantité ou encore quant aux coûts directs – car, évidemment, personne ne souhaite se voir reprocher de vouloir manipuler les employés par la reconnaissance. Il faudra aussi tenir compte des conséquences possibles sur le moral des employés qui ne sont pas récompensés et des impacts sur l’esprit d’équipe des récompenses individuelles. Aussi, il faudra envisager les risques qu’un trop grand intérêt de l’employé pour la récompense fasse passer au second plan son engagement pour le contenu même du travail, pour l’exercice de sa créativité et l’analyse des causes d’un problème à résoudre.

Quelques conditions de succès à considérer

Au début de notre article, nous avons affirmé que la pratique efficace de la reconnaissance au travail ne peut pas se satisfaire uniquement de la bonne volonté et de l’ouverture d’esprit des différents acteurs concernés. Sans en exagérer la complexité, il est utile de se doter d’une politique générale qui encadrera les actions de tous, uniformisera l’information et rendra disponible un minimum d’outils à l’intention des intervenants qui voudront faire de la reconnaissance de leur personnel un réel levier de mobilisation. Pour le développement d’une politique de gestion de la reconnaissance, les balises à respecter concernent deux aspects : d’abord les principes de gestion du programme de reconnaissance et ensuite les critères de qualité des marques de reconnaissance.

Les principes de gestion d’un programme de reconnaissance

  • Se préoccuper de la cohérence des pratiques de reconnaissance avec la mission, la culture, les valeurs et les stratégies de services de l’organisme;
  • S’assurer de la présence de conditions internes favorables comme un climat de travail sain, des conditions de rémunération et de travail satisfaisantes;
  • Obtenir la participation, consulter et former les différents acteurs : administrateurs, gestionnaires, syndicat et employés;
  • Clarifier les responsabilités des différents acteurs internes;
  • Gérer le programme avec transparence et privilégier l’information;
  • Contrôler les résultats et réviser périodiquement le programme.

Les critères de qualité des marques de reconnaissance

La personnalisation 

Retenir des marques de reconnaissance qui se rapprochent le plus possible de valeurs et des intérêts de l’employé.

La réaction immédiate 

Minimiser le laps de temps entre la performance et l’expression de la reconnaissance.

La proximité 

Voir à ce que la personne qui exprime la reconnaissance soit la plus proche possible de l’employé méritant et, pour ce principe, le supérieur immédiat sera la personne toute désignée.

Le coût direct 

Respecter les capacités financières de l’organisme; idéalement les coûts directs doivent être les plus bas possible.

En guise de conclusion, nous voudrions rappeler les atouts reconnus des récompenses exprimées sous forme de marque de reconnaissance autre que la rémunération tangible. Elles seraient généralement moins coûteuses, relativement faciles à implanter, à modifier et à personnaliser, peuvent être accordées rapidement et symboliser les valeurs et objectifs des administrateurs et sont applicables à la plupart des catégories de personnel. Dans le contexte de pénurie de main-d’oeuvre ou encore de difficulté à offrir une rémunération compétitive, la reconnaissance pourra avantageusement supporter les stratégies d’acquisition et de rétention du personnel.


1 Jean-Pierre Brun est directeur exécutif au Cabinet Stimulus à Paris et professeur titulaire au département de management de la Faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval à Québec. En matière de reconnaissance au travail, il a apporté une contribution importante pour une meilleure compréhension de l’importance de cette approche de gestion des personnes pour l’efficacité des individus et des organisations. Dans cet article, nous nous inspirons du concept moderne de reconnaissance au travail développé et enseigné par le professeur Brun.

2 Brun, J.P., Les 7 pièces manquantes du management, Les Éditions Transcontinental inc., Montréal, 2008. 

3 St-Onge, S., Thériault, R. (2006). Gestion de la rémunération : théorie et pratique, Gaëtan Morin éditeur/Chenelière Éducation, Montréal, 2e édition.