Revue Porte Ouverte

Les ressources humaines dans les organismes communautaires

Par Isabelle Rochefort,
Candidate à la maîtrise

et Mustapha Bettache,
Professeur adjoint, Département des relations industrielles, Université Laval

Le transfert des savoirs intergénérationnels : comment et pourquoi?

Au cours des dernières décennies, au Québec, nombre de travailleurs vieillissants ont dû quitter le marché de l’emploi sous l’effet de plusieurs mécanismes émanant tant des pouvoirs publics (politiques publiques en matière de retraite) que des entreprises (incitation à la retraite anticipée, plafonnement de carrière, etc.), et ce, dans un effort de régulation des effectifs et de recherche d’une meilleure compétitivité. Les départs massifs qui en ont résulté ne sont pas sans occasionner une perte importante d’expertise dans un contexte où la ressource humaine représente un atout compétitif majeur. Dès lors, la question du maintien en emploi des travailleurs d’expérience devient un objectif majeur, dans le but d’assurer la transmission des savoirs et savoir-faire à la relève et de demeurer compétitif.

Qu’en est-il du transfert des compétences en tant que tel? 

De l’avis de nombre d’auteurs, la formalisation des expériences de travail s’avère, dans ce contexte, une étape essentielle. L’objectif visé est de rendre plus explicites et plus exploitables les connaissances détenues par les travailleurs en instance de départ, un travail délicat et de longue haleine dont la réalisation ne peut se faire qu’en collaboration avec les travailleurs d’expérience eux-mêmes pour en assurer la réussite. L’élaboration de « bilans de compétences » sur la base d’entrevues individualisées entre le travailleur d’expérience et le professionnel en ressources humaines est bien souvent recommandée, bilans établis en recueillant les vécus professionnels (connaissances et compétences) susceptibles d’être ensuite formalisés et transférés. Il est important, dans ce cadre, que le spécialiste des ressources humaines puisse assurer une cohérence des savoirs avec les besoins futurs de l’organisation. Un des principaux avantages de ce mode d’intervention et de collaboration étroite avec les travailleurs d’expérience réside dans le fait de faire ressortir les attentes professionnelles de ces derniers et, du même coup, de pouvoir les intéresser à prolonger leur carrière au sein de l’organisation, une carrière qui pourrait consister en un mandat de « formateur », un nouveau rôle qui semble bien leur convenir. Toutefois, il faut tenir compte du fait que les travailleurs d’expérience n’ont pas toujours les capacités de communication nécessaires à la transmission des savoirs. Il y a donc tout un travail de préparation préalable que les professionnels en ressources humaines doivent nécessairement effectuer, sachant que la transmission des savoirs requiert des exigences, notamment sur le plan de la pédagogie. De plus, le transfert des compétences ne peut se concevoir uniquement sur un plan unidirectionnel, soit des travailleurs vieillissants en direction des plus jeunes, mais doit être perçu comme un enrichissement mutuel, les travailleurs plus jeunes étant susceptibles, à leur tour, d’apporter leur savoir technique1. Sur le plan des moyens de transmission des savoirs, n’oublions pas l’apport très important des nouvelles technologies de l’information et des communications qui nécessitent d’être grandement exploitées, telles que le téléapprentissage et le E-Learning qui ont très largement fait leurs preuves.

Le grand défi des ressources humaines 

Un des défis majeurs est donc, pour les professionnels en ressources humaines, de maintenir en emploi les travailleurs vieillissants et de pouvoir mettre à profit leurs compétences et, le cas échéant, formaliser leurs compétences en vue de leur transfert en direction de la relève2. Les spécialistes en ressources humaines doivent donc proposer une gestion nouvelle de leur capital humain basée, non plus sur l’exclusion des travailleurs d’expérience, mais sur leur maintien en emploi. À ce propos, dans la Charte de Turin du G83, on insiste sur l’importance de développer une culture qui valorise les compétences acquises avec l’âge dans la perspective d’une contribution des travailleurs expérimentés à l’atteinte des objectifs organisationnels et de la croissance économique.

N’omettons pas de souligner enfin l’importance de créer un environnement organisationnel favorable à la reconnaissance des efforts de partage des connaissances et des compétences des travailleurs âgés vers les plus jeunes, sans lequel il serait vain de prétendre à l’efficacité. La transmission des savoirs peut alors représenter une source de gratification pour les travailleurs plus âgés dès lors que leur expérience est valorisée4.

Le transfert des savoirs intergénérationnels doit se faire dans le cadre d’une seconde carrière à proposer aux travailleurs vieillissants. Les compétences, les expériences et les connaissances acquises tout au long du parcours professionnel demeurent essentielles à la performance des organisations. Le prolongement de la vie active et la mobilisation des travailleurs vieillissants apparaissent ainsi comme des conditions importantes pour un transfert des savoirs intergénérationnels et une meilleure efficacité organisationnelle.


1 Rouilleault, H. 2005. « Construire la coopération entre les générations ». Travail et changement, n° 305. 

2 Douvre, D. et J. Feyh-Labbez. 2004. « 3 clés pour comprendre le vieillissement et gérer l’allongement de la vie professionnelle ». Étude de la Chambre de commerce et d’industrie de Lyon, par Lab’Ho (Observatoire des hommes et des organisations du Groupe Adecco), en partenariat avec l’ANACT et l’ARAVIS. 
3 Charte de Turin du G8. Vers un vieillissement actif.
4 Gautiautié, J. et A. M Guillemard. 2004. « Gestion des âges et rapports intergénérationnels dans les grandes entreprises : études de cas, rapport de l’ACI Travail », http://www.cee-recherche.fr/ Gautié et Guillemard, 2004.