Revue Porte Ouverte

Travaux compensatoires et pauvreté

Par Propos recueillis par Jennifer Cartwright,
ASRSQ

Rencontre avec Louise Boisjoly, greffière à la cour municipale de Charlesbourg

Comment fonctionne le processus de perception des amendes?

À partir du moment où un jugement est arrêté, la personne reçoit un avis de jugement et a un certain nombre de jours pour payer. Une fois le délai passé, vient l’exécution des jugements; c’est là qu’interviennent les procédures qui sont reliées au percepteur. Dans les cas de sécurité routière et de stationnement, après un avis de jugement, viennent les avis de non-paiement d’amende. Depuis l’adoption de la loi 6, la Loi modifiant le Code de la sécurité routière et le Code de procédure pénale concernant la perception des amendes, le permis de conduire et toute transaction à la SAAQ sont suspendus. À ce moment-là, une personne pourrait faire des travaux compensatoires mais si son permis est suspendu, il le restera jusqu’à la fin des travaux, même si elle s’engage dans une procédure de paiement. En ce qui a trait aux règlements municipaux, l’avis préalable à la saisie est l’étape suivante : le non-paiement d’infractions aux règlements municipaux peut se traduire par une peine d’emprisonnement. En ce qui a trait au Code de la sécurité routière, c’est beaucoup plus loin dans le processus…

En tout temps, un défendeur peut venir rencontrer un percepteur pour demander soit une entente de paiement, soit des travaux compensatoires.

Que représente ce programme comme charge de travail pour une cour municipale?

Elle se situe principalement au niveau des percepteurs : ils rencontrent les gens, font les évaluations financières, vérifient l’admissibilité. Dans le processus régulier, après la saisie la cour envoie une offre d’effectuer des travaux compensatoires et informe les gens qu’ils peuvent prendre rendez-vous avec un percepteur.

À la Cour municipale, il y a quelqu’un qui est affecté aux travaux compensatoires et qui est en lien avec la personne responsable au ministère de la Sécurité publique.

Les gens qui reçoivent des contraventions sont-ils informés de la possibilité de faire des travaux compensatoires?

Oui. À l’endos de l’avis de jugement, il est indiqué que devant des difficultés de paiement, il est possible de communiquer avec le percepteur pour prendre une entente de paiement ou faire une demande de travaux compensatoires. Par contre, je sais bien que c’est écrit petit, en arrière, et que ce n’est pas tout le monde qui lit ce texte. Et que ce n’est possible que si la personne reçoit l’avis de jugement : beaucoup de gens n’ont pas d’adresse fixe... Mais de toute façon, les gens qui n’ont pas d’adresse sont habitués. Ils connaissent le système, savent qu’ils peuvent demander une entente de paiement ou faire des travaux. 

Ce n’est pas parce que tu as eu un constat d’infraction que tu es un bandit!

Quels sont les critères d’admissibilité?

Il faut que le percepteur s’assure qu’advenant une saisie, on ne serait pas en mesure de recouvrer les sommes dues parce qu’il n’y a rien à saisir. Si la personne travaille, il faut qu’elle nous démontre qu’elle n’est pas en mesure de rencontrer les paiements, parce que si elle l’est, on peut offrir une entente de paiement. Et bien sûr, il faut qu’elle soit disponible pour effectuer les travaux.

Comment les percepteurs évaluent-ils la capacité de payer?

Le percepteur a un pouvoir discrétionnaire lui permettant d’offrir des travaux, une entente de paiement ou un délai additionnel. Lors de la rencontre, il pose des questions (combien la personne paye pour son loyer, pour se nourrir, s’il a des enfants à charge, etc.) et rempli une évaluation financière.

À qui peut s’adresser quelqu’un qui veut porter une décision en appel?

Il n’y a pas de possibilité d’appel : c’est un pouvoir discrétionnaire. Quand des travaux sont refusés, c’est parce que la personne est capable de payer. Ce n’est que si l’entente de paiement n’est pas possible qu’on se tourne vers les travaux compensatoires.

Y-a-t-il un montant minimum pour les ententes de paiement?

Non. L’entente de paiement relève aussi de l’évaluation financière. Elle peut être de 5 $ par mois. Avoir un constat d’infraction et ne pas être capable de le payer, ca peut arriver à quelqu’un qui gagne 50 000 $ par année… Certains sont dans une situation critique.

On reproche souvent aux cours municipales de manquer d’uniformité. Est-ce une situation problématique?

On ne peut pas vraiment réglementer ça, puisque le percepteur a un pouvoir discrétionnaire. Dans les grandes villes, on a des cas qui ont des 20 000, 25 000 $ à payer. Dans les petites municipalités, ils n’ont pas ce type d’individus, on ne peut donc pas réagir de la même façon. Au centre-ville de Québec ou de Montréal, il est fréquent de voir des gens avec une centaine de dossiers. Quand ils demandent des travaux, on n’a pas le choix de leur accorder, on sait très bien que ces personnes ne paieront jamais, et puis on veut qu’ils s’en sortent…. Ce n’est pas notre but de les envoyer en prison. Ce n’est pas parce que tu as eu un constat d’infraction que tu es un bandit! Les travaux compensatoires sont la seule façon de les aider.

Est-ce que les gens qui rencontrent le percepteur comprennent son rôle?

Les gens viennent le rencontrer sur rendez-vous. Ils savent donc à qui ils s’adressent… ce qui ne les empêche pas de se libérer d’émotions accumulées. Un percepteur doit être prêt à entendre n’importe quoi. De tout. Ils remplissent presque la tâche d’un psychologue, parfois! Des fois, ces gens n’ont que le percepteur à qui parler… Ce n’est pas tout le monde qui peut être percepteur. Il faut beaucoup d’empathie, de sympathie, de jugement, de «gros bon sens» avec une bonne capacité d’écoute et savoir gérer des cas difficiles. Récemment, un de nos percepteurs à dû aller en cour après avoir reçu des menaces. On a des formations qui s’adressent aux caissiers et aux percepteurs à ce sujet, ils ne sont donc pas totalement démunis.

Les cours municipales sont-elles bien outillées pour répondre au programme de travaux compensatoires?

Depuis la fusion, on travaille avec deux systèmes informatiques, qui viennent de deux cours différentes. Il y en a même qui travaillent avec trois systèmes! Informatiquement, on n’est pas bien outillés. On doit faire des tours de «passe-passe», comme de mettre des notes dans les dossiers des défendeurs. Beaucoup du travail se fait de façon manuelle.

Au niveau des ressources humaines, même s’il n’y a pas vraiment de formation qui existe, on fait beaucoup de suivi avec les percepteurs. Actuellement, quelqu’un du ministère de la Justice rencontre les percepteurs afin de connaître les préoccupations de chacun.

En cas d’échec, les gens ont-ils droit à une deuxième chance?

Ça, c’est un débat. Normalement, on ne devrait pas le faire. On le fait cependant, quand par exemple le YMCA — qui s’occupe des travaux compensatoires à Québec — accepte d’offrir une deuxième chance. Ça prend une bonne raison, c’est au percepteur de juger. Si la situation de la personne ne s’est pas améliorée et qu’elle a beaucoup de dossiers, on n’a pratiquement pas le choix de l’envoyer à nouveau faire des travaux compensatoires, pour l’encourager à régler ses affaires.

Y-a-t-il un montant minimum en-deçà duquel il est impossible d’effectuer des travaux compensatoires?

Habituellement, dans le cas d’une amende d’une centaine de dollars, le percepteur va tout faire pour donner une entente de paiement, à 5 $ par mois s’il le faut. Par contre, rares sont les gens qui se présentent pour un seul constat, généralement, ils en ont plusieurs. Et puis il n’y a plus beaucoup d’amendes à 100 $...

Après l’incarcération, l’amende est-elle considérée comme étant réglée?

Lors d’une infraction au Code de sécurité routière, après l’étape de la saisie il faut soumettre un rapport d’infraction général (étudié par le percepteur) au procureur général du ministère de la Justice qui voit s’il peut le présenter devant un juge provincial. Suite à ça, si le juge constate que l’individu essaie par tous les moyens de ne pas payer l’amende, il va lui imposer un nouveau constat d’infraction et une peine d’emprisonnement. L’amende ne sera toutefois pas réglée. Pendant ce temps, le permis et la possibilité d’effectuer des transactions à la SAAQ de l’individu sont toujours suspendus.

Lors d’infractions à la réglementation municipale (avoir uriné sur la place publique ou avoir insulté un agent de la paix, par exemple) à partir du moment où il est démontré que l’individu n’a vraiment rien qui peut être saisi et qu’on a tenté de faire payer l’individu, soit en lui offrant des travaux compensatoires, soit en lui offrant une entente de paiement, on va faire une demande d’imposition d’une peine d’emprisonnement (DIP) au juge municipal. Certains payent à cette étape. Si ce n’est pas le cas, le juge signe le mandat et l’individu sera incarcéré. À la fin de son emprisonnement, la dette de l’individu sera effacée.

Est-ce que la peine est proportionnelle au montant dû?

Il n’existe pas de montant fixe. Les juges de la Cour du Québec se sont concertés et donnent toujours à peu près la peine, soit un jour de prison par 125 $ dus. Les juges municipaux ont adopté la mesure.