Revue Porte Ouverte

Vieillir et mourir en prison : Refuser l'inacceptable

Par Melissa Munn,
Ph.D., professeure au département de sociologie et d'études interdisciplinaires, Okanagan College

et Traduction par Ève Christin-Cuerrier

«Je pense que mon âge est probablement l'élément le plus important avec lequel je dois composer» : Sortir de prison âgé

Étant donné qu'un prisonnier sur cinq qui purge une peine fédérale est âgé de cinquante ans et plus, il conviendrait de mentionner que le crime n'est peut-être pas uniquement une affaire de jeune homme1. Dans la mesure où presque toutes ces personnes seront libérées de prison, nous devons nous demander; quel sera l'impact du vieillissement de la population carcérale quant à leur réinsertion? Cet article tente de faire la lumière sur ce sujet en examinant les résultats d'un projet de recherche effectué avec d'anciens détenus purgeant une peine de longue durée au Canada2.

Les vingt hommes concernés par cette étude avaient entre trente-neuf et soixante-neuf ans et avaient purgé une peine de dix à trente ans avant leur libération. Douze de ces hommes avaient entre quarante et cinquante-cinq ans et sept d'entre eux étaient âgés de cinquante-six ans et plus. Ces hommes avaient, par conséquent, pleinement conscience du passage du temps.

Certains ont été incarcérés alors qu'ils étaient adolescents et ont retrouvé leur liberté dans la cinquantaine, d'autres plus tardivement, au troisième âge. En effet, les données indiquent que plus d'un tiers de la population carcérale sous responsabilité fédérale est âgée de cinquante ans et plus3. Bien que la transition entre la peine de longue durée et la libération conditionnelle était difficile, le défi l'était d'autant plus compte tenu de leur âge avancé qui se manifestait de multiples façons. Les principaux enjeux attribués au vieillissement étaient : redéfinir l'identité personnelle, recréer l'intimité et la sexualité et trouver un emploi.

« Je ne veux pas être un homme d'âge mûr » : Vieillir et identité personnelle

L'un des défis de vieillir au sein d'une société qui prise la jeunesse est la réévaluation de soi. Tel que l'illustre la citation de Barry ci-dessus, les hommes ont, au sein de la société, du mal à faire face à leur vieillissement et plusieurs d'entre eux sont affectés par une crise existentielle intiment liée à leur valeur et leur rôle au sein du corps social.

Ma crainte maintenant c'est que j'ai soixante ans. Que vais-je faire lorsque je n'aurai plus d'emploi? Où vais-je aller? Je m'approche de la pension de vieillesse. Comment est-ce que je peux m'adapter à cette connerie? Comment est-ce que je peux arriver à combler ce vide... J'ai de la difficulté avec ça. (Luc)

Cette crise était d'autant plus compliquée puisque ces hommes estimaient avoir perdu du temps alors qu'ils étaient en prison. Le rythme normal du cours de la vie a été perturbé et ils se questionnaient à savoir s'ils répondaient aux attentes normatives actuelles de leurs compères. Bob, par exemple, mentionnait que le temps perdu lui donnait un sentiment d'infériorité :

J'emploierais le terme d'impuissance pour ma part, car j'ai cinquante ans. Je regardais les hommes de mon âge autour de moi et j'observais ce qu'ils étaient socialement et financièrement. Je me sentais très inférieur quand je leur parlais. Je pensais que je n'arriverais jamais à avoir ce que ces hommes ont maintenant. Qu'est-ce que je pourrai bien avoir? Je crois que c'est ce que les vrais hommes doivent faire; les vrais hommes fondent leurs familles et travaillent pendant vingt-cinq ans. (Bob)

En dépit de la frustration causée par le temps perdu, les hommes étaient également parfaitement conscients que s'attarder sur des comparaisons ne les faisait pas avancer dans leurs quêtes. Tom nous disait qu'il devait, afin de supporter sa situation, ajuster les standards de la classe moyenne avec lesquelles il jugeait son succès :

Je savais, et ce dès ma sortie, que je n'allais pas combler ce retard avec les personnes de mon âge, car l'homme moyen de quarante-six ans profite d'une belle situation - il est propriétaire d'une maison, il travaille depuis vingt ans et plus. Je n'allais pas faire tout ça. J'allais me trouver un emploi et être heureux avec mon beau petit appartement... J'avais les moyens de me payer ce loyer et c'est à peu près tout. J'avais une vieille voiture, je payais les assurances et c'était aussi loin que cela me permettait d'aller. (Tom)

Dans le cadre de la redéfinition de leur identité au sein du corps social, les hommes devaient également revoir leur façon d'envisager leurs relations intimes avec les autres.

J'emploierais le terme d'impuissance pour ma part (...) Je pensais que je n'arriverais jamais à avoir [socialement et financièrement] ce que ces hommes ont maintenant.

« J'étais autrefois un jeune homme fringant mais tout ça est chose du passé. Je suis maintenant un vieux renard grisonnant » : Intimité et sexualité

Tel que le suggère la citation de Jean ci-haut, une part de l'identité personnelle qui nécessitait un ajustement était liée à l'impression qu'ils avaient d'eux-mêmes en tant qu'objet de désir. Jean s'inquiétait et se demandait comment les années passées en prison le positionneraient en tant qu'éventuel partenaire intime :

J'étais plus vieux. J'approchais de la cinquantaine quand je suis sorti. J'avais presque trente ans quand je suis entré. Je ne pensais plus être désirable pour le sexe opposé à cause de mon âge. (Jean)

À une époque où les publicités de Viagra apparaissent régulièrement et visent tant le grand public que le public masculin, c'est sans grande surprise que les hommes s'interrogeaient sur leurs propres attraits et se demandaient s'ils allaient être perçus en tant que virils partenaires sexuels. Ils étaient fréquemment choqués, car malgré les grands efforts déployés afin de combattre les signes du vieillissement - tels que l'exercice et la musculation - leurs corps étaient perçus différemment. Tom met cet aspect en évidence avec l'anecdote suivante :

J'allais dans les bars du centre-ville de Peterborough... et je réalisais que tous ces jeunes allaient croire que leur père les cherchait. Une fois cette pensée ancrée dans mon cerveau, ça m'a effrayé un peu. (Tom)

Cet ajustement, après une incarcération prolongée, était particulièrement difficile puisque les hommes n'avaient pas eu l'occasion d'échanger et de partager davantage avec des genres sexuels différents. Confinés pendant plus d'une décennie à un environnement uniquement masculin, ils comprenaient comment communiquer avec d'autres hommes, mais leur capacité à s'adapter aux rôles de genre ne valait, pour certains, pas l'effort. Bien que Gord n'indiquait pas s'il avait eu des relations intimes de même sexe après la prison, il expliquait qu'il évitait celles avec les femmes :

La plupart des personnes les plus proches de moi étaient évidemment des hommes. J'ai fait vingt-cinq ans... et les femmes sont un « non ». J'ai cinquante ans, je ne veux pas devoir passer par toutes ces conneries. (Gord)

Tom avait aussi mentionné un autre dilemme relié à l'âge qui avait un impact sur la capacité de créer des relations intimes - leur attirance aux femmes d'une autre tranche d'âge que la leur :

Je suis allé en prison à vingt-six ans. Mes copines avaient alors vingt, vingt-et-un ans. Lorsque je suis sorti à quarante-six ans, c'était un énorme ajustement à faire, car je regardais toujours les femmes de vingt et vingt-et-un ans même si intellectuellement, je savais que ce n'était pas correct. Je ne voulais pas les regarder parce que si j'avais eu une copine plus jeune, je me serais senti comme un idiot. Donc, finalement tu ne veux pas vraiment être avec une femme dans la vingtaine, mais avant d'en arriver à être attiré vers les femmes de la même tranche d'âge que soi, ça prend un temps d'ajustement. (Tom)

« À votre âge, personne ne va vous embaucher » : Trouver et garder un emploi

Tandis que les dilemmes existentiels ci-haut mentionnés étaient importants pour les personnes anciennement incarcérées, leur vieillissement se manifestait également de façon tangible. Presque tous les hommes de cette étude mentionnaient comment leur âge, au moment de leur libération, avait influencé leur capacité à trouver un emploi. En effet, certains, tel que Luc, affirmaient que la stigmatisation d'être d'âgé les empêchait davantage de trouver un emploi que leur casier judiciaire :

S'il y avait de la stigmatisation, c'était plus lié à l'âge que d'autre chose. Ce n'était pas relié à l'emprisonnement. Qu'est-ce que m'offre cette personne? »...« J'ai besoin de quelqu'un pour poser des portes ». « A-t-il déjà fait ça? » « Non. » « Est-ce que je peux le former? » « Il est un peu vieux. » « Il est petit et il est vieux. » « Alors, non je ne veux pas de lui. » (Luc)

Alors que plusieurs hommes se sentent physiquement et intellectuellement capable d'effectuer des travaux pour lesquels ils ont appliqué, nombreux reconnaissent que la perte d'années d'expérience de travail (alors qu'ils se trouvaient en prison), leur âge avancé et leur casier judiciaire et/ou liberté conditionnelle, était une « combinaison parfaite » :

(On me demande) « Pourquoi est-ce que tant d'hommes de ton âge sortent et n'y arrivent pas? » Je dis « à cause de leur âge. » Choisis n'importe qui...choisis un de tes professeurs qui a cinquante ans. Enlève-lui sa carrière et donne-lui un sérieux casier judiciaire, puis mets-le dans une maison de transition située à North Bay. Retire-lui toutes ses ressources. Comment va-t-il réussir? (Bob)

Pour certains, leur corps vieillissant les trahissait et faisait en sorte qu'il était difficile de garder les mêmes emplois typiques de la classe ouvrière qu'ils effectuaient auparavant :

Maintenant, si un homme sort à disons cinquante-huit ans, mais qu'il n'est pas assez vieux pour obtenir une pension; il doit travailler et les emplois disponibles pour un homme de cet âge sont très durs. Je suis entré dans une entreprise d'enlèvement d'amiante. J'avais quarante-six ou quarante-sept ans et ça m'a presque tué parce que je faisais le travail de jeunes de vingt ans. Je l'ai fait pendant un an, mais c'était dur. (Tom)

Le revers de la médaille était toutefois apprécié des hommes qui avaient connu le succès dans le secteur d'emplois manuels et ce, malgré les difficultés physiques. Doc fournissait un exemple de son triomphe :

Mon dos me lâche...mes deux genoux aussi... Mais aussi dur que ça puisse être, je suis ici à faire le travail à quarante-huit ans. J'ai dit au contremaître « tu vois la moitié de ces hommes? Ils sont du genre à dire : regardez le vieux monsieur » mais tu sais, chaque fois qu'on en choisit un et qu'on lui dit de faire mon travail, deux heures plus tard il n'est plus capable. » (Doc)

La plupart des défis reliés à l'emploi auxquels faisaient face ces hommes étaient spécifiques à leur temps passé en prison tandis que d'autres étaient simplement le résultat d'avoir vécu au sein d'une société faisant preuve d'âgisme avec des définitions restreintes de la masculinité. Néanmoins, les difficultés liées à la recherche d'emploi avaient laissé certains avec moins d'espoir quant à leurs perspectives d'emplois : « Et qui vous embauchera? Personne ne va t'embaucher à ton âge et avec ton passé... Alors, il y avait un peu de désespoir. » (Bob). Ce sentiment de futilité est une préoccupation importante puisque les recherches indiquent que la transition entre l'âge mûr et la vieillesse a de sérieuses incidences sur la santé mentale des hommes et qu'une corrélation a été établie avec la dépression et le haut taux de suicide4.

Quelques dernières réflexions

Les expériences liées à l'âge énoncées précédemment ne concernent pas uniquement les anciens détenus; effectivement, les défis sont communs entre les hommes de mêmes cohortes d'âges. Les hommes d'âge mûr se remettent en question, se comparent, s'impliquent dans la ré-identification, galèrent avec leur sexualité, ont de la difficulté à trouver un emploi, etc. Ce qui est unique toutefois, c'est que ces hommes doivent jongler avec ces problèmes tout en tentant de faire face à l'impact durable de l'incarcération et de la perte du temps qu'entrainent ces longues peines de prison. Sur ce point, je laisse le dernier mot à Bob :

Je crois que la principale chose à laquelle je pense sans cesse quand il est question de mon incarcération, de qui je suis et où je suis maintenant, c'est mon âge. Je critique le temps qu'ils nous gardent en prison. La durée de la peine réduit les chances de réussite. (Bob)

Notes

1 Sécurité publique Canada (2013). Aperçu statistique : Le système
correctionnel et la mise en liberté sous condition. Disponible en ligne à
l'adresse suivante : http://www.publicsafety.gc.ca/

2 Les principaux chercheurs de cette recherche subventionnée par
le CRSH étaient Sylvie Frigon et Chris Bruckert (Université d'Ottawa). Cette
section de l'étude incluait des personnes qui avaient été condamnées à plus
de dix ans de prison et sorties pour cinq ans ou plus.

3 Sécurité publique Canada (2013).

4 Voir Navaneelan, T. (2013). Les taux de suicide : un aperçu.
Statistiques Canada. Disponible en ligne à l'adresse suivante : http://www.
statcan.gc.ca/pub/82-624-x/2012001/article/11696-eng.htm