Porte Ouverte Magazine

Loi sur le système correctionnel du Québec

By Jean-François Cusson ,
ASRSQ

Mise en vigueur de la Loi sur le système correctionnel du Québec : Impacts et enjeux

Pour plusieurs, la reconnaissance du rôle du communautaire dans les cas de suivi en communauté est en fait un juste retour des choses puisque la mesure de probation origine du réseau communautaire. Puisqu’il s’agissait d’une mesure efficace, l’État a choisi d’en faire une fonction publique. Toutefois, la reconnaissance accrue du communautaire et l’importance du partenariat entre les SCQ et celui-ci amènent un changement majeur. «Nous devenons un partenaire officiel, explique Daniel Bellemare (Maison Radisson). C’est une position dans laquelle notre réseau se voyait, mais nous n’avions pas l’impression d’être si important pour l’État. Maintenant, nous faisons partie encore mieux de la solution.»

Un des éléments clé de la Loi consiste à miser sur la complémentarité des SCQ et des organismes communautaires. Patrick Altimas (ASRSQ) reconnaît que «même si on sait ce que ça veut dire, il faut développer cette notion et la préciser». Pour Nicole Quesnel des SCQ, «elle peut se manifester par la particularité des approches et des modalités de la prestation de services des organismes communautaires». Même si cette complémentarité n’est pas encore tout à fait définie, elle peut s’exprimer de plusieurs façons en offrant des services qu’on ne retrouve pas nécessairement dans les bureaux de probation : flexibilité des heures d’opération, rapidité à laquelle l’intervention peut être mise en place au besoin, recours au bénévolat, présence dans le milieu de vie des contrevenants, lien avec les ressources de la communauté, activités de groupe, réponse à des besoins variés comme la toxicomanie, la délinquance sexuelle, l’emploi, etc.

Un impact considérable

Évidemment, l’exercice lié à l’implantation de la Loi sur le système correctionnel du Québec (LSCQ) a un impact considérable. «Le résultat de l’implantation de la Loi pour le réseau communautaire, explique Patrick Altimas, aura été un mouvement d’expansion des services en matière de suivi dans la communauté et, à une échelle moindre, d’hébergement et un rétablissement sur de nouvelles bases des relations entre la Direction générale des services correctionnels et le réseau communautaire actif en justice pénale. Cela aura signifié, pour une vingtaine d’organismes membres de l’ASRSQ, des investissements en matière de locaux, de meubles et d’équipement, l’engagement de nouveaux intervenants et l’accroissement des services en matière de suivi pouvant atteindre jusqu’à 6 fois le niveau des années précédentes. Pour quelques autres organismes membres, cela aura signifié la possibilité de développer des services de suivi pour venir appuyer la prestation d’autres services, entre autres dans le secteur de la santé mentale. Finalement, une dizaine d’organismes non-membres de l’ASRSQ se sont joints au groupe d’organismes offrant du suivi dans leur communauté, dont deux sont devenus membres de l’ASRSQ vers la fin de l’année. Au total, cela représente une implication reconnue des organismes communautaires dans les cas d’au-delà de 8 000 personnes contrevenantes assujetties à une mesure correctionnelle, en plus de celles bénéficiant d’autres services (hébergement, employabilité, thérapie, etc.).»

Certaines ressources communautaires faisaient déjà du suivi en communauté. Pour Transition Centre-Sud, par exemple, les activités de suivi ont plus que doublé. Le directeur général, Marc Meloche, précise qu’«avant, nous avions environ 240 délinquants dans le cadre du suivi en communauté. Maintenant, nous en avons plus de 500. Ça ajoute au rayonnement de notre organisation».

Les défis à venir

Évidemment de tels changements amènent de nombreux défis pour les organismes communautaires impliqués. «Par contre, précise Daniel Bellemare (Maison Radisson), ça nous permet de mieux structurer ce secteur d’activité. Maintenant, il est plus facile de développer des services axés sur la surveillance avec une coordination qui leur est propre. Quand nous intégrons un nouvel intervenant, il joint une équipe et on peut assurer une forme de mentorat.»

Maintenant qu’il est clair que la Direction des services correctionnels du Québec croit à l’importance du réseau communautaire, il faut maintenant travailler à ce que l’ensemble du réseau correctionnel développe cette même confiance. À ce sujet, il reste encore bien du travail. Nous l’avons constaté en avril dernier, lorsque le Syndicat des professionnels (elles) du gouvernement du Québec affirmait que l’implication accrue du réseau communautaire allait mettre la sécurité en jeu.

Daniel Bellemare comprend mal les raisons qui poussent certains à affirmer que les intervenants communautaires sont moins compétents. «Ce n’est pas n’importe qui qui intègre le communautaire et c’est faux de dire que plusieurs nouveaux intervenants ne connaissent pas la clientèle. Dans notre ressource, la moitié des intervenants impliqués en suivi en communauté proviennent de la maison de transition où ils ont pu acquérir une solide expérience. Plus de la moitié des autres intervenants ont déjà travaillé Loi sur le système correctionnel du Québec auprès d’une clientèle “lourde” et les jeunes sont encadrés par ceux qui sont plus expérimentés. Si on nous dit que les jeunes diplômés des universités ne sont pas aptes à travailler avec cette clientèle, il va falloir cogner à la porte des universités et ça presse…»

Dans le développement de leurs services de suivi en communauté, Marc Meloche prévient que les organismes doivent demeurer vigilants afin de conserver «leur couleur communautaire» dans la façon dont ils ont l’habitude de faire les choses. Il explique qu’il ne faut pas négliger l’impact que peut avoir une grosse organisation gouvernementale comme les SCQ sur leurs activités. «É videmment, il y a des attentes envers les ressources et c’est correct. D’ailleurs, lors du processus de négociation, l’ASRSQ a insisté sur l’importance de maintenir des normes élevées. Toutefois, on sent la lourdeur de la bureaucratie où il faut tout noter, tout consigner. Il est important que l’on se questionne sur la pertinence des demandes qu’on nous faits. Il faudra aussi que nous nous assurions de la qualité de notre travail et de l’information que nous transmettons. De la même façon, il faudra insister sur ce que nous avons besoin pour bien faire notre travail.»

Implantation d’un outil actuariel

«Les grands gagnants de tous ces changements, insiste Daniel Bellemare, ce sont les délinquants et la population. Les délinquants seront mieux évalués et mieux dirigés vers les ressources appropriées. Compte tenu que c’est un milieu où nous sommes souvent en contact avec de nombreux problèmes sociaux, il s’agit de la meilleure façon de bien gérer le risque.»

Évidemment, il faudra attendre un certain temps avant que les effets puissent être ressentis. François Bérard (Maisons de transition de Montréal) ajoute que la «Loi assurera, en théorie, une meilleure sécurité parce qu’elle amène plus de rigueur dans la gestion des délinquants, dans leur évaluation, dans les mesures de libération. De plus, fait important, on reconnaît maintenant que pour favoriser la réinsertion sociale, il faut un juste équilibre entre l’aide et le contrôle».

Aussi, la nouvelle philosophie d’intervention des SCQ, combinée à une plus grande rigueur et à une meilleure collaboration du réseau communautaire, a pour effet d’envoyer un message clair aux délinquants. Pour Daniel Bellemare il s’agit là d’un impact des plus importants. Refléter qu’il y a une cohérence entre la philosophie, l’action et les relations avec les partenaires est essentiel dans un réseau comme celui du correctionnel. «U n réseau qui est cohérent avec lui-même va nécessairement passer des messages cohérents avec la clientèle contrevenante et la communauté.»

Avec l’implantation d’un outil actuariel utilisé pour l’évaluation des délinquants, il sera plus facile de connaître le niveau de risque et les besoins de ces derniers. Si tous reconnaissent qu’il était essentiel pour les SCQ de mettre en place une évaluation des délinquants, certains s’inquiètent de l’utilisation de cet outil et surtout, de la place qu’il occupe.

François Bérard reconnaît qu’il s’agit d’un outil qui a sa place mais il considère que les SCQ en dépendent trop. «Il s’agit de l’outil principal sur lequel les SCQ vont s’appuyer pour prendre les décisions et diriger le délinquant dans le système. Normalement, de tels outils devraient jouer un rôle de second plan pour appuyer l’évaluation clinique. On connaît bien les limites de ces outils et on se retrouve dans une optique actuarielle plutôt que clinique. C’est aussi un frein à l’individualisation puisqu’on identifie l’intervention en fonction d’un sous-groupe de délinquants qui partagent certaines caractéristiques.»

Et la surpopulation dans tout ça?

Il est reconnu que les outils actuariels tendent à amplifier le risque que représentent les délinquants, ce qui se traduit par une prolongation de l’incarcération. «Si on fait un mauvais usage de cet outil actuariel, prévient François Bérard, on pourrait même accroître les problèmes de surpopulation.» Plusieurs intervenants mentionnent que les cas plus lourds avec lesquels ils avaient l’habitude de travailler ne se retrouvent plus en communauté et sont incarcérés plus longtemps.

Prolonger l’incarcération d’un délinquant qui serait en mesure de profiter d’une supervision adéquate en communauté peut nuire à ses chances de réinsertion sociale. Bien souvent, les délinquants qui sont libérés à la fin de leur sentence sont ceux qui ont besoin le plus d’encadrement lors de leur retour en société. Plus ils sont libérés tardivement, plus le risque est élevé, étant donné qu’ils peuvent se retrouver seuls et en détresse. C’est pour cette raison qu’il est important de les diriger le plus rapidement possible vers des ressources qui peuvent leur venir en aide. «Peut-être que le réseau communautaire aura à s’ajuster pour mieux répondre aux besoins des cas jugés les plus problématiques», suggère Daniel Bellemare.

Depuis un bon moment, les médias font état des difficultés de surpopulation que connaissent les établissements de détention provinciaux. Québec a annoncé, qu’en plus de rénover ses établissements de détention, il construirait de nouvelles cellules. Cet accroissement de la capacité carcérale est-il nécessaire? La question est justifiée puisque plusieurs reconnaissent qu’une fois que le système correctionnel aura bien intégré tous les changements qu’amène la Loi, on peut s’attendre à une baisse de l’utilisation de l’incarcération. Pour Daniel Bellemare, «il est évident que si on connaît mieux les délinquants, il sera plus facile de les diriger vers les ressources appropriées». Évidemment, il n’est pas facile d’en connaître l’ampleur, mais l’ASRSQ n’a toujours pas réussi à obtenir les données que possèdent les SCQ qui permettent de projeter les besoins de la détention pour les prochaines années.

Un changement de cap majeur

En réalité, l’implantation de la Loi sur le système correctionnel du Québec a commencé au moment de l’adoption unanime du projet de loi à l’Assemblée nationale en 2002. Depuis, un immense travail a été effectué afin d’améliorer l’encadrement offert aux délinquants. Lors de cet exercice, les Services correctionnels du Québec ont connu un changement de cap majeur, très attendu, autant dans la philosophie que dans la façon de faire. Même les relations avec le réseau communautaire se sont grandement améliorées. Il est maintenant possible de parler d’un véritable partenariat entre deux réseaux qui n’ont pas toujours été sur la même longueur d’onde. Il ne reste qu’à démontrer que tout ça fonctionne, et c’est bien parti!