Porte Ouverte Magazine

Repenser le SCC

By Jennifer Cartwright,
ASRSQ

Détenus cherchent équipe vidéo

Présenté pour la première fois aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal en novembre dernier, Un trou dans le temps met en scène des détenus incarcérés à l’établissement Archambault depuis des décennies. Pour les trois cinéastes sur qui repose le projet, tout commence par une petite annonce qui les intrigue : Détenus cherchent équipe désirant aider à mettre sur pied un projet vidéo. « C’est vraiment une offre qui pique la curiosité. On était d’ailleurs vraiment surpris de ne pas être 100 au lieu de 10 à la première rencontre! On se disait : “comment ça se fait que personne n’a réagi plus que ça?!” », s’exclame Karine Dubois, la productrice du documentaire.

Pendant plus de deux ans, Charles-Robert Giguère (image et montage), Catherine Proulx (réalisation) et Karine Dubois - alors étudiants en communication à l’UQAM - se rendent à Sainte-Annedes- Plaines pour rencontrer six personnes incarcérées qui purgent depuis longtemps déjà de lourdes peines. Au départ, le projet se veut un outil de sensibilisation évitant aux jeunes de suivre le même chemin que les protagonistes. Avec le temps, le projet a pris de l’ampleur, pour devenir ce qu’il est aujourd’hui : un documentaire d’une heure dont la qualité technique surprend - d’autant plus que c’est leur premier film - et qui laisse toute la place aux détenus : pas de narration ou d’intervention autres que celles des détenus. « Nos experts, dans le film, c’était les gars. Quand on avait des questions, c’était eux qu’on allait voir, pas des criminologues », explique Mme Proulx qui, comme ses collègues, ne connaissait rien de l’univers carcéral lors de sa première visite au pénitencier. « Les seules images que j’avais étaient issues de la fiction », confie-t-elle.

«J'ai appris plein de choses que j'ignorais. La solitude, par exemple. J'ai réalisé qu'après dix ans, il n'y a plus grand monde qui t'attend dehors.»

Faire parler les gars...

Les huit premiers mois sont consacrés à un travail « hors caméra » pour apprendre à mieux connaître les gars. Selon Mme Dubois, la période se déroule bien: « Ça s’est fait assez naturellement. On a parlé pendant quelques rencontres de ce qu’ils voulaient faire, pour bien comprendre où on s’en allait. Il fallait se parler beaucoup : puisqu’on faisait un bout à l’extérieur sans eux, c’était important de tout le temps valider pour ne pas que ça devienne notre projet. Donc, on a travaillé beaucoup sur le projet puis à un moment donné, on a dit, ok, maintenant qu’on sait ce qu’on fait, il faudrait qu’on sache qui vous êtes. Va falloir que vous nous parliez de vous un peu si on veut pouvoir faire un film. Les rencontres suivantes, gars par gars, ils ont raconté leur histoire du début : pourquoi ils sont devenus criminels, pourquoi ils ont fait ces choix-là. »

Cette période sans caméra est précieuse: « Je pense que si, à ce moment, on avait eu une caméra, plusieurs confidences auraient été passées sous silence. » Elle leur permet aussi de poser crûment toutes les questions que suscitent le milieu criminel « sans que les gars ne se sentent piégés », et dont les réponses n’auraient pas nécessairement eu leur place dans le film, en plus de désamorcer les moments difficiles. Pour ce faire, la méthode est simple: répondre du tac au tac!

« En fait, je dois avouer que j’ai été beaucoup plus choquée par ce que j’ai entendu dans l’administration! C’était beaucoup plus difficile de comprendre la logique des gens qui gèrent la sécurité que d’entendre les histoires humaines. Mais en partant, on avait un biais parce que les détenus sont ceux que nous avons entendus en premier et on s’est collés sur leur monde à eux. Les gens de l’administration avaient une espèce de réflexe défensif. Ils nous ont souvent pris à part pour nous dire de faire attention si on se sentait manipulés… C’est correct, c’est leur job, et effectivement certaines personnes auraient pu ne pas se sentir bien et ne pas le dire, mais ça nous a surpris », raconte Mme Dubois.

L’intention première étant de s’adresser aux jeunes, les cinéastes arrivent rapidement à une conclusion : les vols de banque en Buick 68 et les prises d’otage ne sont plus des réalités actuelles. Ils intègrent alors Ziad, un ancien membre de gang de rue dans la trentaine qui purge une peine pour double meurtre et tentative de meurtre. « Ziad a été incarcéré à 18 ans et sera libéré à 43 ans, il n’y a aucune chance qu’il ne sorte avant. Comme il est arrivé après les autres, je le connaissais moins. Il a fait un bon bout de chemin, il est réfléchi et très lucide, mais je sentais que c’était encore très brûlant, que ce n’était pas si loin que ça. Les autres avaient tous, sauf un, une trentaine d’années derrière les barreaux, ils avaient un certain détachement alors que lui était en plein dedans. Mais comme j’étais moins préparée, c’est arrivé en entrevue qu’il me dise quelque chose qui me laisse sous le choc. Et même quand je savais ce qu’il allait me répondre, il me touchait beaucoup. Je trouvais ça dur », se rappelle Mme Proulx.

La période de tournage est riche en enseignements: « J’ai appris plein de choses que j’ignorais. La solitude, par exemple. J’ai réalisé qu’après dix ans, il n’y a plus grand monde qui t’attend dehors. La prison, on sait que ça existe, on sait que c’est là, mais c’est comme si ce n’était pas si important à savoir, le après, le pendant. On ne sait rien, à part des trucs romanesques », confie la réalisatrice. « Je pense qu’on a été très chanceux de tomber sur des gars qui arrivaient en pensant “on ne va pas vous faire croire que ce n’est pas de notre faute”. Leur démarche intellectuelle était très intéressante. Autant ils étaient tous vraiment différents dans leur façon de voir leur vie, leur crime, autant cette ligne-là était partagée par tous les gars et n’a jamais été remis en question. Tout leur discours sur la notion de choix, c’est quelque chose que je n’avais jamais entendu », renchérit la productrice.

…pour mieux les laisser se raconter

Le récit d’Un trou dans le temps permet à six gars de raconter euxmêmes leur histoire, sans intervention extérieure et s’attarde sur le côté humain, permettant de pouvoir mettre des visages sur ces personnes dont on n’entend que rarement parler. Si ce n’était pas le lieu d’informer sur la réalité du système correctionnel ou de la justice pénale, il en reste néanmoins que pareille expérience soulève des questions: « Voir des gens qui ont fait une trentaine d’années de pénitencier et qui ont peur de sortir surprend, on se dit qu’il y a quelque chose qui ne va pas… Par contre, même si on peut se questionner sur l’efficacité du système, on ne l’a pas mis dans le film parce que ce n’est pas notre rôle et qu’on n’en sait pas assez là-dessus, justement. Mais c’est clair qu’on se pose des questions sur le durcissement des peines. Pendant le tournage, j’ai rencontré un travailleur de rue qui m’a aidé à préparer les entrevues et à cerner les sujets importants. Il m’a aussi fait réaliser que la prison, c’est un peu le point de non-retour; c’est bien avant ça qu’il devrait y avoir quelque chose de fait. Que tu auras beau investir en barbelés, ça ne changera rien », raconte Mme Proulx.

Et même si l’administration pénitencière ne fait pas figure de protagoniste, la côtoyer fait partie des expériences marquantes des cinéastes: «D’un point de vue production, j’ai réalisé à quel point l’administration des prisons est politique. Qu’un directeur ou un directeur adjoint peut faire changer la façon de vivre de 200 personnes. On l’a vécu, on a eu des administrations différentes à divers moments du projet et ça a été vraiment le jour et la nuit. Des approches complètement différentes » raconte Mme Dubois. « On a été tour à tour un projet novateur et un privilège inutile!», illustre Mme Proulx.

D’autres projets en vue? « Éventuellement, d’autres projets à portée sociale, peut-être sur les familles des détenus », confie la productrice qui dit avoir été impressionnée par la force des femmes qui visitent leur mari en prison en compagnie de leurs enfants. Mais pour le moment, des projets plus calmes sont prévus. « On s’en va en vacances! », conclut-elle en riant.


Pour organiser une projection-débat, communiquez avec Karine Dubois info@filmsenvue.ca / 514 562-5566