Porte Ouverte Magazine

Repenser le SCC

By Madeleine Ferland,
Criminologue

La libération d’office, est-ce utile?

Afin de démontrer à la population que sa sécurité lui tient à coeur, les politiciens ont depuis quelque temps relancé les discussions sur les politiques pénales et présentent divers projets de loi visant à retenir les prisonniers plus longtemps - et ce malgré le fait que les chiffres de Statistique Canada démontrent clairement que la criminalité diminue constamment. Mais émotionnellement, une récidive est une récidive de trop.

Revoir les libérations

Rendu public en décembre 2007, le rapport du Comité d’examen du Service correctionnel du Canada (SCC) contient 109 recommandations dans cinq domaines clés, notamment l’élimination de la libération d’office et l’adoption de la libération conditionnelle méritée. Bien que le mérite ait toujours été considéré dans l’octroi d’une libération conditionnelle, il importe toutefois de souligner que le concept comporte une grande part de subjectivité.

Il est indéniable que certains types de procédure de libération posent problème et qu’il faudrait en repenser certains aspects. Par exemple, dans le cas d’une première sentence fédérale (incarcération de plus de deux ans), si les délits sont commis contre les biens et ne sont pas reliés au crime organisé, au sixième de la sentence le cas fait l’objet d’un examen expéditif par la Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC). Le fardeau de la preuve est alors inversé : contrairement aux cas réguliers, ce n’est pas au délinquant de démontrer qu’il a changé et que le risque de récidive est diminué, mais c’est aux autorités décisionnelles qu’il incombe de justifier que la libération constitue un risque indu. L’interprétation ne tient pas compte des sentences provinciales purgées par le délinquant. Ainsi, un récidiviste dans le vol par effraction peut se qualifier par ce genre de procédure pour une libération conditionnelle. Cette pratique nuit à l’impact dissuasif de la peine et à la motivation au changement que les intervenants veulent inculquer au délinquant. Il est donc logique de revoir de telles mesures.

Jouer avec les mots

Il en est tout autre cependant de l’abolition de la libération d’office au deux tiers de la sentence pour les cas fédéraux. Les professionnels du SCC étudient les cas et font un rapport à la CNLC qui juge de la pertinence de la libération, des conditions à imposer - notamment l’assignation à résidence en maison de transition - et peut même maintenir le délinquant en incarcération. Le rationnel qui prévaut est de tout tenter pour que le délinquant adopte nos normes sociales et pour protéger la société. Ainsi, tous les délinquants purgeant une sentence fédérale sont sous surveillance jusqu’à l’expiration du mandat légal. Fait intéressant à noter : avec l’application de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, en 1992, ce qui s’appelait libération sous surveillance obligatoire est devenu libération d’office. Ce changement purement syntaxique d’apparence anodin a pourtant un impact réel sur la façon dont est perçue la mesure.

Il est maintenant proposé d’abolir aussi ce type de libération, car elle ne serait pas «méritoire». Mais que faire avec ces cas non méritoires à l’expiration de la peine qui ne font plus, alors, l’objet d’un mandat légal? Ils seront vos voisins sans même que vous le sachiez et sans surveillance parce que la condamnation est finie. Rappelons-nous les cas Bégin et Homolka. N’est-il pas préférable de libérer avant l’expiration de la peine pour que les délinquants puissent être suivis et surveillés, voire dans certains cas encadrés?

Encadrer le retour en communauté

Les individus qui bénéficient de la libération d’office doivent respecter des conditions, sont rencontrés par des agents et doivent se présenter à la police. Leur territoire est délimité, ils doivent garder la paix, respecter des conditions spéciales adaptées aux facteurs contributifs à leur criminalité (non-consommation d’alcool et de drogue, non-fréquentation de débits de boisson, obligation de suivre des thérapies, etc.). Dans certains cas, ils doivent demeurer en centre de transition où ils sont encadrés et y suivre le programme jusqu’à l’expiration du mandat. Ils reçoivent de l’aide pour s’intégrer à la société en travaillant et en apprenant à résoudre leur problème de façon adéquate. Malgré l’efficacité reconnue des programmes et les interventions des professionnels en centre de détention, tout ne peut pas se résoudre en détention. Il faut assurer un maintien des acquis et un suivi en communauté pour que les apprentissages soient intégrés : « c’est dans l’eau qu’on apprend à nager ». En « surveillance obligatoire » (libération d’office), l’intervenant est là pour guider l’individu lorsque surgissent les difficultés de la vie que le libéré conditionnel doit affronter à son retour en société.

Comme le mandat légal n’est pas expiré, s’ils ne respectent pas leurs conditions ou s’ils ne collaborent pas, il est très simple de faire un arrêt d’agir et de prévenir la récidive en réincarcérant ce criminel. Il est possible aux agents de surveillance d’intervenir rapidement si une désorganisation est remarquée, avant que ne se produise une récidive. Un simple doute ou un manquement aux conditions peut entraîner un retour en détention par la suspension de la libération. Cette épée de Damoclès soutient la motivation du délinquant à respecter ses engagements et son intérêt à modifier son mode de vie est suscité par ses nouveaux succès et le soutien qui lui est apporté.

Les autres mesures légales comme l’article 810 (obligation de garder la paix), la surveillance longue durée ou la probation - qui pourraient être assorties à une sentence à la fin du mandat d’incarcération - ne permettent pas cette souplesse, car il faut recourir aux tribunaux pour les faire appliquer. Ces mesures impliquent donc une mise en accusation et la nécessité de faire la preuve du manquement, ce qui prend du temps, engorge les tribunaux et réduit la spontanéité de la mesure de correction.

De plus, lorsque le délinquant est en « surveillance obligatoire », les agents peuvent donner certaines informations aux victimes sur ce dernier pour assurer leur protection. Ceci ne sera plus possible si l’agresseur est libéré à l’expiration du mandat puisqu’il n’est plus surveillé.

Mériter sa libération d’office?

Certains argumenteront que le principe du mérite pour accorder toute forme de libération stimulera la motivation du délinquant à vouloir s’impliquer dans ses programmes correctionnels. Cette mesure existe déjà avec la procédure de la libération conditionnelle vers le tiers de la sentence. Certains délinquants sont réceptifs, mais, malgré cela, certains ne répondent pas et ils ne répondront pas plus un peu plus tard. Certains font preuve d’une certaine ouverture, mais commettent, malgré tout, des comportements répréhensibles en incarcération qui font qu’ils ne sont pas considérés «méritoires». Mais qu’est-ce que la notion de «mérite» ? Est-ce que cela existe réellement, même dans la société en général? Parfois, certains sont méritoires mais n’ont pas le succès que leur efforts mériteraient; d’autres sont tout simplement chanceux. La notion de mérite pourrait être intéressante si l’égalité des chances existait, mais tous ne naissent pas avec les mêmes atouts. Peut-on assurer que le délinquant qui a eu un rapport d’offense en détention ou qui n’a pas voulu travailler récidivera? Peut-on dire que celui qui n’a pas eu de rapport et qui a travaillé ne récidivera pas? Il existe des criminels qui ont un curriculum vitae professionnel très intéressant, mais qui ont fait des crimes tout aussi impressionnants. Et même là, la question se répète, que ferons-nous avec celui qui n’est pas méritoire ou se rebelle? Quelle est la forme de libération qui procurera une meilleure protection pour ces voisins lorsqu’il sera libéré? À moins qu’on envisage de ne jamais le libérer, ou de réinstaurer la peine de mort... Mais là encore, est-ce ce qu’on veut? Quels en seraient les coûts financiers et humains? Les délinquants - contrairement à l’image projetée par les médias - ne viennent pas de la planète Mars; ils ont aussi des familles et des responsabilités sociales!

Fait intéressant à noter : avec l'application de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, en 1992, ce qui s'appelait libération sous surveillance obligatoire est devenu libération d'office. Ce changement purement syntaxique d'apparence anodin a pourtant un impact réel sur la façon dont est perçue la mesure.

À la lumière des nouvelles tendances et des changements législatifs annoncés, il est à prévoir que les délinquants passeront plus de temps derrière les barreaux, ce qui aura comme conséquence, notamment, une augmentation des coûts liés à la l’incarcération. Où trouveronsnous alors l’argent nécessaire qu’il faut investir rapidement pour les services aux victimes? S’il y avait plus de services aux victimes, il y aurait peut-être moins d’agresseurs : un certain nombre d’entre eux furent d’abord victimes de violence de toutes sortes. Ne serait-il pas préférable d’utiliser cet argent pour aider et offrir des services aux victimes? Ne vaut-il pas la peine de se tourner vers des formes de justice alternative comme la justice réparatrice?

Chose certaine, il faut conserver le présent système de libération qui permet tout de même d’inciter l’implication des détenus et de récompenser le mérite par le biais de la libération conditionnelle. Si la libération d’office (à laquelle on devrait redonner le nom de libération sous surveillance obligatoire!) pourrait faire l’objet de modifications (niveau d’encadrement du délinquant, durée, etc.) elle s’avère toutefois la mesure la plus efficace pour prévenir la récidive du délinquant à moyen et long terme, assurant ainsi la sécurité et une société juste et paisible.