Porte Ouverte Magazine

Repenser le SCC

By Guy Lemire,
École de criminologie, Université de Montréal

Rapport du Comité d’examen du SCC : Un rapport alarmiste sur fond de répression

NDLR : Le Comité d’examen a publié son rapport, Feuille de route pour une sécurité publique accrue, en décembre 2007. Accepté unanimement par les instances chargées de la sécurité publique au pays, il semble n’avoir fait l’objet d’aucune remise en question. L’ASRSQ a demandé à un expert de donner son avis sur les recommandations qu’il contient.

L’auteur a été directeur de l’École de criminologie de l’Université de Montréal, et a oeuvré pendant quinze ans dans l’administration pénitentiaire canadienne, où il a, les quatre dernières années, assumé les fonctions de directeur d’établissement. Il a aussi publié de nombreux textes et ouvrages, notamment Anatomie de la prison, dont la réédition est devenue Anatomie de la prison contemporaine (en collaboration avec Marion Vacheret).

Notre époque est marquée par un désenchantement assez généralisé - les citoyens disent ne plus avoir d’illusions. Face aux réalités complexes de ce début de 21e siècle, ils réagissent souvent avec une indifférence accompagnée d’un haussement d’épaules. Ce désabusement est particulièrement marqué vis-à-vis les politiciens et les hauts fonctionnaires.

Cette indifférence nous fait perdre la capacité de s’indigner et dénoncer l’inacceptable. Si j’ai décidé de reprendre du service, c’est que j’en suis venu à la conclusion qu’à ne rien faire ou dire, on devient complice du pire. Le rapport du Comité d’examen du SCC est dans son ensemble un document inquiétant quant au fil conducteur qui l’inspire. Il faut s’y opposer avec la dernière énergie. Je vais expliquer brièvement pourquoi dans ces pages que l’ASRSQ met à ma disposition.

«Presque 60% des délinquants purgent des peines de moins de trois ans et ont des antécédents de violence.»

Un alarmisme de mauvaise foi

Le procédé est cousu de gros fil blanc : établir des prémices alarmantes pour justifier ensuite des propositions excessives.

Le problème, c’est que ces prémices nous sont présentées avec une faiblesse d’argumentation et une absence de rigueur qui les rendent non crédibles. Le premier exemple est fourni par l’analyse de la criminalité au Canada. En s’appuyant uniquement sur l’année 2006, le rapport nous informe que la criminalité de violence est demeurée relativement stable en raison surtout du taux de voies de fait « mineures ». Curieusement, le rapport reste muet sur la plus grande criminalité de violence, celle qui tue, qui, elle, est en baisse importante. C’est un silence qui en dit long sur les intentions réelles du Comité.

Même en supposant que la criminalité de violence soit demeurée stable en 2006, cette donnée ne dit à peu près rien. Un peu comme si on s’appuyait sur les données de 2008, où il n’y a pas eu de réchauffement de la planète, pour nier le réchauffement climatique.

«La proportion de délinquants classés à sécurité maximale à l’admission a augmenté de plus de 100%.»

Une tendance, comme le sait bien un étudiant de première année d’université, ça s’établit sur le moyen et le long terme. Une année ne révèle pas grand-chose. Or, tous les spécialistes sont d’accord, la criminalité de violence est en perte de vitesse depuis le début des années 90. Il s’agit d’une tendance lourde et elle s’explique principalement par des causes démographiques : la population la plus susceptible de commettre des crimes, les 15-30 ans, diminue. Notre société vieillit et il se commet par conséquent moins de crimes. Ce qui explique pourquoi entre 1993-1994 et 2003-2004, le nombre d’admissions annuelles dans les pénitenciers canadiens est passé de 4948 à 4226, soit une diminution de 16% 1. Il n’y a rien d’alarmant ici, bien au contraire.

Mais ce qui précède n’est rien en comparaison de l’analyse que le rapport fait de la population délinquante incarcérée, dont l’image est jugée « alarmante » selon les mots mêmes du Comité.

Je vais reprendre puis analyser chacun des cinq points sur lesquels le Comité s’appuie pour affirmer qu’il y a péril en la demeure.

Ce que ce taux dit, c’est que la majorité des personnes incarcérées purgent de courtes peines pour des crimes d’une relative gravité, sans doute des voies de fait mineures (60% des crimes de violence selon le rapport). Les tribunaux ne donnent pas de courtes peines d’emprisonnement pour des crimes graves. La grande violence criminelle, celle qui est condamnée à des peines d’emprisonnement de dix ans et plus, ne constitue que 5% des admissions annuelles (voir le même texte de Pierre Landreville).

En somme, la violence criminelle de la population incarcérée est pour sa majorité fort limitée.

Tout d’abord, le rapport ne précise pas quelle est la période de comparaison. Est-ce une tendance à long terme ou une variation mensuelle? Le rapport est bien discret à ce sujet.

Mais s’il voulait nous donner l’heure juste, le rapport nous dirait que de 15 à 20% de la population pénitentiaire est logée dans des établissements à sécurité maximale. En d’autres termes, au plus 20% des détenus « constituent une grave menace pour le personnel, les détenus et la collectivité ». Ce qui signifie donc que 80%, soit la très grande majorité de la population pénitentiaire, ne rencontre pas cette définition. De quoi faut-il s’alarmer alors? Pourquoi un catastrophisme aussi peu démontré?

Ce n’est pas une réalité nouvelle, mais, même en admettant que ce taux ait augmenté, ça ne constitue que 16,6% de la population carcérale. Si cette minorité pose les problèmes que l’on prétend, je postule qu’elle est incarcérée dans des établissements à sécurité maximale et je conviens que dans ces établissements la gestion de ces gangs pose un immense défi. Mais la majorité des établissements ne sont pas à sécurité maximale et 16,6% de la population, c’est 16,6% de la population. Pas plus.

«Un délinquant sur six est affilié à un gang ou au crime organisé.»

Comme pour le point précédent (délinquants à sécurité maximale), j’observe une fâcheuse tendance à traiter comme des problèmes généralisés des réalités (certes sérieuses) qui ne concernent en définitive qu’une minorité de détenus. Et il est fort possible que détenus à sécurité maximale et membres de gangs constituent une seule et même entité, inférieure à 20%.

C’est une réalité bien documentée : il y a davantage de consommateurs de substances intoxicantes en prison qu’en société. Dans les années 60, il s’agissait principalement d’alcool et de pilules. Aujourd’hui, il s’agit de drogues. Le problème n’est pas nouveau.

Ce dont le rapport tente subtilement de nous convaincre, sans l’affirmer explicitement, c’est qu’il existe un rapport de cause à effet entre consommation et délinquance. Par conséquent, si on résout le problème de la consommation, on règle le principal problème. Le Comité insiste tellement sur les questions de drogue qu’il incite à conclure qu’il s’agit du problème prioritaire des établissements pénitentiaires. Cela mérite quelques observations.

La première, c’est que les experts qui se sont intéressés à la relation drogue-crime n’aboutissent pas à la conclusion qu’il s’agit d’une relation de cause à effet 2. La consommation ou la surconsommation de drogues s’inscrit plutôt dans un style de vie délinquant où la drogue n’est qu’une variable parmi d’autres. J’en cite une autre : les pairs délinquants. De ce point de vue, l’emprisonnement ne peut constituer qu’un renforcement criminogène puisqu’on place en situation de promiscuité des centaines de délinquants. Mon intention ici est de souligner qu’un style de vie délinquant nécessite une approche multifactorielle et ce n’est pas en privilégiant une solution miracle qu’on va améliorer la situation.

«Environ quatre délinquants sur cinq souffrent d’un grave problème de consommation, la moitié ayant commis leur crime sous l’influence de la drogue, de l’alcool ou d’autres substances intoxicantes.»

Ma seconde observation concerne la consommation de drogues à l’intérieur des murs. À ce sujet, les membres du Comité auraient eu intérêt à prendre connaissance de la thèse de doctorat de Chantal Plourde (École de criminologie, Université de Montréal) sur la consommation de substances psychoactives durant l’incarcération.

Premier résultat notable : le nombre de saisies de substances psychoactives augmente avec le niveau de sécurité, c’est donc dans les établissements à sécurité maximale que la drogue est la plus présente.

Deuxième résultat, corollaire au premier : c’est dans les établissements à sécurité minimale que la drogue est la moins présente. Pour reprendre les mots de Chantal Plourde, « l’éventualité d’une sortie prochaine, les risques associés à la consommation entre les murs versus la perte de privilèges et l’ambiance pénitentiaire sont des facteurs qui influencent le portrait obtenu ».

Cette recherche fait également ressortir que les détenus consomment moins en prison qu’en société et consomment des substances moins fortes (surtout le cannabis) pour des raisons évidentes de disponibilité et de coûts. En conclusion, sur cette question comme sur beaucoup d’autres, le rapport manque de nuances et de perspectives : il choisit le clan des politiciens qui présentent des solutions simples (pour ne pas dire simplistes) à des problèmes complexes.

«On a déterminé que, dans nos pénitenciers, 12 % des hommes et 26 % des femmes souffrent de troubles mentaux graves.»

Ici encore, il ne s’agit pas d’une réalité nouvelle. L’Institut Pinel a été construit au début des années 70 pour faire face à cette réalité. C’est en s’appuyant sur une approche médicale de traitement appliquée par une équipe pluridisciplinaire que cet Institut a acquis la renommée qui est aujourd’hui la sienne.

Sur les questions de santé mentale, l’approche du Comité est (enfin!) ouverte et nuancée. En somme, pour trouver grâce aux yeux du Comité, il faut souffrir d’un grave problème de santé mentale.

Si je fais le bilan de l’analyse, j’en viens à la conclusion :

  • Que les problèmes de style de vie délinquant (incluant la drogue) et de santé mentale sont des problèmes récurrents auxquels le SCC est confronté depuis plusieurs décennies; 
  • Qu’il y a des défis importants avec certaines catégories de détenus, notamment les gangs, lesquels ne constituent qu’une faible minorité de la population; 
  • Que la violence criminelle diminue depuis plus de 15 ans, et que cela a un impact quantitatif (diminution des admissions) et qualitatif (plus courtes peines d’emprisonnement) sur le milieu pénitentiaire.

Je ne vois donc rien d’alarmant dans la situation actuelle et la seule réalité nouvelle est la diminution de la violence criminelle. Certes, les défis sont sérieux. Peut-il en être autrement quand la sentence d’emprisonnement pénitentiaire est la mesure sentencielle la plus sévère du système pénal? La situation est encore moins alarmante quand on réalise que le SCC possède un personnel de très grande qualité qui fait l’envie de plusieurs pays.

Pour terminer cette section, j’aimerais proposer une réflexion sur cette habitude que nous avons de toujours décrire le présent comme pire que le passé.

La première fois que j’ai entendu que la situation se détériorait et devenait grave, c’est en 1963 quand j’ai commencé à travailler au pénitencier St-Vincent de Paul. Le personnel regrettait le bon vieux temps où il était encore possible de contrôler la population carcérale. Depuis cette époque, il ne s’est jamais écoulé plus de trois ans sans que je réentende le même refrain. D’ailleurs, ce discours ne se limite pas à la prison : nos parents nous l’ont servi et, aujourd’hui, nous plaignons nos enfants d’avoir à vivre dans la société actuelle. Nous avons de la difficulté à comprendre et accepter le changement sans tomber ou bien dans le pessimisme ou bien carrément dans l’alarmisme.

Une dernière question : à quand remonte la dernière émeute? Les évasions violentes et spectaculaires? Les prises d’otage avec blessures et décès? Le milieu pénitentiaire canadien n’a probablement jamais été aussi sécuritaire et sûr pour le personnel. Ça a d’ailleurs été relevé par des experts d’autres pays. Le Comité ignore de telles réalités (et beaucoup d’autres) parce qu’elles ne servent pas sa cause. Quand je parlais de mauvaise foi…

La gestion par décrets

Le sociologue français Michel Crozier a publié en 1979 On ne change pas la société par décret. Il voulait démontrer que, même si du haut de la pyramide politique ou bureaucratique on veut décider de ce qui est bon ou souhaitable pour la société, si ces décisions ne passent pas le test de la réalité, ce ne seront que des voeux pieux. Ça a été le cas pour l’avortement, ça l’a été aussi pour les drogues et ça le sera bientôt pour l’euthanasie. Les réalités précèdent les lois. Des propositions désincarnées sont stériles.

Le rapport regorgeant de décrets, j’en ai retenu deux, particulièrement instructifs quant aux réflexions qu’on peut en tirer : il est attendu que les délinquants participent activement à leur plan correctionnel et aux programmes conçus pour favoriser leur réadaptation et leur réinsertion sociale; les délinquants sont tenus d’observer les règlements pénitentiaires et de respecter l’autorité et la position du personnel…

Ce qui retient tout d’abord l’attention, c’est le ton pontifiant : « il est attendu », « sont tenus », etc. Changez quelques mots et vous retrouvez les textes des collèges d’autrefois. Sur le fond, ces phrases témoignent d’une profonde méconnaissance de la sociologie carcérale et de la dynamique de ce milieu.

Un détenu incarcéré a deux priorités : survivre dans un milieu hostile et privatif et en sortir le plus rapidement possible. Ce sont les aspirations légitimes d’un être normal. J’irais même jusqu’à dire que c’est un signe de santé mentale.

Si, pour être libéré, il doit s’inscrire et suivre cinq programmes, il le fera puisque c’est le prix à payer. Le hic, c’est que cette démarche ne correspondra pas à un véritable changement et ne sera en définitive qu’un jeu. Un aumônier de prison racontait jusqu’à quel point il servait d’impresario la veille des audiences de libération conditionnelle : les détenus venaient tester avec lui le niveau de repentir et de bonnes intentions susceptibles d’influencer favorablement les commissaires. Par ses décrets, le Comité incite le détenu à la manipulation, ce dont on lui tiendra rigueur par la suite.

Le SCC ne peut limiter sa responsabilité à offrir un étalage de programmes, si attrayant soit-il. C’est une mentalité de centre d’achats. Il doit créer un climat organisationnel qui motive le détenu à changer, il doit faire en sorte que son personnel professionnel ait des relations significatives avec les détenus. Sa responsabilité va jusque-là. C’est irréaliste de penser qu’on peut priver les gens de liberté tout en leur demandant d’agir de façon autonome et responsable, sans qu’il y ait une intervention thérapeutique significative et un climat organisationnel approprié.

Questions de sécurité

Il est légitime qu’un système carcéral se préoccupe de sécurité à l’intérieur des murs. C’est une de ses missions essentielles. Malheureusement, l’approche privilégiée par le Comité est fondamentalement réductrice et d’une portée fort limitée.

Dans le rapport, la majorité des recommandations touchant la sécurité concerne (encore) la drogue. Comme si les problèmes de sécurité dépendaient essentiellement de cette réalité. Ce n’est pas crédible. Les problèmes de sécurité sont inhérents à un milieu carcéral et ça a toujours été le cas, même à l’époque où il n’y avait pas de psychotropes. Le défi est de contrôler des centaines de personnes qui ne sont pas des enfants d’école dans un contexte de privation de liberté et de promiscuité. Et le défi est certes majeur dans les établissements à sécurité maximale. Comment peut-on se contenter de cibler le contrôle de la drogue pour résoudre le problème? La drogue, dans un tel contexte, doit être considérée au mieux comme un symptôme et non une cause.

Mais ce qui est encore plus désolant, c’est la nature des recommandations : augmentation du nombre d’équipes de maîtres-chiens, surveillance accrue du périmètre, procédure de fouille plus approfondie, achat de nouvelles technologies, etc. Presque exclusivement de la sécurité statique. Le rapport semble avoir mis de côté toute la perspective de la sécurité dynamique, celle qui favorise une meilleure connaissance de la population carcérale et de la vie quotidienne de la prison. Celle qui nécessite un lien minimal significatif entre personnel et détenus. Le coeur de la prison, c’est une relation humaine entre deux groupes, qui, au départ, ne s’aiment pas et le défi est d’en arriver à un minimum de cohabitation de collaboration. La véritable sécurité, c’est là qu’elle se trouve.

Face à un rapport privilégiant la ligne dure, il n’est pas inutile de rappeler que c’est quand il a perdu espoir que le détenu devient une bombe à retardement.

Quand la peine de mort a été abolie et qu’on lui a substitué l’emprisonnement minimal de 25 ans, le SCC craignait à juste titre que les établissements ne deviennent des poudrières. Par une approche professionnelle, ouverte et respectueuse des personnes, le SCC a relevé le défi avec succès. Comme je l’écrivais dans les pages précédentes, à quand remonte la dernière émeute? Si le SCC se préoccupe véritablement de sécurité, il devra mettre l’accent sur ces perspectives systémiques plutôt que de se contenter de gadgets et de technologie. N’oublions pas que ce sont les détenus qui ont le dernier mot.

Et la gestion du risque? 

Quand le rapport écrit « les faibles taux de participation et de réussite aux programmes dénotent un problème croissant lié au manque de motivation des délinquants à participer aux interventions correctionnelles », il fait une critique fondamentale de la gestion du risque. Mais plutôt que de poursuivre la réflexion, il se contente d’en tenir les détenus responsables. Ce qui est tout à fait contre-productif comme on l’a souligné au point précédent.

La gestion du risque, c’est essentiellement une gestion actuarielle de la population. On a du délinquant une connaissance statistique et non clinique; c’est aussi la connaissance d’une population à risque, et non d’un individu. La personne délinquante demeure dans son individualité une personne méconnue du SCC. C’est un constat lourd de conséquences.

Il faut le constater, la gestion du risque est un problème plutôt qu’une solution. Dans un article en préparation avec des collègues, nous en ferons une critique détaillée.

Chronique d’une mort annoncée : la libération conditionnelle

La libération conditionnelle est en mauvaise santé. Comme l’indique le texte de Pierre Landreville déjà cité, le taux de libération d’office est passé de 41% en 1993-1994 à 65% en 2003-2004. La libération statutaire en fin de sentence est donc devenue la norme alors que la libération totale est devenue minoritaire. C’est déjà un fort mauvais signe. En proposant l’abolition de la libération d’office, le Comité signe l’arrêt de mort de cette mesure pénale. Pour reprendre l’expression colorée d’un politicien québécois, la gestion du risque a mené la libération conditionnelle au bord du précipice et la proposition du Comité lui fait faire un pas en avant!

Quand, dans la foulée du rapport Ouimet, le gouvernement canadien a introduit la libération conditionnelle à la fin des années 50, il établissait qu’une peine d’emprisonnement ne peut se suffire à elle-même et doit, par conséquent, être complétée par une période de surveillance en société. Et on le sait aujourd’hui, les programmes de traitement qui ont le plus de succès sont ceux qui débutent en prison et se continuent à l’extérieur.

En banalisant cette nécessaire complémentarité et en privilégiant une incarcération prolongée, le Comité marginalise la réinsertion sociale tout en affichant clairement son approche répressive, laquelle vise à pénaliser les détenus pour un modèle de gestion qui bat de l’aile.

Quand il est question de misère humaine

Ce rapport nous parle abondamment de santé mentale et de toxicomanies; il traite aussi de la situation difficile des Autochtones. En prison, nous nous retrouvons au coeur de la misère humaine. On n’y retrouve pas beaucoup de réussites personnelles et sociales. L’arrogance, l’agressivité et la fanfaronnade de certains détenus ne rendant pas cette misère moins réelle, bien au contraire.

Si on souhaite aider des gens à changer pour le mieux, ça exige un minimum de compassion, une ouverture certaine à l’autre. Or, le rapport traite de ces réalités de façon technocratique et froide, tout en privilégiant la manière forte. Je sais que ce ne sont pas la sentimentalité et les larmes qui vont régler les problèmes de criminalité, mais je ne vois pas comment on pourra progresser sans un solide fond d’humanisme. Après tout, c’est en s’appuyant sur cet humanisme que les sociétés démocratiques se sont développées. Est-il besoin de rappeler que l’alternative à la démocratie, c’est le totalitarisme, une étiquette dont on affuble encore le milieu carcéral. Les pénitenciers canadiens s’en étaient éloignés depuis quelques décennies. Les propositions du Comité témoignent d’une volonté de revenir « au bon vieux temps », celui de la coercition et de la répression. Une recette ancienne servie à la moderne.

Une inspiration répressive

Jamais le Comité n’affirme plus clairement ses intentions que quand il propose de remplacer les mesures les moins restrictives par des mesures appropriées ou quand il propose de lier le maintien des droits à la poursuite du plan correctionnel. Un peu comme si on se permettait, en société, de supprimer des droits à un citoyen qui refuse de se lever le matin pour aller travailler. Un droit est un droit et on ne peut le supprimer que pour des raisons démontrées de sécurité et d’urgence. Si le maintien d’un droit dépend du jugement arbitraire d’un fonctionnaire, ce n’est plus un droit, c’est un privilège. C’est donc tout l’acquis des droits des détenus qui est remis en question dans ce rapport. De ce point de vue aussi, ce rapport est rétrograde. La réalité alarmante, elle est là!

C'est quand le détenu arrive à la conclusion qu’il n’a plus rien à perdre qu’il devient un problème majeur. Des politiques essentiellement répressives, loin d'améliorer la situation, ne peuvent que l'aggraver.

D’ailleurs, quand on ne cesse de marteler l’expression «protection de la société» dans une société déjà sûre et sécuritaire, on cherche à créer une obsession sécuritaire qui ne peut que mener aux pires abus. «Le mieux est l’ennemi du bien» dit le proverbe. Le Comité aurait eu grand avantage à s’en inspirer.

Le SCC compte plusieurs employés compétents et de bonne volonté. Comment peuvent-ils entériner, par leur silence ou autrement, un tel rapport? Après tout, il s’inscrit dans la mouvance qui amenait le Parti conservateur à proposer, lors de la dernière campagne électorale, des sentences de criminels adultes à des délinquants de 14 ans. On sait le sort que les Québécois ont réservé à cette proposition. Le présent rapport ne mérite pas mieux.


1 Voir à ce sujet le texte de Pierre Landreville dans Criminologie, vol. 40, no 2, 2007. 

2 Voir à ce sujet les textes de Serge Brochu. C'est quand le détenu arrive à la conclusion qu'il n'a plus rien à perdre qu'il devient un problème majeur. Des politiques essentiellement répressives, loin d'améliorer la situation, ne peuvent que l'aggraver