Porte Ouverte Magazine

Repenser le SCC

By Pauline Heckmann,
Élève inspecteur à l’EHESP de Rennes, France, et ancienne stagiaire à l’ASRSQ

Regard d’outre-mer sur l’ASRSQ

Si la France, et plus largement l’Europe, sont globalement perçues outre-Atlantique comme la patrie des droits de l’homme, le Québec bénéficie quant à lui d’une image particulièrement positive sur le vieux continent en matière de développement et de justice sociale. Curieuse de découvrir le réseau communautaire « à la québécoise », me voilà donc pour quelques semaines accueillie par l’ASRSQ, témoin au quotidien de son dynamisme et de son fervent engagement pour la réhabilitation et la réintégration sociale des détenus.

Fonctionnaire en France dans l’action sanitaire et sociale, je découvre la réalité de fonctionnement et de gestion d’un organisme communautaire, avec ses contraintes, bien sûr, mais aussi la souplesse avec laquelle les actions sont conçues. Un objectif commun préside à toutes les initiatives et accompagnements proposés : sortir les détenus de leur statut d’« indésirables » et leur accorder une véritable place dans la société. L’atteinte de cet objectif passe par une double préoccupation d’aide et de soutien aux détenus, et d’information et de soutien auprès de la population. Cette seconde préoccupation retient particulièrement mon attention car elle est largement lacunaire en France ; la société québécoise semble beaucoup plus apte à inclure les personnes incarcérées.

Les dispositifs de réinsertion sont d’ailleurs nettement plus étoffés et individualisés : les aménagements de peine prévoient des sorties aux deux tiers de la sentence, alors que le système français ne connaît que le mécanisme de remise de peine, évalué au cours de l’incarcération en fonction du comportement du détenu et de la gravité de son acte. Il est troublant de constater que le niveau de risque nécessaire que les pouvoirs publics et la communauté sont prêts à courir pour offrir une deuxième chance aux détenus est bien différent d’un continent à l’autre !

Bien sûr, tout n’est pas si simple ou idyllique ! Si les efforts mis en oeuvre pour la réinsertion des détenus sont importants au Québec, je réalise que cette dernière reste un défi permanent, difficile à défendre face à la vulgate sécuritaire et aux évolutions répressives que le monde entier connaît et où le moindre fait divers impliquant un ex-détenu remet en cause le fondement des dispositifs communautaires. Tous les membres de l’action communautaire en sont conscients et partagent une conviction absolue dans le bien-fondé de leur mission, donnant un socle d’autant plus ferme aux actions menées par l’ASRSQ.

C’est d’ailleurs le point commun le plus saillant de mon stage : l’engagement de chacun dans la défense des droits des détenus et leur dignité. Les visites que j’ai eu la chance de faire dans différents services ont été l’occasion de rencontrer des personnes passionnées, avides de partager leur savoir-faire et leurs convictions avec quiconque les sollicite.

Il est troublant de constater que le niveau de risque nécessaire que les pouvoirs publics et la communauté sont prêts à courir pour offrir une deuxième chance aux détenus est bien différent d’un continent à l'autre.

Au-delà de l’engagement sur le terrain des acteurs qui font vivre au quotidien les principes communautaires, j’ai été frappée par le dynamisme de l’action de l’ASRSQ avec les gouvernements du Québec et du Canada auprès desquels elle porte la philosophie de l’action communautaire et défend une conception réparatrice de la justice. Elle rappelle, dès que l’occasion se présente, la fonction fondamentale de réhabilitation que doit jouer la prison, fonction trop souvent reléguée au second plan par des pouvoirs publics soucieux de remplir leur mission de répression. Elle bénéficie d’une reconnaissance, construite au fil des années, qui lui confère un rôle consultatif dans l’élaboration des textes législatifs concernant le suivi judiciaire des détenus. Cette collaboration étroite entre les services communautaires et les pouvoirs publics est profonde et remarquable ; à tel point d’ailleurs que nombre de travailleurs du réseau communautaire sont sollicités pour rejoindre les services correctionnels, preuve d’une intégration forte et d’une complémentarité des deux systèmes !

Le Québec est ainsi parvenu à poser les bases d’un équilibre entre devoir de protection de la société par les pouvoirs publics et droit de chacun à être intégré dans la société en dépit de son passif. C’est un pas important et courageux vers une conception plus réparatrice de la justice que bien des pays n’ont pas même envisagé. Toutefois, cet équilibre reste précaire et son maintien nécessite des efforts et une vigilance sans cesse renouvelés pour ne pas céder aux sirènes de la répression. Le travail de tous les membres de l’action communautaire vise à éloigner le plus possible le spectre de l’enfermement comme seul moyen de justice. Il est un exemple riche d’enseignements pour notre système judiciaire français, qui semble plus enclin à opter pour le confort du tout sécuritaire…