Porte Ouverte Magazine

Repenser le SCC

By Jennifer Cartwright,
ASRSQ

Le SC songe à utiliser le Taser

Au moment où la sécurité statique accapare une part importante des budgets des instances chargées de la sécurité publique (Service correctionnel du Canada, Agence des services frontaliers du Canada, Gendarmerie royale du Canada (GRC), services de police - pour ne nommer que ceux-là), une pratique fait particulièrement couler l’encre : l’utilisation du Taser. Au Canada, le débat divise.

D’un côté, plusieurs groupes dénoncent son usage. Une coalition pour un moratoire immédiat sur l’utilisation du Taser a été mise sur pied et demande au gouvernement, notamment, la suspension de l’emploi du pistolet par les forces policières ainsi qu’une étude sérieuse, crédible et indépendante sur son usage. L’Association médicale canadienne demande quant à elle que l’arme fasse l’objet d’études scientifiques indépendantes. De l’autre côté, la GRC - dont le recours par les agents à ce pistolet a augmenté de manière considérable entre 2005 et 2007 1 - qualifie son utilisation de « compromis entre la simple présence d’un agent de police et l’usage d’une force meurtrière comme l’arme à feu » et précise que, puisque 80% de ses agents travaillent en milieu rural ou isolé, il est essentiel pour assurer leur sécurité. En outre, dans plusieurs cas les coroners ont écarté l’hypothèse du lien entre le décès et l’emploi de l’arme, notamment dans l’affaire Castagnetta (voir encadré), ce qui a donné lieu à des manifestations de citoyens sur la place publique, tant dans la rue que dans les médias. Selon Amnistie internationale, le Taser a fait 22 morts en cinq ans au Canada. La dernière victime, un Manitobain, avait 17 ans.

Investir dans la sécurité publique… mais pas dans le Taser (pour le moment)
Rendu public en décembre dernier, le rapport du Comité d’examen du Service correctionnel du Canada (SCC) s’articule autour de cinq axes, dont l’élimination de la drogue illicite dans les pénitenciers et le renouvellement des infrastructures physiques. Dans cette optique, de nombreux investissements ont eu lieu ou sont prévus pour renforcer la sécurité statique, particulièrement par une utilisation accrue de la technologie (détecteurs ioniques, machines à rayons X, Ionscan, chaises de sécurité servant à la détection d’objets dissimulés, etc.).

Cependant, le Taser brille par son absence dans cette liste. En effet, le SCC annonçait le 20 novembre dernier la suspension (temporaire) d’un projet pilote sur son emploi dû à l’examen de leurs politiques instituées en réponse au décès - fort médiatisé - de l’immigrant polonais Robert Dziekanski survenu à l’aéroport de Vancouver en octobre 2007. Selon l’Enquêteur correctionnel, à ce jour « nous n’avons aucune preuve suggérant que l’ajout du Taser à l’arsenal dont nous disposons actuellement à l’intérieur des pénitenciers soit profitable ». Le porte-parole du SCC, Guy Campeau, a toutefois affirmé aux médias que, si elle est réexaminée, l’utilisation du pistolet est toujours envisagée.

Au Québec 

Les services correctionnels du Québec, quant à eux, n’utilisent pas le Taser et ne prévoient pas le faire dans un avenir rapproché. Selon les chiffres du ministère de la Sécurité publique du Québec, en 2007 les 14 000 policiers couvrant la province se partageaient 160 pistolets Taser. Les armes sont généralement utilisées par des unités d’intervention spéciale, des groupes d’intervention tactique, des superviseurs de patrouille ou des policiers responsables de la détention policière.

Portrait d’une arme controversée 

Le Taser est muni d’un dispositif à impulsion; la décharge de 50 000 volts qu’il émet interfère avec les fonctions du système nerveux. Deux modes sont offerts : contact (l’arme est appuyée directement sur la peau et la décharge se fait entre deux points du corps) ou projection (deux dards reliés au pistolet peuvent parcourir jusqu’à dix mètres; le policier peut soit prolonger la décharge, soit la répéter). Les impulsions électriques ont divers effets sur le corps : respiratoires, cardiaques, neuromusculaires. Selon la Ligue des droits et libertés, la consommation de drogues ou d’alcool interfère avec l’utilisation du Taser et accroît les chances de mortalité, de même que le fait de l’utiliser sur des sujets agités ou en mauvaise santé.

L’affaire Castagnetta Le 18 septembre 2007, les agents du Service de police de la Ville de Québec (SPVQ) reçoivent une plainte concernant Claude Castagnetta. Ce dernier tient des propos confus et dérange les clients de l’Épicerie économique, située en Basse-Ville de Québec, où il circule pieds nus. Il est arrêté à la suite de son refus de collaborer avec les agents du SPVQ; puisqu’il leur résiste, ils utilisent le Taser. Il est incarcéré au bloc cellulaire du Service de police. Son état mental se détériore, de même que sa condition physique. Après avoir sombré dans un coma, il est conduit à l’hôpital de l’Enfant- Jésus, où son décès sera constaté le 20 novembre.

Tout comme ici, ailleurs dans le monde les opinions divergent : alors que le gouvernement britannique annonçait le 24 novembre dernier l’achat de 10 000 de ces pistolets destinés à équiper les polices anglaise et galloise - au grand dam d’Amnesty International qui a condamné la décision, la justice française donnait raison au Réseau d’alerte et d’intervention pour les droits de l’homme (RAID-H), et ce, au détriment du distributeur français du pistolet électrique, SMP Technologies. Celui-ci reprochait à RAID-H d’avoir dénigré le pistolet électrique sur son site internet et distribué une brochure intitulée « Électrochoc » faisant la promotion d’une soirée anti-Taser en avril dernier. Au Portugal, le Comité contre la torture de l’ONU recommandait quant à lui - après l’acquisition par ce dernier d’une dizaine de pistolets Taser - de renoncer à cette arme qu’elle qualifie de véritable « forme de torture » causant de violentes douleurs pouvant aller jusqu’à la mort. Plus près de nous, aux États-Unis une poursuite intentée par Taser contre un médecin légiste en Ohio s’est soldée par l’ordonnance du retrait de toute référence à leur produit dans l’autopsie.

Le site internet de Taser souligne que, si la technologie proposée n’est pas sans risque, «des études médicales et scientifiques indépendantes ont démontré que, si elle est utilisée correctement, elle figure parmi les usages de la force (use-of-force) légaux les plus efficaces et qu’aucun autre n’a subi autant d’essais et d’examens de la part de scientifiques internationaux (traduction libre)». Toujours selon le site, une étude publiée par le Journal of Pacing and Clinical Electrophysiology fait état d’une marge d’erreur liée à son utilisation de 20 pour 1 chez les humains pesant plus de 100 livres… alors que celle de l’acétaminophène serait de huit pour un.

À chacun son Taser 

Taser international offre plusieurs types de produits. Au Canada, les plus utilisés sont les M-26 et X-262. Mais il en existe plusieurs autres modèles, dont le C2, destiné à un usage personnel. Conçu pour tenir dans une bourse, il est offert en neuf couleurs, allant du rose éclatant aux motifs léopard. Plusieurs accessoires sont aussi disponibles, entre autres un étui avec lecteur MP3 intégré permettant « d’allier musique et sécurité ». Par contre, s’il est permis d’avoir sur soi un Taser aux États-Unis, la législation canadienne ne permet son usage qu’aux forces de l’ordre et aux militaires - à qui on offre aussi d’autres produits comme le Taser Cam, qui permet d’enregistrer plus d’une heure et demie d’audio et de vidéo, même dans l’obscurité complète. Le site de l’entreprise présente également une gamme de produits dérivés.

Selon Amnistie internationale, le Taser a fait 22 morts en cinq ans au Canada. La dernière victime, un Manitobain, avait 17 ans.

Une alternative au Taser? 

Une société suisse a mis au point un pistolet « poivreur » qui permet de maîtriser un individu par une décharge - projetable jusqu’à 6,5 mètres! - de chili et de poivre de Cayenne. Les épices ont aussi comme effet de colorer le visage de l’individu qui prend aussitôt un teint orangé, permettant ainsi de le retracer s’il arrivait à s’enfuir malgré les inconforts ressentis. Interrogé au sujet du produit rival par La Presse en août dernier, Steve Tuttle, vice-président de Taser International, a affirmé que son produit « a sauvé beaucoup de vies », et que le poivre peut entraîner des souffrances pendant 40 minutes alors que la décharge du pistolet qu’il promeut « ne fait pas mal ». À l’époque, Taser International s’était attiré les tollés de plusieurs militants anti-Taser en s’inscrivant comme l’un des principaux commanditaires du congrès de l’Association canadienne des chefs de police (ACCP) tenu à Montréal. D’ailleurs, plusieurs tiennent responsable la compagnie états-unienne du report à 2009 de la publication des résultats d’une étude du Centre canadien de recherches policières, un organisme fédéral, sur l’utilisation des pistolets Taser commandée par l’ACCP, à la suite du décès de Robert Dziekanski. En attendant les résultats, l’utilisation du pistolet Taser rencontre de plus en plus d’opposition, mais se poursuit.


1 Les données fournies par la GRC indiquent que les policiers ont utilisé leurs armes à décharge électrique plus de 1400 fois en 2007, comparativement à 597 fois en 2005. Au total, l’arme a été utilisée 4000 fois depuis 2001, date de son entrée en service au pays. Source : Radio-Canada et La Presse canadienne 2 En décembre dernier, des examens scientifiques ont eu lieu dans le cadre de l’émission Enquête. Après avoir fait préparer un protocole de recherche, Radio- Canada a commandé une étude au National Technical Systems. Sur les 44 Taser X-26 obtenus de sept corps policiers états-uniens, quatre émettaient des décharges jusqu’à 50% supérieures à la norme du fabricant. Tous dataient d’avant 2005, ce qui laisse croire à un problème manufacturier. Selon la chaîne de télévision, jamais une étude indépendante d’une telle envergure n’avait été réalisée.