Porte Ouverte Magazine

Repenser le SCC

By Jean-François Cusson,
ASRSQ

L’utilisation de la technologie : un gage de sécurité?

Le développement de la technologie est souvent présenté comme un bienfait permettant d’accroître le confort. Cette dernière permet aussi des choses qui autrement seraient plus difficiles. En criminologie, elle promet la sécurité et la paix. N’est-ce pas alléchant?

Dis-moi d’où tu viens! 

Afin de rassurer le parent dont la fille fréquente un nouveau copain ou un employeur qui désire s’assurer qu’il n’embauche pas n’importe qui, plus de vingt États américains offrent maintenant un service en ligne qui permet de s’assurer qu’un délinquant ne rôde pas dans l’entourage. Pour quiconque désire se renseigner sur les antécédents de quelqu’un, l’opération est fort simple. Il suffit de visiter le site internet www. criminal-records-search.com, de soumettre le nom de la personne ainsi que sa date de naissance et de payer les frais (moins de 40 $). C’est simple, rapide (les résultats sont généralement disponibles en moins de 72 heures) et surtout, il n’est pas nécessaire d’obtenir l’autorisation de la personne investiguée.

«Dans le passé, pour vivre dans des sociétés d’une complexité croissante, il nous fallait accroître notre humanité. Maintenant, il nous suffit d’accroître la technologie.»

Edward Bond

Qu’advient-il de la réinsertion sociale? Plus que jamais, l’idée de pouvoir refaire sa vie une fois la peine terminée est compromise. Au Canada, l’accès à ce type de données n’est peut-être pas aussi facile, mais plusieurs font pression afin que le pays et/ou les provinces imitent nos voisins américains. Ici aussi des entreprises privées vous offrent, via internet, de chercher les antécédents judiciaires de personnes à qui vous désirez offrir un emploi ou louer un logement. Toutefois, il est nécessaire d’obtenir l’autorisation écrite de l’individu afin d’effectuer ce type de vérification. Par contre, il y a encore plus facile : les plumitifs des palais de justice qui sont maintenant en ligne. Les décisions des cours étant d’intérêt public, elles sont donc disponibles à tous. Alors pas besoin de demander l’autorisation aux personnes visées.

Surveiller les toxicomanes

Récemment, le quotidien La Presse rapportait qu’une banque de données réunissant les informations personnelles des alcooliques et des toxicomanes qui fréquentent les centres de réadaptation en dépendance du Québec était en train de voir le jour. Depuis le mois d’avril, ces centres récoltent une série de données très précises sur leurs clients (nom, numéro d’assurance maladie, antécédents judiciaires, dépendances, etc.). D’ici quelques mois, ces informations pourraient être centralisées au gouvernement. Bref, rien de très confidentiel. Bientôt, par exemple, il pourrait être possible de répertorier tous les consommateurs d’héroïne connus. Pour l’instant, l’utilisation de cette banque de données est très floue, mais elle inquiète suffisamment pour que le Centre Dollard- Cormier refuse de participer à ce projet.

À la rescousse de la libération conditionnelle

Pour différentes raisons, les détenus purgent une partie de plus en plus importante de leur peine en prison. La libération conditionnelle n’est plus aussi populaire et est souvent remise en cause.

Cette situation coïncide aussi avec une crise de confiance envers les professionnels qui travaillent auprès des délinquants. Bien souvent, la seule expertise qu’on leur reconnaît est de mettre à la rue des criminels endurcis et dangereux. S’il n’est plus possible de s’y fier, vers qui pouvonsnous nous tourner? Et bien la technologie est là, pleine de promesses.

Par exemple, Ottawa procède actuellement à un projet pilote en Ontario auprès d’une trentaine de détenus à risque élevé afin d’en évaluer le potentiel. Le Service correctionnel du Canada (SCC) a indiqué qu’il ne désire pas faire une utilisation importante de cette technologie et qu’elle ne deviendra pas la norme en matière de libération conditionnelle. Cependant, le bracelet électronique pourrait devenir une monnaie d’échange pour assurer la survie de la libération conditionnelle puisque celui-ci permettra de rassurer ceux qui hésitent à appuyer les mesures de mise en liberté sous conditions.

Du côté des organismes communautaires, on sent beaucoup de scepticisme face à cette mesure et plusieurs craignent qu’on en étende l’utilisation. Ceux qui militent contre le bracelet électronique rappellent que ce type de gadget accentue la stigmatisation des délinquants tout en les détournant des services et des programmes éprouvés, basés sur l’intervention humaine, qui favorisent leur réinsertion sociale.

Évidemment, la recherche s’est penchée sur les impacts de l’utilisation du bracelet mais les résultats ne sont pas très convaincants. Une récente étude du SCC conclu « que bon nombre des facteurs initiaux à la base de la mise en oeuvre de programmes de surveillance électronique, comme la réduction des populations carcérales et les économies de coûts, ne se sont pas encore matérialisés près de 20 ans après leur mise en oeuvre. Il est également évident qu’à l’heure actuelle, il est difficile de tirer des conclusions fermes concernant la capacité de la surveillance électronique d’atteindre les objectifs souhaités comme la gestion du risque que présentent les délinquants, la réduction des taux de récidive et l’obtention d’un changement de comportement positif 1. »

Mieux surveiller l’intérieur

Depuis quelques années, la technologie occupe de plus en plus de place en détention. Elle permet de réduire les contacts entre le personnel et les détenus, simplifie les déplacements et permet aussi de mieux surveiller la contrebande de drogue. Parce que le gouvernement s’est engagé à éliminer la drogue des prisons (comme si c’était possible !), les établissements continuent de se doter d’équipement de détection de toute sorte (appareil de radioscopie et détecteur ionique). D’ailleurs, dans son rapport le Comité d’examen du SCC fait la promotion de l’utilisation de la technologie et demande à l’organisation d’examiner toutes les technologies disponibles.

Bientôt, on pourrait donc voir en détention la Body Orifice Security Scanner (BOSS II). Cette chaise permet d’analyser par balayage cinq zones corporelles (orale/nasale, abdomen, anale, jambes et pieds). Évidemment, si un tel gadget évite les fouilles corporelles déplaisantes, force est constater que la technologie avance rapidement. D’ailleurs, le SCC a récemment lancé un appel d’offres pour faire l’acquisition, d’ici trois ans, d’une cinquantaine de chaises semblables.

Garder les visiteurs dehors

Pour les établissements correctionnels, les visites aux détenus peuvent parfois représenter de sérieux casse-tête (déplacements, contrebandes, enquêtes sécuritaires, etc). À Colorado Springs, lors du dernier Congrès de la Corrections Technology Association, les participants ont eu l’occasion d’en apprendre plus sur une technologie qui permet de remplacer les visites par l’utilisation des vidéoconférences. Finis les coûts exorbitants et les préoccupations administratives qu’impose l’entrée des visiteurs en prison. Le personnel peut être affecté ailleurs. Les caméras suffisent. Les visiteurs et les détenus font face à un écran et un combiné téléphonique. À quoi bon se rencontrer en personne, s’il est maintenant possible de se voir à distance?

Lorsque les visiteurs habitent loin de l’établissement ou qu’ils ne sont pas en mesure de se déplacer, l’utilisation de la vidéoconférence peut être intéressante. Cependant, plusieurs administrations pénitentiaires pourraient être tentées de faire en sorte que ce type de visite devienne la norme.

À chacun son bouton panique

Si les établissements correctionnels utilisent de plus en plus la technologie, il faut s’attendre à ce que les organismes communautaires subissent certaines pressions afin de se doter de gadgets de toutes sortes. Plusieurs ressources utilisent déjà des boutons panique et des systèmes d’alarme, mais l’utilisation des caméras de surveillance n’est pas encore très courante. Lors d’une récente rencontre impliquant des ressources communautaires provenant de l’ensemble du Canada et des représentants du SCC, certains ont suggéré d’installer des boutons panique dans chacune des chambres des maisons de transition.

L’imagination est la seule limite de la technologie et il faut s’attendre à ce que sa présence se fasse de plus en plus sentir dans le milieu correctionnel, même en communauté. Pour les organismes communautaires, il faudra user de prudence et bien examiner la réelle nécessité des avancées technologiques, ainsi que leurs impacts : plus que jamais, il deviendra important d’être vigilant afin que les maisons de transition ne deviennent pas de petits établissements carcéraux.

Le bracelet électronique pourrait devenir une monnaie d’échange pour assurer la sur vie de la libération conditionnelle puisque celui-ci permettra de rassurer ceux qui hésitent à appuyer les mesures de mise en liberté sous condition.

Et l’éthique dans tout ça?

La technologie n’est pas nécessairement un gage de sécurité et peut compromettre ou rendre difficiles les interactions qui sont si nécessaires à toute démarche de réinsertion sociale. Il peut paraître normal de vouloir se protéger de toutes les façons possibles. Toutefois, un excès de protection rendra nécessairement plus difficile la réinsertion sociale. Paradoxalement, il faudra un jour réaliser qu’ainsi notre société deviendra moins sécuritaire.

Finalement, il est étonnant de constater que l’arrivée massive de la technologie dans plusieurs domaines (tels que les banques de données, les milieux judiciaires et correctionnels, etc.) laisse peu de place aux discussions d’ordre éthique. Puisque, en principe, la technologie est un bienfait pour l’humanité parce qu’elle vise à soulager de plusieurs tracas, pourquoi faudrait-il se préoccuper des enjeux liés aux droits humains ? Parce qu’en acceptant son incursion sans trop réfléchir, même auprès des personnes judiciarisées et des délinquants, nous deviendrons nous-mêmes moins libres.


1 BOTTOS, S. « Un aperçu de la surveillance électronique au sein du système correctionnel : question et répercussion », Direction de recherche, Service correctionnel du Canada, 2007. Tel que consulté le 29 décembre 2008 à l’adresse suivante : http://www.csc-scc.gc.ca/text/...