Porte Ouverte Magazine

L’Art et la réintégration sociale et communautaire

By Jean-Claude Bernheim,
Enseignant en criminologie et droit de la personne, chargé de cours à l’Université de Saint-Boniface (Manitoba)

Art en prison, art hors de prison et réintégration  

Avant de commencer à rédiger ce texte, je dois noter que l’ART et la CULTURE ne sont pas des préoccupations essentielles pour les autorités politiques québécoises. 

En effet, art, culture et prison ne sont même pas dans l’imaginaire social et politique du Québec, en 2018. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter le document Partout, la culture, qui est présentée comme un projet de consultation, dans lequel la prison y est totalement absente (Québec, 2017).

Nous savons que le Québec est considéré du point de vue des Français et des Belges, entre autres, comme étant à l’avant garde sur plusieurs questions sociales et pris comme exemple pour faire progresser leur société respective. Malheureusement, les gouvernements successifs au Québec n’ont jamais eu l’audace de s’inspirer de ce qui se fait sur le plan des arts et de la culture dans les prisons de France et de Belgique. Aucun article dans les lois correctionnelles du Québec et du Canada ne fait référence aux activités artistiques et culturelles. En effet, le gouvernement français a dès janvier 1986 adopté un protocole entre les Ministères de la Justice et de la Culture. Le but n’étant pas seulement de favoriser l’accès, y compris les détenus, à l’art et à la culture, mais aussi de favoriser la création, ce qui est beaucoup plus engageant. Rien de tel au Québec.

Un peu d’histoire

D’ailleurs en 1982, Commission d'étude sur la formation professionnelle et socio-culturelle des adultes, notait que « les personnes incarcérées n’ont pas vraiment droit à l’éducation, alors qu’il s’agit d’une population ayant des besoins vitaux de rattrapage (alphabétisation), de recyclage (apprentissage des métiers) et de socialisation en général (formation sociale et culturelle) » (CEFA, 1982, p. 152). D’ailleurs, Perreault et Meilleur (2014) notent « que l’éducation en milieu carcéral est davantage négociée comme un privilège » que considéré comme un droit (p. 71).

Et, « depuis les travaux de la CEFA, aucune étude n’a été recensée portant spécifiquement sur la situation de l’éducation au sein des établissements de détention de juridiction provinciale au Québec » (p. 6), malgré le fait que l’offre de service se serait développée, et que 80 % des personnes incarcérées n’est pas terminé leur secondaire. Dans un tel contexte, que dire de l’art dans les prisons québécoises ? Rien.

L’art et la prison peuvent être compris d’une multitude de manières. L’architecture est un préalable qui en principe n’est pas totalement étranger à la perspective de réhabilitation, mais là n’est pas notre angle d’approche. L’art et la prison peuvent également être abordés comme une ressource thérapeutique, mais nous ne sommes pas compétents pour en faire une analyse sérieuse. Nous allons nous en tenir aux arts visuels et littéraires.  Que des détenus aient des talents artistiques n’est plus à démontrer. Sans faire une analyse historique poussée, il suffit de se référer aux activités de l’Association de rencontres culturelles avec les détenus (ARCAD, fondée en 1965, actuellement en voie de disparition) et à la Galerie Maximum (1980 – 1988) pour les arts visuels, pour mesurer la qualité de ces artistes qui ont été lus, entendus et vus au Québec. Sauf Michel Pellus, devenu peintre alors qu'il purgeait une peine de pénitencier, rares sont ceux qui ont réussi à se faire connaître du grand public. 
On peut se référer au théâtre et la pièce L’attente conçue par un collectif du pénitencier de Cowansville, a été jouée au pénitencier en novembre 1974, dont la mise en scène a été assurée par Hélène DelVecchio et Marie-Thérèse Quinton. Elle a été reprise à l’UQÀM en 1975, à Granby et au TNM le 18 avril 1977 « créant ainsi l'un des évènements les plus importants de la saison théâtrale dans la métropole » (SCP, 1977, p. 3).  

Ce succès a initié d’autres expériences. Au Centre fédéral de formation, avec l’aide de Valérie Tocco, Pierre Demers et Léo Lévesque s’y sont mis et ça a donné : Quand j'y ai dit ça, à parti à rire.    Jean-Louis Roux a d’ailleurs voulu monter la pièce au TNM, en 1976, mais Francis Fox, Solliciteur général, a renversé la décision favorable de son prédécesseur, ce qui a mis un terme à ce projet d’inclusion sociale.

Y a rien là! est une œuvre collective des détenus du pénitencier Archambault, rédigée par Daniel Lamoureux qui a été montée et jouée, entre autres, par des étudiants de l’Option Théâtre, de l’Université Sherbrooke.  

Il ne faut pas oublier de mentionner l’expérience menée par Claire Jenny et ses collaborateurs français, en 2004, au sein de la Maison Tanguay, une prison pour femmes. Elle s’est clôturée par la présentation d’un spectacle de danse dans l’institution carcérale, le 18 octobre 2004, devant les détenues et des invités. Une seconde expérience s’est réalisée, en 2006, au pénitencier de Joliette, institution fédérale pour femme. 

Cette fois, c’est sous la direction de la compagnie Point Virgule et des Productions C, avec la collaboration des étudiants en danse de l’UQÀM.

Qu’en est-il aujourd’hui?

C’était l’époque où les arts étaient valorisés dans les pénitenciers, que des contacts s’établissaient avec la société. La Fondation pour les arts dans les prisons, fondée en 1969, était très active, mais après des déboires et des coupures de budget, elle a dû fermer ses portes en 2015, De tout ça, il ne reste rien ou presque.

Malgré toutes les difficultés et les déboires rencontrés par les organismes bénévoles qui tentent contre vents et marées de faire éclore les arts en milieu carcéral afin qu’ils franchissent également les murs de l’isolement social, les démarches se poursuivent. Ainsi, la Société John Howard du Canada (SJHC) et The Bridge Prison Ministry (Brampton, ON) ont mis sur pied un partenariat en 2017, afin de réaliser un projet de développement des arts au pénitencier de Bath, près de Kingston. Il s’agit de contribuer à réduire la récidive en facilitant le développement personnel par les arts, mais aussi aider à faire connaître le talent des détenus et à vendre leurs œuvres. 

Dans le prolongement de ce projet, le Conseil des arts de l’Ontario a octroyé une subvention à la SJHC pour vérifier comment la pratique d’activités artistiques peut contribuer à briser l’isolement et favoriser l’inclusion sociale. Cette recherche s’inscrit dans le « Kingston Pen Tours », lors des visites guidées du Pénitencier de Kingston, les visiteurs seront invités à faire part de leur point de vue et de leur intérêt pour les arts carcéraux, et vérifier le potentiel de ventes d’œuvres d’art réalisé par des détenus ou ex-détenus.

Conclusion

En fait, ce qui est un aspect primordial lorsque l’on parle d’art, de prison et de réintégration, c’est de sortir des sentiers battus et aborder sans compromis, l’art en prison hors de prison. Pas seulement en faisant en sorte que des détenus artistes puissent faire connaître leur travail à l’extérieur des murs, mais aussi en leur donnant l’opportunité de poursuivre à l’extérieur de la prison ce qui a été amorcé à l’intérieur de la prison, autrement dit dans la vie publique.  

Malheureusement, tout ce que nous avons pu souligner de positif à propos des réalisations des années 1970 et 1980 n’a pas suffi à faire réellement sortir de la prison tout ce potentiel. Dans le cadre de la formation théâtrale au pénitencier Leclerc, assurée par Valérie Tocco, Lucien Gosselin, directeur adjoint à l’administration de la région du Québec, spécifiait que « L'objectif premier de cet atelier n'est pas de présenter des pièces de théâtre, mais de permettre à des détenus d'apprendre les bases de cette discipline et d'y travailler quotidiennement », d’ailleurs, ils sont « maintenant suffisamment autonomes pour fonctionner sans ressource extérieure » (SCP, 1980, p. 3). Qu’est-ce qui a été fait pour favoriser leur insertion dans le marché du travail correspondant aux compétences acquises ?
La littérature, les arts visuels et la danse ont été à l’ordre du jour dans certaines institutions carcérales, mais la population est-elle prête à admettre que des artistes ayant fait de la prison puissent avoir la possibilité d’être lus et vus autrement qu’indirectement par le biais de bénévoles qui réussissent à accomplir cet exploit de faire entre autres les arts en prison.

Nous n’osons pas répondre. Par contre, nous voulons rapidement nous référer à des réactions récentes concernant Bertrand Cantat, condamné pour homicide involontaire de sa compagne Marie Trintignant, en 2003, . La controverse suscitée par sa participation programmée dans la pièce Cycles de femmes au TNM, en mai 2012, mérite d’être soulignée. En effet, plusieurs politiciens connus se sont opposés à sa venue au Québec malgré qu’il a purgé sa peine au complet (La Presse 7 avril 2011). Mais pas à celle d’Alain Juppé, un ancien premier français bien connu au Québec, « reconnu coupable (30 janvier 2004) d'avoir employé, pour son parti, sept permanents censés travailler à la ville de Paris. En droit, cela porte un nom: prise illégale d'intérêt ». En mots clairs : fraude au profit de son parti politique. Affligé d’un casier judiciaire, il est immédiatement venu enseigner au Québec, à l’École nationale d’administration publique, là même où l’on forme nos futurs fonctionnaires.

En août 2011, c’est au tour de Cheb Mami d’attirer l’attention. Après avoir été condamné en France à cinq ans d’emprisonnement pour avoir tenté de faire avorter de force son ex-compagne, en 2009, il est libéré en mars 2011. Invité au Festival du Monde arabe de Montréal, où il en est la tête d’affiche, mais suite à la controverse qu’a suscitée l’annonce de sa venue, la vedette du raï s’est vue signifier une annulation de sa prestation.  Dans le contexte actuel, peut-on imaginer que les artistes découverts dans les institutions carcérales puissent penser trouver l’accueil nécessaire à leur réintégration dans la société civile et à leur participation à la diffusion de l’art au Québec?


Bibliographie

A.B.C. Stratégies. L’action culturelle auprès de la population pénale sous juridiction provinciale. Montréal, 20 juin 2016, 2p. 

Québec (2017). Partout, la culture. Politique québécoise de la culture. Projet pour consultation.
Perreault, G. et J.-F. Meilleur (2014). Portrait provisoire de l’éducation dans les établissements de détention de juridiction provinciale au Québec [Rapport final]. Montréal, Cégep Marie- Victorin, janvier 2015, 130p.

Service canadien des pénitenciers (1977). Entre Nous Volume 2, numéro 6, 8p. https://www.securitepublique.g... 

Service canadien des pénitenciers (1980). Entre Nous Volume 5, numéro 6, 4p. https://www.securitepublique.g...