Porte Ouverte Magazine

L’Art et la réintégration sociale et communautaire

By Anne-Céline Genevois,
Agente de développement à la Société Elizabeth Fry du Québec et coordinatrice du collectif Art Entr’Elles.

L’utilisation du médium artistique au côté de la pratique d’intervention de la Société Elizabeth Fry du Québec à des fins de réintégration sociale

La Société Elizabeth Fry du Québec (SEFQ) travaille avec le médium artistique depuis plus dix ans. Elle a développé deux approches distinctes : des ateliers de créativité proposés aux résidentes de la Maison Thérèse-Casgrain et des projets d’art communautaire notamment à travers le collectif Art Entr’Elles. 

Les ateliers de créativité 

L’utilisation de l’art à des fins thérapeutiques connaît un essor important depuis les dernières années. C’est en 2004 que la Société Elizabeth Fry du Québec décide de mettre sur pied un atelier d’art à la Maison de transition avec l’appui de la Fondation Solstice. 
Ces ateliers sont proposés sous la forme de séance libre et non dirigée. Les œuvres produites sont personnelles et confidentielles, elles n’ont pas pour objectif d’être exposées. Cette particularité est propre à ces ateliers qui privilégient le développement du bien-être de la personne à visée thérapeutique plutôt que la présentation publique d’œuvres artistiques. Les Ateliers de créativité ont donc pour objectif de promouvoir la libre expression en proposant aux femmes un espace de partage où chaque participante est accueillie en fonction de ses besoins et est encouragée à développer sa propre démarche de création. Ses séances offrent aux participantes la possibilité de prendre un temps pour soi, d’être à l’écoute d’elle-même, de s’exprimer, de prendre conscience de ses capacités et de sa créativité. Depuis leur création, les ateliers sont animés par Valérie Descroisselles-Savoie, étudiante au doctorat en criminologie à l’Université d’Ottawa et diplômée d’une Maîtrise en art-thérapie de l’Université Concordia, d’un baccalauréat en psychologie et d’un certificat en arts plastiques.  

AGIR et l’art communautaire

En 2007, la Société Elizabeth Fry du Québec explore une autre avenue avec l’art à des fins de communication sociale. Elle initie le projet : AGIR  |  Art des femmes en prison en partenariat avec Engrenage Noir/LEVIER. 

AGIR est un projet d’envergure unique en Amérique du Nord. Il s’est déroulé dans les deux établissements de détention pour femmes au Québec, à l’Institut Philippe-Pinel et à la Maison de transition Thérèse-Casgrain. Le processus de création s’est échelonné sur deux années et a impliqué huit artistes professionnels au sein de onze ateliers artistiques. Au total, quarante-neuf femmes ont participé au projet et ont créé trente-cinq œuvres audio et visuelles. L’exposition AGIR |Art des femmes en prison a été présentée en 2011 à la Galerie Erstern Bloc et a bénéficié d’une importante couverture médiatique. 
 
Avec ce projet, la SEFQ décide de mettre l’emphase sur la capacité de la personne et non uniquement sur ses besoins et d’établir un dialogue social entre la réalité de ces femmes et la société : « […] Nous avons choisi de miser sur leur potentiel, leur talent et leur capacité à créer. AGIR est issu de notre désir d’inviter le public à les connaître autrement que par leur victimisation et la médiatisation de leur délit. Nous souhaitons vous les présenter telles que nous les connaissons […] » (Ruth Gagnon, directrice générale de la SEFQ, livre Temps d’agir). 
 
Pour l’organisation, ce projet répond dans un premier temps à des objectifs sociopolitiques inhérents à son mandat, qui sont de changer le regard que porte la société sur les femmes judiciarisées, et de mettre l’accent sur la lutte contre les inégalités systémiques qui peuvent toucher ces femmes. Ainsi, la thématique de création propose une réflexion sur la corrélation entre l’incarcération et la pauvreté. Pour y répondre, les partenaires décident de faire appel à une pratique nommée « l’art communautaire », une méthode de création artistique collective qui s’inscrit dans une volonté de justice sociale et de démocratie culturelle. L’art communautaire rassemble des artistes professionnels et des groupes communautaires, au sein d’un processus créatif collaboratif basé sur des rapports égalitaires, et qui aboutit à la création d’œuvres artistiques destinées à être présentées publiquement. La particularité du processus de création de l’art communautaire est d’accorder une place centrale au groupe communautaire impliqué, dans ce cas aux femmes judiciarisées, afin qu’elles-mêmes rendent compte de leur expérience vis-à-vis du contexte et des problématiques qu’elles peuvent vivre. Dans un second temps, cette particularité du processus créatif de l’art communautaire s’est révélée être en adéquation avec les objectifs cliniques sur lesquels la SEFQ travaille habituellement à travers sa pratique d’intervention tels que l’estime de soi, l’accomplissement personnel, la responsabilisation, la motivation, et plus particulièrement la reconnaissance sociale et le sentiment d’appartenance.

Le collectif Art Entr’Elles

Transformées par l’expérience d’AGIR, plusieurs participantes décidèrent à leur sortie de prison de poursuivre l’exploration artistique et de créer Art Entr’Elles en 2009. Elles se revendiquent comme un collectif de femmes artistes qui disent NON à la violence, à l’intolérance et à l’exclusion. 
 
La création de ce collectif par les femmes elles-mêmes démontre l’importance de l’impact du projet sur les participantes. Ce collectif répond à leur besoin d’être reconnue et entendue dans la société. Art Entr’Elles a créé sept projets artistiques et plusieurs expositions d’ampleur jusqu’à aujourd’hui. À titre d’organisation artistique, il est enregistré en tant qu’OBNL depuis 2011. Tous ses projets abordent les problématiques de la marginalité vécues à différents niveaux par ces femmes et questionnent le rapport de la société face à l’exclusion. Des œuvres poignantes issues des projets poussent le spectateur à reconsidérer l’humain au-delà des étiquettes.

10 années d’expertise en art communautaire : des impacts véritables 

Depuis maintenant dix ans, la SEFQ a exploré la pratique de l’art communautaire et a pu observer son impact positif sur la réintégration sociale des femmes. À travers ses expériences, la Société affirme que l’art est un vecteur de transformation sociale. Ces actions permettent notamment aux femmes d’acquérir plus de confiance en elles, de développer des compétences et des habiletés qu’elles ignoraient posséder, d’afficher un sentiment de fierté devant le travail accompli, de libérer leurs émotions et d’apprendre à se découvrir dans un contexte nouveau. Ces projets sont un véritable levier pour l’émancipation des participantes. La SEFQ place l’art communautaire comme une méthode alternative et complémentaire à son intervention auprès des femmes en vue de les aider à réussir leur retour en communauté. 

2009 : Cartes postales, deux mille exemplaires de treize différentes cartes conçues dans le but de faire plaisir gratuitement 

2010 : On vous aime mais pas tant que ça…, un projet d’art visuel qui utilise des bouteilles de bières   pour présenter les rêves et les aspirations de cinq personnes itinérantes 

2011 : Donner une deuxième chance : un projet d’art visuel qui redonne vie à des matériaux recyclés illustrant la métaphore de la deuxième chance que les femmes demandent à la société 

2012 : Face à Face : un projet qui explore sous différents médiums artistiques les problématiques de la pauvreté, de la criminalisation et de la famille 

2014 : Décliner votre identité volet 1 : un projet audio photographique qui explore la thématique de l’identité sous la forme de l’autoportrait 

2015 : Décliner votre identité volet 2 : « Double peine », un court-métrage documentaire qui confronte la perception des citoyens face à la judiciarisation et celle des femmes vis-à-vis d’elles-mêmes