Porte Ouverte Magazine

L’Art et la réintégration sociale et communautaire

By Marie-Ève Fiset-Tremblay,
Candidate à la maîtrise en travail social de l’Université du Québec en Outaouais

La parole des participantes du projet « Décliner votre identité » : L’identité, au-delà du crime commis

Marie-Ève Fiset-Tremblay a choisi d’effectuer sa recherche de maîtrise en travail social sur le projet « Décliner votre identité » du collectif Art Entr’Elles dans le but de contribuer à l’avancement des connaissances au sujet de l’art communautaire en tant que pratique d’intervention sociale. 

Plus spécifiquement, à partir des perceptions des femmes rencontrées, les objectifs de cette recherche visent d’une part, de saisir les représentations qu’elles ont d’elles-mêmes, de leurs pairs, ainsi que leur vision du monde, et, d’autre part, de mieux comprendre jusqu’à quel point ce projet leur a permis de redéfinir leur identité sociale. En bref, la rencontre de six des participantes a permis de mieux comprendre le sens qu’elles donnent suite à leur participation au projet d’art communautaire « Décliner votre identité ».
 
Les participantes ont expliqué qu’il est difficile de jongler entre la judiciarisation et leur réinsertion sociale. La peine d’emprisonnement écopée, les regards, les inégalités et les discriminations en lien avec leur passé persistent ou empirent. D’une part, pour les participantes, le fait d’être étiquetées comme une « ex-détenue » ou d’avoir un « trou sur leur CV » engendre des difficultés supplémentaires lors de la recherche d’emplois. Certaines répondantes de la recherche ont expliqué que leurs promesses et leurs paroles ne peuvent contrebalancer le poids de leur casier judiciaire. D’une autre part, le fait d’avoir des démêlés avec la justice a effrité leurs relations avec le monde (leur réseau et leur entourage) et la société. En effet, être femme et criminelle dans notre société comporte des risques de stigmatisation et d’exclusion importants (Cardi, 2007).
 
Aux yeux des femmes, la rencontre d’Art Entr’Elles leur a permis une expérience positive, enrichissante et différente des programmes traditionnels auxque ls elles avaient participé auparavant. Les résultats de notre recherche démontrent les retombées suite à la participation au projet d'art communautaire « Décliner votre identité » sur la vie des femmes, et plus précisément, sur leur cheminement personnel et identitaire. Le processus de création artistique a créé un contexte favorable à la création de liens, à la liberté d’expression dans un climat de confiance et au développement d’un réseau d’entraide et de support. Le fait de se sentir reconnues et importantes pour les autres amènent les femmes à se sentir importantes pour elles-mêmes. Les participantes sont fières d’avoir participé au processus de création, mais aussi, de voir le fruit de leurs efforts par l’entremise des expositions. Le fait de vivre une réussite, en misant sur leurs forces plutôt que sur leurs vulnérabilités, fut, non seulement un levier de motivation dans leur vie, mais également une occasion de faire leurs preuves auprès de leur entourage et leur famille afin de renouer les liens. 
 
Plus précisément, les participantes nomment avoir eu l’occasion de redéfinir leur propre identité, identité jusque-là ancrée dans des représentations sociales associées à leur « carrière déviante » telle que le définit Becker (1985). Il va sans dire que le fait d’être étiquetée comme « criminelle » amène la femme à se considérer ainsi. Ainsi, le projet « Décliner votre identité » fut l’occasion pour les participantes de réfléchir à leur identité réelle (Goffman, 1975), soit leur identité au-delà de leur passé judiciaire et des apparences. Cette démarche a permis aux femmes de prendre conscience du fait qu’elles sont capables d’actions.
 
À l’instar de Chombart de Lauwe (1981), l’aspiration est un élément déclencheur pour la reprise de pouvoir sur la vie des femmes et pour la redéfinition de leur identité. Ce désir d’exister et d’amener un changement dans leurs conditions d’existence se traduit en espoir pour accomplir quelque chose et, pour les participantes, de vivre au lieu de survivre. Dans ce contexte favorable à l’émergence de l’identité réelle des femmes, ces dernières ont entamé un pas vers la sortie de leur « carrière déviante ».
 
Leur participation à ce projet leur a permis de réfléchir et de définir leur propre identité, tant au moment du processus de création artistique que lors de l’exposition de leurs œuvres et des conférences sur la sphère publique (Habermas, 1987). Par le fait même, par l’entremise d’œuvres intimes et sensibles à leur histoire et leur identité, les femmes ont pris la parole espérant contribuer à la déconstruction des préjugés et des stéréotypes entourant la femme judiciarisée. Peu de recherches portent sur l’utilisation de l’art communautaire dans le domaine du travail social. Cette recherche nous amène à interroger la place de l’art communautaire dans l’intervention sociale. Au regard de cette étude, nous constatons que l’art communautaire peut susciter des pistes prometteuses en matière d’intervention non seulement parce qu’elle vise à une transformation sociale, mais aussi, parce qu’elle a, aux yeux des participantes de cette recherche, des effets thérapeutiques sur leur cheminement et leur vie.

Cet article met en lumière les avancées de cette recherche à partir du travail fait jusqu’à présent. Ce mémoire de maîtrise sera déposé au Département de travail social de l’UQO très prochainement. 


Bibliographie 

Becker, H. S. (1985). Outsiders : études de sociologie de la déviance. Paris: A.-M. Métailié.
 
Cardi, C. (2007). Le contrôle social réservé aux femmes : entre prison, justice et travail social. Déviance et Société, 31(1), p.3-23.
 
Chombart de Lauwe (1981). Transformations sociales et dynamique culturelle. Paris : Édition du CNRS.
 
Goffman, E. (1975). Stigmate : les usages sociaux des handicaps. Paris: Éditions de Minuit.
 
Habermas, J. (1987). Théorie de l’agir communicationnel. Paris : Fayard.