Porte Ouverte Magazine

L’Art et la réintégration sociale et communautaire

By Johanne Parent,
Ainé(e), Opérations correctionnelles, Programmes, Établissement La Macaza

Se réapproprier une parcelle de sa vie—Sentier autochtone de l’Établissement de La Macaza

L’initiative du Sentier autochtone de l’Établissement de La Macaza, un établissement à sécurité moyenne pour hommes, se veut un environnement paisible et respectueux qui offre écoute et support à la guérison des participants. Reposant sur la roue de médecine autochtone, le Sentier autochtone est une initiative de guérison intensive dirigée par un(e) Aîné(e) et qui va au-delà des services du SCC déjà offerts à tous les délinquants autochtones. 
 
Cette initiative fonctionne puisque les détenus faisant un effort sincère et soutenu et ayant un engagement honnête envers les traditions et les enseignements autochtones ont moins de probabilités d’être impliqués dans de nouveaux délits. Puisque les détenus autochtones ont des dynamiques semblables, en lien avec leur historique culturel (tels les réserves, les pensionnats, la rafle des années 60, le génocide culturel, etc.), ils ont aussi des buts similaires à atteindre.
 
Les détenus qui prennent la décision de faire partie du Sentier autochtone s’engagent à suivre un mode de vie axé sur la guérison traditionnelle et à participer sérieusement à leur plan correctionnel. Guidés par les Ainé(e)s et une équipe de gestion sensibilisée à leurs particularités culturelles, les détenus participent à des activités visant les aspects spirituel, mental, émotionnel et physique de leur être en empruntant un sentier de guérison. Des cérémonies spirituelles, des programmes et des activités artistiques et artisanales significatives à la culture des Premières Nations sont inclus dans l’initiative. L’accompagnement des Ainé(e)s, le soutien des pairs et la participation active aux cérémonies et aux activités artistiques sont des moyens privilégiés pour encourager les détenus à demeurer intègres face à leur choix de guérison.
 
Le Sentier autochtone offre un environnement dont le but est, selon le cas, une « déclassification sécuritaire » vers un pénitencier minimum, une maison de transition, un centre de guérison ou une libération. Ceci est rendu possible à la suite d’un cheminement significatif du détenu, sur son propre sentier de guérison, en lien avec ses facteurs criminogènes et ses antécédents sociaux.
 
En tant qu’intervenants du Sentier, les Aîné(e)s sont sensibles aux effets sociaux, humains et psychologiques insufflés par une pratique artistique, source de reconstruction de l’individu et de son rapport à l’autre, recouvrant son humanité. L’Art y est, plus que partout ailleurs, nécessaire. En tant que force créatrice, l’Art participe à la reconstruction des personnalités et des identités individuelles et culturelles. L’Art aspire à réaliser un projet de développement, d’épanouissement et d’accomplissement de soi-même. L’Art panse le malaise, la souffrance et le mal-être de tous les individus.
 
La création artistique en détention, si elle ne vise pas un traitement thérapeutique des détenus, participe largement à la reconstruction d’eux-mêmes et de leur identité personnelle. En plus de la privation de liberté, qui découle de la peine de prison, le détenu perd aussi sa dignité, sa fierté, ses responsabilités… bref, une part de son humanité. L’Art est porteur de liens, d’une relation humaine dans un lieu où le rétablissement est essentiel. En créant, le détenu retrouve une parcelle de sa liberté et de son temps, autant de qualités inhérentes à l’être humain. C’est un peu comme un pont qui mène le détenu vers quelques minutes de liberté.
 
Il faut tenir compte du fait que l’incarcération réduit ou efface les autres identités de ces hommes – qui sont aussi des pères de famille, des étudiants, des travailleurs – réduisant ceux-ci à l’identification de « détenus ». La prison réduit grandement la capacité des détenus, dont leur capacité à prendre des initiatives ; ils ne sont donc plus maîtres de leurs choix et perdent en grande partie le contrôle de leur propre vie. 

Le sentiment de soumission apparaît comme l’élément le plus insupportable de la détention. Le système carcéral aménage toutefois de plus en plus d’aires permettant un retour de l’initiative personnelle et de l’autonomie. Il y a une volonté dans ce sens et nous pouvons constater cette évolution au fil des années.
 
Par la pratique artistique, le détenu peut renouer avec des sensations et des droits d’homme libre. Il redécouvre le plaisir et le désir, il renoue avec son humanité et avec les sentiments de liberté et de fierté. La création artistique lui offre l’occasion d’une fuite vers d’autres lieux imaginaires, d’un voyage au-delà des murs et des clôtures, d’un oubli de la détention ! 
 
En effet, certains détenus considèrent l’art en prison comme un moyen d’évasion, comme une échappatoire – bien qu’il soit de courte durée – du milieu carcéral. La participation à une activité artisanale ou artistique permet aussi de briser la monotonie des journées carcérales et la froideur du lieu. Le sentiment d’enfermement, les pensées sombres et la douleur du détenu s’estompent un peu, il est porté par le mouvement du pinceau ou par l’attention et la discipline imposées par les cordes de la guitare. La discipline et la volonté s’incarnent au cœur de celui qui s’y adonne.
 
Léonard Pelletier, Anishnaabe / Lakota, incarcéré depuis 1976, disait : « Peindre est un moyen de voyager au-delà 
des murs et des barreaux de ce pénitencier. À travers mes peintures, je peux être avec mon peuple, en relation avec ma culture et mon esprit. Je peux observer de jeunes enfants souriants, danser dans leur costume traditionnel, voir mes ancêtres en prière, soutenir le regard intense d’un guerrier. Lorsque je travaille ma toile, je suis un homme libre. » Ces paroles sont extrêmement fortes de sens dans le contexte carcéral.
 
Par l’entremise de l’initiative du Sentier autochtone, les ateliers artistiques viennent soutenir le détenu en transformant sa passivité en action, ce qui l’aide à renouer avec une dimension humaine fondamentale : l’agir. Il choisit lui-même de s’imposer un certain nombre de contraintes et d’exigences, de s’investir. Il y gagne en fierté et en confiance ! Les différents projets de créations se veulent loin du simple divertissement, car ceux-ci comportent en effet le respect de plusieurs règles et contraintes. L’activité exige un engagement de la part du détenu, une présence assidue et des efforts à fournir. Toutefois, ces contraintes demeurent acceptées, car elles sont choisies par le détenu lui-même plutôt que d’être imposées par l’institution. Les efforts qu’il déploie s’inscrivent dans une logique volontaire, elles sont l’objet d’une réappropriation et viennent nourrir l’Esprit. Les contraintes que le détenu s’impose sont volontaires et s’inscrivent dans un contexte de mieux-être. Grâce à l’Art, il se réapproprie une parcelle de sa vie. Certains détenus découvrent soudainement qu’ils sont habiles et créatifs, qu’ils ont le pouvoir de créer à partir de leur imagination ! 
Ils développent des compétences ignorées auparavant. Les résultats sont fabuleux ! En effet, certains détenus atteignent parfois de hauts niveaux de compétences, ce qui génère un grand sentiment de satisfaction et de fierté. La majorité d’entre eux ne possèdent aucun repère en ce sens et ils ne peuvent présumer détenir de telles aptitudes. 

Les croyances des ancêtres représentent une importante source d’inspiration pour les artistes autochtones. La spiritualité est d’ailleurs un thème important dans leurs œuvres. Lorsque les valeurs en lien avec cette spiritualité sont représentées dans une œuvre d’Art, elles infusent l’Esprit de celui qui la crée. C’est pourquoi l’Art, sous toutes ses formes, est réellement une forme d’expression. Et c’est par l’expression qu’un humain retrouve son Essence Vraie, nécessaire à sa guérison. Il s’agit donc d’une découverte de soi en tant qu’être capable non seulement de créer, mais de créer quelque chose de beau, de percutant, de reconnu et de valorisé ! Une fierté et une confiance en soi s’installent alors. Pour quelques détenus, la prison peut devenir ainsi un espace privilégié de reconnexion à soi, de guérison et l’occasion d’un nouveau départ. Un détenu me disait qu’il vivait son incarcération comme s’il était dans un monastère et que, pour la première fois de sa vie, il prenait le temps de faire son bilan afin de comprendre où il s’était perdu en chemin, où il avait placé ses valeurs. Il occupait sa tête en créant de magnifiques objets avec beaucoup d’attention.
 
Il arrive aussi que certains détenus apparaissent avec un bagage artistique important. Ces derniers partageront alors leur savoir-faire avec les autres détenus dans des activités comme tanner les peaux pour en faire des tambours, fabriquer des mocassins et des raquettes, etc. Et le même phénomène de satisfaction se produit chez ces derniers, car le partage de leur savoir-faire est valorisé et reconnu de tous. Par l’incarcération, le détenu subit un double regard négatif : le sien et celui de l’autre. La création artistique produit souvent une reconnaissance par les autres et par soi-même, qui embellit un peu l’image entachée et participe grandement à la revalorisation de son identité. Le détenu qui est défini comme destructeur commence à se reconstruire ; de destructeur, il devient créateur.

Le Sentier autochtone offre :

  • Un environnement spirituel et culturel qui prône la guérison et favorise l’expression et la croissance personnelle.
  • Des enseignements et cérémonies tels que : suerie (sweat lodge), cercles de parole, festin et autres.
  • De l’accompagnement et un appui pour une déclassification sécuritaire.
  • La participation à des projets spéciaux : fabrication de tambours, de mocassins et de raquettes ; perlage, etc.
  • Des ateliers avec des intervenants de l’extérieur.
  • La possibilité de sorties hors du périmètre de l’établissement et avec escorte, selon le cas.
  • Une bibliothèque autochtone incluant des livres, des C.D. de musique et des documentaires.
  • Un milieu de vie qui favorise et reconnaît la médecine dans l’Art : la création participe à la reconstruction des personnalités et des identités culturelles ; l’Art permet de se remettre en relation avec l’Esprit de sa culture.
  • Des instruments de musique sont à la disposition des membres du Sentier : guitares, guitares basses, claviers, percussions assorties.
  • Le matériel et les outils nécessaires pour effectuer de la pyrogravure, de la sculpture sur bois et sur pierre, du perlage, de la couture, du travail avec les piquants de porc-épic, etc.