Porte Ouverte Magazine

Démystifier la santé mentale et la criminalité

By Véronique Lejour,
Directrice générale adjointe, Centre l'Entretoit

La réhabilitation en santé mentale

Le Centre l’Entre-Toit est un organisme à but non lucratif qui fête son 35e anniversaire cette année. Il a pour mission la stabilisation et la réinsertion sociale de personnes aux prises d’une double problématique santé mentale et démêlées avec la justice et/ou toxicomanie active. Au fil des ans et avec son équipe d’intervenants professionnels, une expertise en gestion du risque s’est développée et fait du centre une ressource spécialisée et habilitée à reconnaitre les symptômes précurseurs, mais aussi à travailler en collaboration avec les équipes traitantes et partenaires à maintenir en société ces personnes, soit par l’hébergement ou par le suivi dans la communauté.

 

La clientèle du Centre l’Entre-Toit est référée par le réseau de la santé ou le réseau du Ministère de la Sécurité Publique. Du côté de la psychiatrie légale, il s’agit de personnes qui présentent une problématique de santé mentale et qui ont eu un ou des démêlés avec la justice ayant été reconnue criminellement responsable ou non. Ainsi, peu importe le verdict et le résultat du processus judiciaire, ces personnes ont tous en commun que leur problématique de santé mentale est venue influencer leur trajectoire de vie ainsi que d’avoir un impact sur leurs choix et les comportements antérieurs. Alors que du côté de la toxicomanie, nous parlons d’une clientèle dont de nombreuses tentatives de les maintenir dans la société en les menant vers une abstinence complète de consommation se sont soldées par des échecs. Ainsi, l’objectif est alors de les accompagner dans leur consommation active en tentant de diminuer les méfaits de celle-ci pour elle-même ou pour autrui. En résumé, peu importe le point de service du Centre, la clientèle référée a pour la majeure vécue l’effet des portes tournantes soit entre l’hospitalisation, les démêlés avec la justice (détention ou mesure dans la communauté) ou encore l’instabilité résidentielle.

 

L’objectif premier de l’équipe d’intervenants du Centre est d’accompagner la personne dans sa réhabilitation sociale en lui offrant des outils pouvant à la fois répondre à ses besoins de bases, mais aussi d’influencer les facteurs de risques et de protection afin de diminuer le risque qu’elle représente pour elle-même ou pour autrui. Au quotidien, il s’agit alors de créer un filet de sécurité dans la société, sachant que la personne bénéficiera des services de l’Entre-Toit pour une période temporaire de sa vie. Mais comment arriver à créer ce filet de sécurité ? En responsabilisant celle-ci face à ses problématiques et face aux choix et aux gestes qu’elle fait. Il devient alors possible de diminuer le risque qu’elle représente. Personne ne fait le choix d’être atteint d’une problématique de santé mentale, par contre il est possible de faire le choix ou non de stabiliser son état, sa situation.

 

Pour les intervenants, il s’agit dans un premier temps de conscientiser la personne face à sa problématique de santé mentale. Au niveau de l’hébergement au Centre l’Entre-toit, tous les résidents ont une équipe traitante impliquée dans le suivi.

Il est donc important de travailler en collaboration très étroite avec cette dernière en communiquant toute observation ou intervention portant sur l’état mental de la personne afin d’ajuster au besoin le traitement et les interventions nécessaires. Au niveau du suivi dans la communauté, parfois les personnes n’ont pas une équipe traitante impliquée, ce travail de conscientisation commence alors à la base en faisant reconnaitre à la personne qu’elle présente des symptômes, une souffrance, afin de l’amener à avoir accès à une équipe traitante (psychiatre, intervenant psychosocial, infirmier). Une fois que l’équipe traitante est impliquée, ce travail de conscientisation doit se poursuivre sur le long terme. Il est différent de prendre une médication parce que la personne est obligée par la loi ou encore puisqu’en ce moment, elle reconnait la présence de symptômes et/ou d’une souffrance, que d’accepter de prendre une médication sur le long terme, d’être capable de reconnaitre ses propres signes précurseurs et d’avoir le réflexe de se référer à des personnes ressource en cas de besoins. C’est cette dernière conscientisation que l’équipe de l’Entre-Toit cherche à développer chez la clientèle, en collaboration avec tous les autres acteurs impliqués dans la réhabilitation de la personne (équipe traitante, autres professionnels, ressource communautaire, famille et proches, sans oublier la personne elle-même). Évidemment, ce processus dépend du rythme de la personne, de ses capacités personnelles et de multiples autres facteurs propres à sa situation (traitement, réseau de soutien, consommation, type de délit, etc.).

 

Une rééducation au niveau de l’autonomie est souvent nécessaire, que ce soit après une longue période d’institutionnalisation (hospitalisation ou incarcération) ou encore une période d’instabilité résidentielle (sans domicile fixe, itinérance), ces personnes ont souvent perdu des apprentissages pour répondre adéquatement à leurs besoins de base, sans parler que pour certaines d’entre elles les capacités cognitives ont diminué. Il s’agit ainsi d’intégrer une routine de vie saine, tant au niveau de l’alimentation, du cycle du sommeil, de l’hygiène qu’au niveau occupationnel. De plus, comme la majorité de la clientèle est sur l’aide financière de dernier recours, il est important de les accompagner dans la gestion de leur budget. Pour ce faire, il est nécessaire de travailler simultanément la conscientisation par rapport à ses autres habitudes de vie, telles que l’impact de sa consommation, l’influence qu’ont ses fréquentations, l’impact de son impulsivité sur les choix qu’elle fait, etc. Encore une fois, toute cette conscientisation peut prendre du temps avant que la personne accepte ses limites et modifie ses choix pour ensuite se mettre en action avec des moyens concrets et réalistes.  

 

Pour répondre à tous les besoins de cette clientèle,  l’équipe doit bien connaitre les services offerts autant dans le réseau communautaire qu’institutionnel et tant au niveau des services répondants aux besoins de base tels que les refuges, ressources d’hébergement spécialisées, banques alimentaires et dépannage vestimentaires, aide sociale, magasins à coût moindre, que les services et programmes de réinsertion sociale travaillant sur des sphères de vie plus particulière (désintox, suivi toxicomanie, programme de réinsertion à l’emploi, centre de jour, thérapie spécialisée, atelier de gestion du budget, etc.). Un bon arrimage adapté au besoin particulier permet de faire vivre du succès à une personne plutôt que de lui faire vivre un échec et ainsi augmenter sa valorisation et son estime de lui. Ceci lui permettra aussi de se référer lui-même au bon endroit pour répondre à ses besoins lorsque la personne vivra des situations plus difficiles au lieu de faire des choix inadéquats lorsqu’il aura quitté les services de l’Entre-Toit.

Une autre sphère à ne pas négliger est d’impliquer le réseau de soutien de la personne. Notons que leurs proches sont souvent victimes de leur situation, soit directement par le geste qui a été posé, sinon en tant que témoin des pertes (travail, logement, relation conjugale, droits parentaux, situation financière précaire, etc.) que vit la personne. Souvent démunis à leur tour, ils tentent d’aider et de soutenir la personne atteinte aux meilleurs d’eux-mêmes, mais se retrouvent essoufflés, dans l’incompréhension et en manque de moyens. Ces proches qui ont souvent été les principaux acteurs dans la vie de la personne atteinte, mais pour des raisons variées, se voient écartés de leur rôle puisque d’autres acteurs s’occupent de leur offrir aide et soutien. Ils sont souvent méconnaissant des ressources, du réseau de la santé mentale et de celui de la justice. Ils ont aussi très peu accès à l’information puisque leur proche est majeur. Par contre, dès que la personne se porte mieux, c’est avec ces derniers qu’autant la personne atteinte du trouble de santé mentale que ses intervenants tentent de renouer les relations.  Il faut donc prendre le temps de les impliquer autant que possible dans le processus de réhabilitation. D’ailleurs, le Centre l’Entre-Toit offre un programme d’aide et de soutien à la famille et aux proches en psychiatrie légale.

 

Il ne va s’en dire que lorsque la personne intègre l’hébergement à l’Entre-Toit, ceci facilite ce travail de réhabilitation puisqu’il est possible d’offrir l’accompagnement et l’encadrement d’une intensité variable à ses besoins, et ce, de façon continue 24h/24.  Il s’agit alors d’une période où la personne est accompagnée à développer ses acquis en vue éventuellement de transiger vers un autre type d’hébergement répondant à ses besoins (famille d’accueil, foyer de groupe, appartement supervisé, appartement autonome, retour dans la famille naturelle). Peu importe la mesure légale (probation, sursis, libération conditionnelle, Tribunal administratif du Québec, ordonnance de traitement et/ou d’hébergement), elle devient un outil d’intervention permettant de travailler sur ces différents éléments en offrant un filet de sécurité à la personne et à la société. De plus, la fin d’une mesure légale n’est pas synonyme de la fin d’un séjour et donc, il est possible que la personne demeure hébergée sur une base volontaire en attente d’un autre type d’hébergement ou encore en vue de travailler d’autres objectifs avant de quitter le centre. Il n’en demeure pas moins que lorsqu’il est question d’une clientèle en psychiatrie légale ou en psychiatrie toxicomanie active, il est important de prendre conscience du rythme de la personne, de ses capacités, des multiples besoins qu’elle présente et de percevoir le succès par de petites étapes qui sont franchies graduellement. La formation de l’équipe d’intervenant à ces multiples problématiques devient essentielle, c’est pourquoi notre équipe est formée dans les diverses disciplines de la criminologie, la psychoéducation, le travail social, l’éducation spécialisée, l’intervention en délinquance, la toxicomanie, etc. Il est alors possible d’utiliser les forces et les connaissances de tous les membres de l’équipe pour en faire bénéficier la clientèle. ▪