Porte Ouverte Magazine

L’insécurité face à la sécurité

By Jean-Claude Bernheim

Écorchées, sans pardon et fenêtres sur la justice

Les auteures Sylvie Frigon (Écorchées) et Chrystine Brouillet (Sans pardon) ont récemment publié deux ouvrages. J’ai longtemps hésité avant de décider comment présenter ces deux livres qui ont plusieurs points en commun. Tout d’abord, ils traitent l’un et l’autre de réalité qui font régulièrement, à leur manière, la manchette des journaux. Ensuite, les auteures ne sont pas étrangère l’une à l’autre. En effet, Chrystine Brouillet préface le livre de Sylvie Frigon et Chrystine Brouillet remercie Sylvie Frigon pour sa précieuse collaboration. Cette intimité est réconfortante quand on connaît la philosophie d’une des auteures.

En premier lieu, abordons donc ces deux textes fort captivants. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, permettez-moi de vous faire part de mes hésitations. Oui, j’ai des hésitations parce que connaissant bien l’un comme l’autre des sujets traités, je ne me sens pas vraiment distancié par rapport à l’appréciation que je peux avoir de ma lecture. Ce qui suscite mes hésitations vient du fait que les auteures exposent leur sujet avec toutes les émotions que pourraient vivre leurs personnages. Personnages, qui même s’ils sont le fruit de leur esprit, sont des personnages qui ont une existence réelle. Suivant les commentaires portés sur ces deux romans, je proposerai mon avis sur l’œuvre de Jean-Claude Hébert, Fenêtres sur la justice.

Écorchées

Le style d’écriture de Sylvie Frigon me fait hésiter à qualifier son livre de roman. Ces 24 courts chapitres nous présentent une galerie de portraits qui se croisent dedans comme dehors de la prison. Il n’y a pas vraiment d’intrigue, il y a plutôt un documentaire en toile de fond. Sylvie Frigon nous fait entrer brutalement dans l’univers de la prison, celle des femmes. Cette prison n’est pas la même que celle des hommes parce que les femmes qui s’y trouvent sont, en général, particulièrement amochées par la vie, par la société et souvent par des hommes, et que les femmes ne réagissent pas de la même façon que les hommes à l’enfermement. Ce qui fait la force de ce texte tient à l’humanisme des propos. Humanisme tant de la part de l’auteure que de la part de ces femmes qui tentent de prendre en charge leur destinée, mais qui se heurtent à toutes sortes d’obstacles, tant au niveau personnel que sociétal. Et oui, les personnages de Sylvie Frigon sont tellement attachants qu’ils deviennent des personnes. On les sent tout proche et on les connaît de mieux en mieux qu’on voudrait les aider… C’est pourquoi je dis qu’il ne s’agit pas d’un roman, mais bien d’un documentaire percutant.

Sans pardon

Le roman de Chrystine Brouillet est fort différent. Il est (ou devrait être) un roman policier, mais j’ai beaucoup de difficulté à croire et à entrer dans cette histoire. Pourquoi : Peut-être parce que j’ai été trop influencé par les entrevues qu’a accordées l’auteure. Mais sûrement parce que je connais trop bien les systèmes judiciaire et correctionnel, ainsi que les libérations conditionnelles. Ma lecture n’est pas celle d’un lecteur neutre, évidemment. Pour tenter d’être le plus honnête possible, je vais d’abord vous présenter mon appréciation de la trame du roman policier et après, j’entrerai dans quelques appréciations plus spécifiques au contenu qui est véhiculé. L’intrigue policière est plutôt captivante dans les deux premiers tiers du livre. Par la suite, il me semble que ça tourne un peu en rond à cause des répétitions de thèmes et de situations. La conclusion de l’enquête manque de punch. Sans être totalement prévisible, elle ne déroute pas le lecteur. J’ai lu ce livre avec avidité, tant pour l’intrigue que pour connaître le point de vue des acteurs du drame.

Ce qui m’a le plus agacé est le fait que l’auteure veuille, au travers de son roman, faire une critique modérée du fonctionnement de la Commission québécoise des libérations conditionnelles et que cette critique n’est pas vraiment ni soutenue ni argumentée. La complexité de la situation mérite d’être largement exposée pour que le lecteur puisse bien comprendre les enjeux. C’est en partie à ce niveau que le bas blesse, en ce qui me concerne, parce que l’analyse semble avoir en filigrane l’affaire Bastien-Livernoche. Je ne reviendrai pas sur cette affaire.

Fenêtres sur la justice

Finalement, voilà un livre vraiment stimulant et percutant. En effet, Jean — Claude Hébert aborde sa réflexion avec un a priori pour la Démocratie et la Justice. C’est sans ambages qu’il reconnaît que tous les pouvoirs exercent à leur manière une fonction politique (p. 34). Ce réalisme ne l’empêche pas de montrer que le judiciaire est un rouage important de la démocratie. Il serait présomptueux de ma part de vouloir résumer, en quelques paragraphes, la démonstration percutante de Jean-Claude Hébert, sans la déformer. Donc, je me limiterai à aborder quelques aspects de cet essai.

L’analyse comparative de l’évolution des rapports politiques et judiciaires, entre le Royaume-Uni, les États-Unis et le Canada est très instructive sur les orientations politiques de chacun de ces pays en général, et plus particulièrement depuis les attentats du 11 septembre 2001. Le chapitre portant sur l’opinion publique me rappelle ma première lecture de Beccaria. Combien de constatations connues depuis longtemps, évidentes pour la personne informée, sont tout simplement remisées pour ne s’en tenir qu’à ce qui est spectaculaire et simple, sinon simpliste. Jean-Claude Hébert en remet plusieurs à l’ordre du jour : il n’y a pas de lien direct entre information et vérité, pas plus qu’entre information et opinion (p. 88); dans une société démocratique, il y a un écart entre les valeurs qui intéressent les élites et celles qui préoccupent les citoyens moyens (p. 96).

Je pourrais poursuivre comme ça sur plusieurs pages, mais je pense qu’il est préférable de vous inciter à lire ce «pamphlet» qui remet les pendules à l’heure et permettra sans conteste à celui qui le consulte de mieux comprendre ce qu’il lira à propos de la justice, des lois et du pouvoir tant judiciaire que politique. En fait, ce n’est pas un livre sur la justice, mais plutôt un essai de politique concernant la justice.


Écorchées Par Sylvie Frigon Montréal, Éditions du remue-ménage, 2006, 94 p.
Sans pardon Par Chrystine Brouillet Montréal, Éditions de la courte échelle, 2006, 368 p.
Fenêtres sur la justice Jean-Claude Hébert Montréal, Boréal, 2006, 297 p.