Porte Ouverte Magazine

Libération conditionnelle : tout le monde dehors... vraiment?

By Jean-François Cusson, d’après un mémoire de maîtrise réalisé par Geneviève Tessier (1),
ASRSQ

Octroyer ou refuser la libération conditionnelle : Une question de flair!

La libération conditionnelle est toujours un sujet d’actualité. Récidive spectaculaire, libération d’un détenu au passé médiatisé, aucune année ne passe sans que l’on assiste à sa remise en question. La révision judiciaire n’est pas très populaire et plusieurs s’indignent devant la procédure d’examen expéditif et la libération d’office. Les débats de la Chambre des communes et de l’Assemblée nationale ainsi que les projets de loi qui y sont déposés visent souvent une réduction de l’accès à la libération conditionnelle. En plus de la libération conditionnelle qui est souvent critiquée, le travail et le jugement des commissaires sont parfois remis en cause.

Comment les commissaires en viennent-ils à refuser ou à octroyer une libération conditionnelle? Malgré la présence d’une loi (Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition) qui encadre leur travail afin qu’ils puissent prendre des décisions rigoureuses et objectives, est-il possible que leurs perceptions et leurs intuitions jouent un rôle important? Sont-ils imperméables aux pressions publiques?

Ce sont là certaines des questions qu’a voulu vérifier Geneviève Tessier, lors de son mémoire de maîtrise à l’École de criminologie de l’Université de Montréal. La recherche consistait à analyser la prise de décisions des commissaires de la Commission nationale des libérations conditionnelles. En rencontrant quinze des seize commissaires de la CNLC (Région du Québec), l’auteure désirait mieux comprendre les différents facteurs qui influencent leurs décisions.

Un système à deux vitesses

Garantir la sécurité du public est le rôle premier des commissaires. D’ailleurs, c’est en effectuant une évaluation du risque des délinquants qu’ils peuvent se prononcer sur la nécessité de refuser ou d’octroyer une libération conditionnelle. Pour les guider dans cette tâche ambitieuse, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC) s’avère l’outil de référence. Ce cadre législatif a pour effet de les sécuriser, leur permettant de justifier leurs décisions.

Toutefois, les commissaires considèrent que ce cadre législatif est trop contraignant puisqu’il leur procure peu de marge de manœuvre. Ils expriment aussi des frustrations quant au processus d’examen expéditif et au maintien à l’incarcération. Ils se disent mal à l’aise face à un système de libération à deux vitesses. Alors que la libération conditionnelle vise les détenus à faible taux de récidive (tout crime confondu), l’examen expéditif (2) facilite la mise en liberté de certains détenus qui ne présentent pas des risques de violence.

«Pour certains commissaires, sortir du cadre législatif s’avère parfois nécessaire pour assurer une meilleure sécurité du public.»

Devant principalement évaluer le potentiel de violence pour ceux-ci, les commissaires peuvent alors accorder la liberté à des individus malgré le fait qu’ils aient la conviction qu’il y aura récidive d’un crime non violent. «Ils ont l’impression de devoir agir contre leurs convictions et leur jugement» (p.77). Quelques-uns d’entre eux se demandent même si cette pratique n’est pas contraire à l’esprit même de la loi.

Les enjeux de la décision

Les commissaires ne négligent aucunement l’importance des décisions qu’ils sont appelés à prendre. S’ils réalisent l’importance de la sécurité publique, ils réalisent aussi l’impact que cette considération peut avoir sur le détenu qui présente une demande de libération conditionnelle. Lors de dossiers médiatisés et de récidives spectaculaires, ils sont aussi conscients que leurs décisions feront l’objet d’une attention toute particulière et que leur crédibilité peut être facilement compromise. Malgré les outils dont ils disposent, il n’en demeure pas moins que les commissaires doivent supporter la pression. Il y a toujours le risque de récidive qui peut leur faire vivre des moments éprouvants, et ce, même s’ils se disent bien armés pour faire face à ces situations. Après la récidive spectaculaire d’un libéré conditionnel, on tend à analyser la «décision douteuse» qu’ils ont rendue. Même si les enquêtes en viennent à démontrer qu’ils ont bien fait leur travail, il n’en demeure pas moins que des êtres humains ont été blessés ou ont même perdu la vie. Le poids peut parfois être lourd à porter.

Quand le subjectif entre en ligne de compte

Au service de la population, les commissaires avouent tenir compte des intolérances de la société, par rapport à certains crimes. L’action des médias et l’opinion publique semblent avoir une influence lorsque vient le temps de répondre à une demande de libération conditionnelle. C’est pourquoi ils usent une prudence particulière lorsqu’ils font face à un délinquant sexuel. De plus, selon certains d’entre eux, les récidives spectaculaires font en sorte que les commissaires deviennent plus minutieux dans leur prise de décision. Ceci peut se traduire, pour un certain temps, en une diminution des décisions positives en matière de libération conditionnelle. Même si les commissaires se disent libres de toute influence et qu’ils qualifient leurs décisions comme structurées et objectives, ils n’hésitent pas à mentionner qu’ils font tout de même appel à leurs intuitions, leurs perceptions et à leur jugement. Cette réalité est encore plus vraie chez ceux qui ont plus d’expérience et qui avouent prendre une certaine latitude dans leurs décisions. Pour certains d’entre eux, sortir du cadre législatif s’avère parfois nécessaire pour assurer une meilleure sécurité du public.

Une boîte à surprises

Malgré la grande quantité d’information qu’on leur soumet lors de l’étude des dossiers, rien ne vaut la rencontre avec le délinquant. Les commissaires assurent qu’aucune décision n’est prise avant l’audience qu’ils qualifient de boîte à surprise. Même s’ils s’y présentent avec un préjugé favorable ou défavorable, on y observe parfois des revirements majeurs. Le face à face avec le délinquant permet de clarifier certains points et d’approfondir des éléments qui ne ressortent pas suffisamment dans les dossiers. Les commissaires se disent aussi très sensibles à l’expression non verbale du délinquant rencontré. Ainsi, il leur est plus aisé de s’assurer de la transparence de l’individu et de son degré d’engagement. Évidemment, ils vérifient l’impact des différents programmes réalisés. Ils souhaitent que le détenu puisse être en mesure de donner des exemples concrets et qu’ils s’éloignent du fameux jargon employé par les professionnels. Dans le fond, ils ne veulent pas tant qu’il leur explique qu’il a, par exemple, des distorsions cognitives, mais comment tout ça se traduit dans le quotidien et ce qu’il peut faire pour améliorer la situation.

En plus d’observer le délinquant, l’audience permet aussi de vérifier la relation qu’il entretient avec l’agent ou l’assistant qui l’accompagne. Cette observation leur permet de mieux juger de la fiabilité des rapports qu’ils consultent. Sur ce sujet, un commissaire a indiqué qu’il est alors possible de «s’apercevoir dans le cadre de l’audience, que ça ne va vraiment pas entre l’agent et le détenu. Et que, dans le fond, le portrait n’est pas si négatif que ça» (p.102). Les commissaires admettent user de prudence lorsqu’ils étudient les documents que leur soumettent les intervenants correctionnels. D’abord, il apparaît que ces derniers ne sont pas toujours objectifs et ce, surtout lorsque le détenu collabore bien au plan correctionnel. Il en est de même lorsqu’il existe un conflit entre l’intervenant et le détenu. Dans ce cas, l’intervenant pourrait être tenté de faire payer le détenu en refusant de faire une recommandation positive. Il est permis de penser que l’agent de libération conditionnelle considère que l’audience permet aussi d’évaluer la qualité du travail qu’il a effectué avec le délinquant. Ainsi, le refus des commissaires à libérer le délinquant pour lequel il recommande une libération conditionnelle peut représenter un échec. C’est pourquoi les commissaires doivent toujours demeurer vigilants quant aux agents que certains qualifient de vendeurs et être capables de «lire entre les lignes» (p. 109). Pour illustrer ce propos, un commissaire déclare qu’«eux, y sont en marche avec un bonhomme et ils essaient de l’amener dehors le plus vite possible et c’est leur rôle (…) Il y a toute une démarche de marketing que l’éducateur ou l’agent de libération conditionnelle fait avec son délinquant» (p.107).

Et la qualité des rapports?

Selon les commissaires interrogées les lourdes conditions de travail (horaires chargés) des agents correctionnels font en sorte que la qualité des rapports peut en souffrir. Dans l’obligation de rédiger rapidement les rapports, les agents utilisent souvent «des méthodes de transcription rapide de l’information, telles que le copier-coller en pigeant dans les rapports précédents» (p.107).

Également quelques commissaires leur accordent «plus ou moins de crédibilité, en fonction de leurs auteurs.» (p.108) Avec le temps, ils apprennent à connaître le style des différents agents et préfèrent s’en tenir aux conclusions.

Des décisions objectives?

Pour exercer le rôle de commissaires, plusieurs mentionnent l’importance d’entretenir une croyance infaillible dans la capacité de changement des êtres humains, d’aimer les délinquants et d’avoir une confiance envers le réseau chargé de soutenir la réinsertion sociale des délinquants. Malgré cette sensibilité au potentiel de l’être humain, ils n’oublient pas qu’un bon nombre de délinquants sont de fins manipulateurs. Malgré tous les efforts pour rendre les décisions de mise en liberté les plus objectives possibles on remarque que l’expérience, les impressions et les perceptions des commissaires ont un rôle important à jouer. Ce constat n’est pas vraiment surprenant, mais la recherche a le mérite de confirmer cette impression que plusieurs d’entre nous entretenaient et elle l’a fait en s’adressant directement aux commissaires de la Commission nationale des libérations conditionnelles.


(1) Tessier, Geneviève (2004), Le processus décisionnel en matière de libération conditionnelle fédérale, École de criminologie, Université de Montréal. 

(2) L’examen expéditif vise les délinquants condamnés à une première peine d’incarcération pour un délit non violent. Il vise aussi les délinquants qui ont été trouvés coupables d’une infraction grave liée à la drogue et pour laquelle le juge n’a pas fixé à la moitié de la peine la date d’admissibilité à la libération conditionnelle.